Du néant au titre

Au bout d’une décade chahutée, quels furent les moments sportifs les plus chauds du boss de Sclessin ?

La Meuse n’est pas un long fleuve tranquille quand elle longe le Quai Vercours où mouille le paquebot Standard. Les eaux y sont parfois bouillantes, profondes, troubles, fréquentées par de gros poissons de toutes écailles attirés par l’immense popularité dont les Rouches jouissent auprès de leurs supporters.

Il y a 10 ans, les chantiers navals Duchêne et Wauters étaient quasiment à l’arrêt. Le travail accompli de 1984 à 1998 fut important mais les caisses et les têtes étaient vides. Il était temps de moderniser les approches et de changer d’actionnariat, ce qui fut fait avec l’arrivée de Robert Louis-Dreyfus et de Luciano D’Onofrio. Si cela requinqua totalement le club, ce renouveau attira aussi l’attention de la justice intéressée par le passé d’agent de joueurs de l’homme fort de Sclessin. Loin de ces enquêtes, le vieux navire liégeois a traversé des tempêtes et des éclaircies sportives dont la plus belle fut la conquête du titre la saison passée. From zero to hero ou le résumé en 10 étapes de la renaissance d’un club.

21 août 1998 : Ostende-Standard 2-1

Le Standard présente un nouveau visage lors de son premier match de la saison à Ostende. Tomislav Ivic a pris la place de Luka Peruzovic. Les Liégeois alignent Runje ; Remacle, Bilic, Hellers (29′ Blay), Aliaj ; Ernst, Thys, Bisconti, Haeldermans ; Lukunku (25′ de Condé), Mornar. Résultat : 2-1 ; buts : 22′ 90′ Kindtner, 45′ Aliaj.

Gauthier Remacle se souvient :  » L’effectif avait eu droit à une préparation corsée : nous avons passé cinq semaines entre les terrains et l’hôtel. C’était nouveau en Belgique. Le but était de créer un nouvel esprit de groupe. Les anciens ont un peu renâclé car leur vie de famille était chamboulée. Moi, j’avais 21 ans et j’étais célibataire. J’avais faim de foot et je me serais entraîné la nuit si Ivic me l’avait demandé. Rien ne me dérangeait car je découvrais le professionnalisme. Jeune, j’admirais deux joueurs de cet effectif : Guy Hellers, capitaine exemplaire, et Roberto Bisconti, le meilleur médian défensif que j’ai croisé au cours de ma carrière. A Ostende, le Standard était plus fort que son adversaire mais fut rapidement handicapé par les blessures d’ AliLukunku et Hellers. De plus, un vent de tempête favorisa les Ostendais. La déception fut énorme et il y a eu des tensions mais j’étais trop nouveau dans le métier pour avoir un avis « .

16 septembre 1999 : mise à l’écart de Hellers

Les frères Mpenza, Bisconti, Lukunku et Didier Ernst convoquent la presse suite à la décision du club de mettre fin au contrat de Hellers. Ils expriment leur soutien à leur capitaine. Le renvoi du Grand Duc est la suite d’une motion des joueurs déposée par leur leader contre Ivic auprès de la direction. Bisconti et Ernst refusent de porter le brassard. La confusion est totale, le club soutient son coach, les joueurs rentrent dans le rang.

Didier Ernst :  » Hellers ne se débina pas et présenta notre point de vue à la direction. Ce n’était pas une tentative de putsch anti-Ivic. On ne voulait pas sa tête mais juste un régime de travail moins spartiate. Guy a payé la note : sa tête a roulé pour prouver que la direction avait tout à dire. Avant Guy, elle s’était aussi débarrassée de Gilbert Bodart. Qui serait le suivant après de tels monuments ? Moi ? Mbo ? Au vert, je partageais la chambre avec Guy. Notre capitaine n’a pas fait de discours, il a tout assumé et quitta le Standard : c’était la fin d’une époque. Dans un premier temps, j’ai refusé de porter le brassard de capitaine. Le temps a passé et j’ai eu Guy une fois ou deux au téléphone. C’était un grand joueur et un homme courageux qui nous protégea jusque dans son départ « .

16 septembre 2002 : limogeage de Waseige

Après un bilan d’un point pris en 5 matches, Robert Waseige est limogé. L’ancien coach des Diables Rouges ne peut compter sur la patience de la direction. Il est remplacé par son T2, Dominique D’Onofrio.

