Du respect svp !

Le médian du Real Madrid et capitaine du Mali parle des stéréotypes, qui diminuent les joueurs africains.

Samuel Eto’o, Didier Drogba, Michael Essien, vous-même à la CAN. N’est-il pas temps que l’Europe prenne cette compétition au sérieux ?

Mahamadou Diarra : Oui. Des joueurs africains font de grandes choses dans certains des plus grands clubs européens et avec leur équipe nationale.

Que signifie la CAN pour le Mali ?

C’est géant, d’autant que nous n’avions pas réussi à nous qualifier il y a deux ans et que cette qualification-ci fut très difficile. Beaucoup d’entre nous ont connu le succès en Europe et les Maliens s’intéressent beaucoup à nos carrières respectives. Et tout ce que nous faisons de bien dans nos clubs ne fait qu’augmenter la pression sur l’équipe nationale.

Le fait de vivre en Europe donne-t-il encore plus de signification à l’honneur de jouer sous le maillot du Mali ?

Quand on est loin, on s’identifie encore davantage à son pays au moment de représenter l’équipe nationale. C’est encore plus le cas en ce qui me concerne car j’ai quitté la maison lorsque je n’avais que 17 ans et quatre mois. Je devenais adulte, je découvrais réellement mon pays et voilà que je devais partir. Dans tout ce que je fais, je pense au peuple malien, je sens que j’ai une responsabilité vis-à-vis de ces gens. Lorsque je jouais en Grèce, en Hollande ou en France, ils suivaient ma carrière et vous ne pouvez même pas imaginer combien de Maliens sont, aujourd’hui, fans du Real. Cela me pousse à aller de l’avant. Où que je sois, je joue aussi pour le Mali et je porte toujours un bandeau aux couleurs de ce pays même en championnat. Et je porte un drapeau de mon pays lorsque je célèbre un titre. En 2002, je n’avais que 20 ans lorsqu’on m’a nommé capitaine du Mali. Il faut pouvoir en être digne mais c’est ce que je voulais et j’en suis fier.

Au Mali, Frédéric Kanouté est loin d’avoir votre renommée. Pourquoi ?

La mentalité des Maliens est différente de celle des Européens. En Afrique, au Mali, on aime les joueurs qui se battent, qui se donnent à fond pour l’équipe. Et puis, je n’avais que 17 ans lorsque j’ai joué pour la première fois en équipe nationale. Aujourd’hui, on me considère comme un vétéran. Kanouté (il est né et a grandi en France) a disputé moins de matches et a davantage le style européen. Ceci explique peut-être cela.

Vous parlez de l’importance du physique et du fighting-spirit dans le football africain. En Europe, on apprécie surtout la puissance des médians centraux africains : vous au Real, Michael Essien à Chelsea, Momo Sissoko à Liverpool, Seydou Keita à Séville, Yaya Touré à Barcelone…

Si on nous propose des contrats, c’est parce que nous savons jouer au football. Vous pouvez être un excellent athlète mais un pauvre footballeur. Dans mon rôle, il faut être très complet : tactiquement, physiquement et techniquement. Mon rôle, c’est 40 % de physique, 40 % d’intelligence et 20 % de sacrifice. Il faut aussi être un leader. N’oublions pas non plus que l’Europe compte un tas de bons attaquants africains : Drogba, Kanouté, Eto’o… Nous ne sommes pas ici que pour faire le sale boulot.

Lutter contre les stéréotypes

Le fait que les journalistes européens ont tendance à ranger facilement les joueurs africains dans la catégorie  » physique  » contribue-t-il à dénigrer leur talent ? N’est-ce pas un compliment hypocrite et un cliché ?

Oui, je pense que c’est un cliché. Des tas de joueurs européens sont costauds et les Africains ne sont pas seulement des armoires à glace : des tas d’entre nous sont vifs, forts tactiquement et doués techniquement.

Cela signifie-t-il que l’Europe continue à prendre l’Afrique de haut ? Pensez-vous que l’on manque de respect à l’égard du football africain ?

Oui, c’est quelque chose de tangible. Lorsque je vais en Afrique, le ballon et le jeu sont les mêmes qu’à Madrid, je joue de la même façon. On nous manque de respect mais je ne m’en fais pas : je ne joue pas pour que les Européens disent du bien du football africain.

Cela se ressent aussi dans les rapports entre les clubs et les pays. On attend des Africains qu’ils renoncent à leur équipe nationale au profit de leur club. On n’en demande jamais autant à un international anglais, français, italien ou espagnol.

C’est vrai et je ne comprends pas. Mais ce n’est ni la faute des clubs, ni celle des joueurs : le responsable, c’est la FIFA. C’est elle qui fait fausse route.

Que peut-elle faire pour que la situation change ?

Appliquer ses propres règles, celles qu’elle a édictées et qui disent que les équipes nationales sont prioritaires par rapport aux clubs. Ce n’est pas mon règlement ni celui des clubs mais celui de la FIFA !

Vous avez connu cela la saison dernière : le Real jouait pour le titre alors que le Mali disputait d’importants matches de qualification pour la Coupe d’Afrique des Nations. Vous étiez pris entre deux chaises, vos compatriotes étaient furieux et le Real réclamait votre présence.

Je ne veux plus jamais avoir à revivre une telle situation, jamais ! Et j’espère que cela n’arrivera à personne d’autre. Je me sentais comme enterré vivant. J’étais absolument sûr que le Real allait être champion, avec ou sans moi. Mais le Mali ? Il pouvait perdre. J’avais l’impression qu’on m’obligeait à changer de nationalité. Je me disais : – Si je ne joue pas et que le Mali perd, je vais devoir rassembler ma famille et quitter le pays. Les joueurs anglais ont été insultés par les supporters après leur élimination au Championnat d’Europe mais personne ne les a frappés. Or, cela aurait pu m’arriver.

Le ministre des Sports a dû intervenir publiquement pour dire que vous n’y étiez pour rien.

Pas seulement le ministre des Sports mais aussi le Premier ministre ! Heureusement, lorsque j’ai quitté le Mali pour Madrid en plein milieu des qualifications, je ne savais pas encore que je n’allais pas revenir, que j’allais devoir rester en Espagne, sans quoi je n’aurais jamais pu quitter : les supporters ne m’auraient pas permis de voyager.

Finalement, vous avez joué pour le Real et les deux matches se sont déroulés à la même heure. Psychologiquement, vous aviez la tête ailleurs ?

Non car à la mi-temps, j’ai appris que le Mali menait 2-0. J’ai allumé mon téléphone portable au repos et j’ai vu deux messages : Mali 1-0, Mali 2-0.

Fabio Capello n’avait-il pas interdit les portables dans le vestiaire ?

Oui mais j’ai caché le mien et suis allé aux toilettes. Quand j’ai vu les messages, je me suis senti libéré. Je me suis dit que je pouvais remonter sur le terrain et marquer pour le Real, qui était mené 1-0 par Majorque alors qu’il devait gagner.

Et vous l’avez fait ! Tout s’est donc déroulé à la perfection. Le Real a été champion, vous avez marqué et le Mali a gagné 6-0.

J’ai fait la fête pendant deux jours, je ne l’oublierai jamais.

par sid lowe et ben wyatt (world soccer)

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