DU HEYSEL

Le stade Roi Baudouin accueille la finale de la Coupe de Belgique ce samedi. Dans le passé, il a été le théâtre de bien d’autres rencontres mémorables. Ah, si les pierres pouvaient parler… Nous leur avons prêté notre voix.

« La crise, vous dites, monsieur ? J’ai été construit juste avant le début de la pire crise mondiale la Grande Dépression des années 30, au siècle dernier. Elle a éclaté à cause d’une crise bancaire et d’une montagne de dettes. Tiens, où avons-nous déjà entendu ça ? 600 ouvriers ont travaillé jour et nuit, par tous les temps, pour moi. Et je n’étais pas n’importe quoi : 66.000 places debout, 9.000 assises, plus une tribune d’honneur couverte et une piste cycliste démontable, en bois et en acier. Celle-ci n’a pas survécu à la Deuxième Guerre mondiale car les Allemands ont utilisé le bois pour faire du feu.

Avant ma construction, il n’y avait d’ailleurs pas un seul ballon au Heysel. C’est moi qui ai changé les choses, avec la complicité de l’Atomium, construit dans les années 50 avec neuf boules. J’ai été inauguré le 23 août 1930, par un championnat du monde de cyclisme sur piste – gagné par un illustre inconnu français Lucien Michard. Attention, la date n’a pas été choisie au hasard. Elle était symbolique : cent ans plus tôt, par un lourd mois d’août 1830, les Pays-Bas du Sud, puisque nous nous appelions ainsi, se sont révoltés. Le règne de Willem Ier des Pays-Bas ne nous plaisait guère. Début octobre 1830, la Belgique avait gagné son indépendance. Un siècle plus tard, il convenait de fêter l’événement et c’est pour ça qu’on m’a d’abord baptisé Stade du Centenaire.

Le 14 septembre, j’ai été le théâtre du premier match de football. Contre les Pays-Bas, l’éternel ennemi. Comme cent ans plus tôt, nous avons dévoré ces têtes de fromage 4-1. C’était l’époque de Pierre Braine – frère de Raymond, de Désiré den Bis Bastin et surtout du Lierrois Bernard Voorhoof, qui reste le meilleur buteur de tous les temps de l’équipe nationale avec 30 buts en 61 matches. Paul Van Himst en a également inscrit 30 mais en 81 matches. Christian Benteke – 18 matches, 5 buts – et Romelu Lukaku – 27 matches, 5 buts – peuvent encore manger beaucoup de tartines avant d’arriver à la cheville de Bernard et de Paul !

Champion du Monde des matches amicaux

En parlant de Polle, il a cassé la baraque ici contre le Brésil. Quel match ! C’était le mercredi 24 avril 1963, je m’en souviens comme si c’était hier. 5-1 ! Contre le Champion du Monde en titre ! C’était déjà 4-0 après vingt minutes. D’accord, Pelé et Garrincha n’en étaient pas mais la Belgique n’alignait pas des minus non plus : Jean Nicolay, Laurent Verbiest, Léon Semmeling, Martin Lippens, Wilfried Puis, Paul Van Himst… Jacky Stockman, surnommé Zorro, a inscrit trois buts. Je me rappelle les titres des journaux :  » Blâme pour le Champion du Monde « ,  » Grandiose victoire des Belges sur le Brésil « . C’était une fameuse époque.

La performance de nos Diables sept ans plus tôt, face à la Hongrie, avait été aussi exceptionnelle : une victoire 5-4 ! Les Hongrois, qu’on surnommait les Magical Magyars, avaient battu le Brésil et l’Uruguay au Mondial 1954 et les avait remballés en Amérique du Sud avant de se heurter à une Allemagne de l’Ouest très solide en finale. Ils ont perdu 3-2 ce match qu’ils auraient dû gagner mais il faut dire qu’avec les Allemands, un match n’est jamais fini avant le coup de sifflet final. Même quand on s’appelle Ferenc Puskas ou Sandor Kocsis, le meilleur buteur de ce Mondial avec onze roses. Ils ont joué contre la Belgique.

J’ai vu passer bien des figures tragiques mais Kocsis figure dans mon top cinq. On l’appelait la Tête d’Or. Il a joué à Barcelone, l’a entraîné puis a ouvert un restaurant. Là, il a sombré dans l’alcool. Atteint d’un cancer, il s’est suicidé en sautant par la fenêtre de l’hôpital. Les Belges n’avaient pas de personnalités aussi flamboyantes mais des garçons réalistes comme Jef Mermans, Vic Mees, Richard Orlans et Jef Jurion. Battre la Hongrie était tout sauf évident, à l’époque. Les Magyars ont disputé 70 matches de 1949 à 1956. Ils en ont gagné 54, ont concédé onze nuls et cinq défaites. Chapeau donc à Richard et Cie !