Johan Walem :  » On peut s’attendre à tout dans le monde du foot mais ce fut un des moments les plus tristes de ma carrière. J’étais sous le choc. Les attentes étaient énormes quand Waseige débarqua à Sclessin. Tout le monde nourrissait de l’espoir à revendre : la direction, les supporters, le groupe, le coach lui-même. Cette pression était gigantesque après notre réussite à la Coupe du Monde 2002 avec Waseige. Les premiers résultats n’ont pas répondu à l’attente et cela a mal tourné. Le verdict est tombé trop vite. Ce fut difficile à vivre. Avec un peu de patience, le coach, qui n’était peut-être pas dans son assiette (il y a un tel monde de différence entre la Coupe du Monde et la D1), aurait trouvé la solution. Je connaissais ses méthodes, son style et son humour. J’aimais bien. Ce n’était peut-être pas le cas de tous les joueurs. Certains l’ont-ils saboté ? J’espère que non… « 

26 mai 2005 : cauchemar à Genk

Les Liégeois dictent leur loi à Genk devant le public de Sclessin (3-1), lors de la manche aller du test-match pour l’UEFA. Un avertissement prive Sergio Conceiçao du math retour. La star portugaise râle car si elle avait transformé le penalty accordé à Ostende (1-1, le 21 mai) à deux minutes de la fin du match, son club aurait échappé à ce double duel contre Genk (70 points comme le Standard). L’avance est confortable pour la deuxième manche mais elle fond comme neige au soleil. Un Standard amorphe est balayé (3-0) et passe à côté d’une qualification européenne.

Gonzague Vandooren :  » C’était évidemment le rendez-vous à ne pas manquer. Avec le recul, le bon résultat de la première manche a probablement déclenché un excès de confiance. On se croyait déjà européens. Ce soir-là, j’ai été doublement déçu. Le résultat fut catastrophique : Genk était plus fort, plus vif et a rapidement plié le match. Nous étions empruntés, lents et dans un jour sans. D’autre part, je me suis retrouvé sur le banc. J’étais en forme mais Dominique D’Onofrio préféra aligner Philippe Léonard qui revenait de blessure. L’Europe nous filait à nouveau sous le nez. Quelques semaines plus tard, j’étais transféré à… Genk et j’ai joué en Coupe d’Europe « .

18 janvier 2006 : Conceiçao remportele Soulier d’Or

Conceiçao s’empare du Soulier d’Or (230 points) devant Vincent Kompany (200) et Christian Wilhemsson (190). Cette récompense revient à Sclessin pour la sixième fois : Jean Nicolay (1963), Wilfried Van Moer (1969 et 1970), Christian Piot (1972) et Eric Gerets (1982).

Eric Deflandre :  » A Lyon, j’ai joué avec des stars du foot européen. Conceiçao avait cette dimension. Avec lui, ses atouts et ses excès, tout le Standard a grandi. C’était un capitaine qui savait se faire respecter. Il jouait avec la même rage de vaincre que ce soit face à Beveren ou Anderlecht. Sa hargne nous a souvent permis de renverser le cours des choses. C’était un leader exigeant sur le terrain mais agréable dans la vie de tous les jours. Techniquement, il était au-dessus du lot. Conceiçao a beaucoup apporté à toute la D1. Ce patron a communiqué son métier et sa rage de vaincre aux jeunes. Bon, l’équipe penchait un peu à droite tant il demandait le ballon. Son Soulier d’Or était mérité et a peut-être constitué le premier point concret du retour du Standard dans les hautes sphères de la D1 « .

5 mai 2006 : défaite 0-2 contre Gand

Au terme d’un bon championnat, le Standard rate la dernière ligne droite, et est défait 0-2 par les Buffalos. Les Rouches décrochent la deuxième place derrière Anderlecht. Un podium est dressé en fin de match pour acclamer les joueurs et le staff. Alors qu’il s’est tant multiplié pour son club, Dominique D’Onofrio est hué et reçoit des mottes de terre. Ce triste épisode le marque profondément et il refuse de rester entraîneur.

Vedran Runje :  » Je regrette ce qui s’est passé car Dominique ne méritait pas ce traitement. Alors, comment expliquer ce dérapage d’un public que j’adore ? La passion et la déception. L’attente était énorme et nous avions la meilleure équipe de D1. Nous avons dévissé en vue du sommet. Le titre était à portée de la main et on n’a pas su le prendre. Les joueurs sont grandement responsables. Dominique est un bosseur et un connaisseur qui s’est donné corps et âme pour le Standard « .

11 juillet 2006 : Defour signe un contrat de cinq ans

Après des moments de tension avec Genk, Steven Defour se lie au Standard pour cinq ans. Le coach, Johan Boskamp, s’appuie sur Michel Renquin (T 2) et Frans Masson (T3). Avant cela, le 25 juin, Michel Preud’homme quitte toutes ses fonctions à l’Union Belge (dont celles de président de la commission technique) et se concentre sur son job de directeur technique du Standard aux côtés de Dominique D’Onofrio, directeur sportif.

Frans Masson :  » Même un défi qui se termine mal peut être riche en enseignements très intéressants. Les résultats n’ont pas suivi et c’est toujours mortel pour un coach. J’ai compris la décision de la direction. Mais le tableau n’a pas été tout noir. Il ne faut pas oublier que Boskamp a insisté pour garder Milan Jovanovic, a intégré Defour, fait confiance à Marouane Fellaini et envisageait de lancer Axel Witsel. Il faisait confiance aux jeunes. Même si la sauce n’a pas pris, ces faits importants se sont révélés payants plus tard « .

30 août 2006 : Preud’homme redevient entraîneur

Tout le staff technique est balayé suite aux mauvais résultats et aux déclarations tapageuses de Boskamp qui réclame des renforts via la presse. Preud’homme retrouve son costume de coach, Manu Ferrera (T2), Stan Van den Buys (scout), Jorge Veloso (entraîneur des gardiens) et Guy Namurois (préparateur physique) l’accompagnent.

Manu Ferrera :  » J’étais dans mon bistrot habituel, Place Collignon, à Schaerbeek, quand Michel m’a téléphoné. Le lendemain, je signais pour un an sans savoir que MPH serait mon T1. Il y avait du talent mais l’effectif ressemblait à un jardin d’enfants. Il fallait presque sortir le martinet pour les obliger à s’entraîner ensemble. La désorganisation générale sautait aux yeux. On a commencé par un succès au Lierse (dans les caves de la D1) avec le retour de Conceiçao après une blessure et une suspension. La confiance est venue au fil des résultats « .

3 mai 2007 : inauguration de l’Académie RLD

En présence de nombreuses personnalités, le Standard présente un outil de travail de qualité européenne : l’Académie Robert Louis-Dreyfus (centre de formation et QG du noyau A). Investissement : 15 millions d’euros. Le Standard prend les deux tiers à sa charge, le solde étant assuré par la Région wallonne. Un bijou dans un écrin de verdure.

Ali Lukunku :  » C’est magnifique avec un beau bloc jeunes, une unité ultra complète pour les professionnels. J’ai vu un outil comparable en Turquie, à Galatasaray. De 1998 à 2008, les installations du Standard se sont totalement transformées. Il y a 10 ans, l’outil était dépassé. Ce n’était pas la préhistoire mais l’écart avec l’étranger était très important. Si le club avait rencontré plus vite le succès, au lieu de passer à côté, comme c’est arrivé plusieurs fois, l’Académie aurait rapidement été érigée. Les prochains progrès passeront par une participation aux poules de la Ligue des Champions. Dommage que Liverpool soit leur prochain adversaire européen même si on ne sait jamais ce qui peut arriver sur un terrain « .

20 avril 2008 : champion en battant Anderlecht 2-0

Il fut long le chemin entre le 21 août 1998 et le 20 avril 2008. Invaincu en championnat, le Standard fête d’abord Defour qui reçoit son Soulier d’Or des mains de Zinédine Zidane. Au soir de la 31e journée de championnat, le Standard prend la mesure d’Anderlecht (2-0, deux buts de Dieumerci Mbokani) et retrouve le titre après 25 ans d’attente. Le signe indien est vaincu avec l’équipe suivante : Espinoza ; Marcos, Onyewu, Sarr (84′ Ingrao), Dante ; Goreux, Fellaini, Defour (89′ Dufer), Witsel ; Mbokani (88′ de Camargo), Jovanovic.

Milan Jovanovic :  » Ce titre est largement mérité. A mi-championnat, le Standard était le seul club invaincu. Nous avons pratiqué le jeu le plus offensif de D1. A partir du mois de janvier, personne n’a pu tenir notre rythme. La soirée du sacre contre Anderlecht restera à jamais inoubliable. En tant que joueur, c’est un privilège de vivre cela. Mais je songe d’abord au club, au staff qui était en place, aux supporters et à la région. Et ce ne sera pas un one shoot. Il y a beaucoup de travail derrière tout cela et une grosse stabilité dans l’équipe. L’organisation des lignes a peu bougé et l’effectif était moins large qu’on le pense. Cela ne nous a pas empêché de bousculer le Zenit Saint-Pétersbourg. Sur la scène belge, le Standard a pris de l’avance sur tous ses adversaires et dans tous les domaines : centre d’entraînement, formation et intégration des jeunes dans le noyau A, désir de bâtir un nouveau stade. Je suis persuadé que le Standard sera à nouveau champion cette saison « .

par pierre bilic – photos : belga

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