La finale de la Coupe des Clubs Champions opposant le Real à Milan en 1958 a été la première grande joute au Heysel. En fait, les Busby Babes de Manchester United auraient dû jouer à la place des Italiens mais comme vous le savez, l’équipe a été victime d’une catastrophe aérienne à son retour du match de quarts de finale contre l’Etoile Rouge de Belgrade. Après une escale à Munich, l’avion emmenant Matt Busby et ses joueurs s’est écrasé lors du décollage. Huit joueurs, parmi lesquels les internationaux Roger Byrne, Duncan Edwards et Tommy Taylor, sont morts. Les demi-finales contre Milan ont ressemblé à un enterrement pour Manchester.

 » Allez, Jef, fais quelque chose  »

Le Real a aligné une attaque légendaire : Paco Gento, Alfredo Di Stefano et Raymond Kopa. Gento était un ailier gauche ultra-rapide. Il a gagné la Coupe aux grandes oreilles à six reprises avec le Real : en 1956, 1957, 1958, 1959, 1960 et en 1966. Un record. Di Stefano a marqué un but lors des cinq finales consécutives remportées par les Madrilènes, un fait unique. Et le petit Français Kopa est, avec Lionel Messi, le seul joueur à avoir terminé dans le top trois du Ballon d’Or à quatre reprises – il l’a gagné en 1958. 67.000 personnes avaient pris place dans les tribunes. Elles ont assisté à un match fantastique, qui s’est achevé sur le score de 3-2 pour les Espagnols.

Le Real a mordu la poussière ici aussi, contre Anderlecht. Nous parlons là du premier tour de la C1, en 1962-1963. Les Mauves avaient réussi un petit miracle au stade Bernabeu : 3-3, avec des buts de Van Himst, Puis et Jean-Pierre Janssens. Rik De Saedeleer, un habitué de la maison, commentait le match retour pour la BRT. À dix minutes du terme, Pierre Hanon a passé le ballon à Jurion. J’ai entendu De Saedeleer hurler dans son micro :  » Allez, Jef, fais quelque chose !  » Jurion n’a pas paru l’entendre car il a pivoté, comme s’il ne savait que faire. Puis, ballon au pied, il a foncé vers le but et a tiré des vingt mètres. Goal ! C’est resté 1-0 et Anderlecht a poursuivi sa campagne européenne. Après le match, Amancio, un des Espagnols, était si frustré qu’il a mordu un savon.

L’équipe allemande la plus puissante que j’ai connue, à part celle de 1940-1945, est celle de la finale de l’EURO 1972. Elle recelait un joueur de classe mondiale dans chaque ligne : Sepp Maier dans le but, Franz Beckenbauer au libéro, le régisseur Günter Netzer dans l’entrejeu, et devant, Der Bomber, Gerd Müller. Il y avait aussi Paul Breitner, Uli Hoeness, Jupp Heynckes… Une machine impossible à freiner. Six des onze internationaux portaient le maillot du Bayern, qui avait atteint le sommet de son art, avec sept footballeurs âgés de 27 à 29 ans.

Uli Hoeness, vingt ans, était le plus jeune. D’équipier de Netzer, il est devenu le patron du Bayern ! La vie a de ces détours ! En finale, l’Allemagne de l’Ouest affrontait l’Union Soviétique. Ce fut un oneteamshow, une leçon de football. J’ai rarement vu pareille démonstration. Un moment donné, la Mannschaft a donné vingt passes d’affilée. Les Russes étaient perdus. Si le score s’est limité à 3-0, c’est à cause de la nonchalance de Netzer et de la malchance d’Hoeness, dont le tir a heurté le poteau. Müller a inscrit deux buts, ce qui a porté son total à quatre, assez pour être élu meilleur buteur du tournoi.

Deutschland über alles

On dit souvent que l’Allemagne s’appuie sur sa puissance et son abattage mais cette équipe-là possédait bien plus d’atouts. Beckenbauer et Netzer étaient deux leaders élégants, empreints de classe. Netzer était contesté à cause de son arrogance et de son attitude rebelle. Deux ans plus tard, au Mondial allemand, il a dû céder sa place à un joueur qui possédait encore plus de classe, Wolfgang Overath, le meneur de jeu du 1. FC Cologne, qui avait davantage l’esprit d’équipe.

Netzer n’a donc disputé que 37 matches internationaux. C’est peu pour un numéro dix qui a fait fureur au Borussia Mönchengladbach puis au Real Madrid. Dans la finale du Mondial, les Allemands, qui alignaient à peu de chose près la même équipe qu’à l’EURO 1972, ont battu les Pays-Bas de Rinus Michels et de Johan Cruijff par deux buts à un. Et qui a inscrit le but de la victoire ?… Gerd Müller.

Soit, revenons à cet EURO 1972. Il aurait dû être le tournoi des Belges. Les Diables Rouges avaient passé les premiers tours les doigts dans le nez et avaient terminé premiers d’une poule comprenant aussi le Portugal, l’Ecosse et le Danemark. En quarts de finale, ils ont été confrontés à la rude Italie en aller-retour (0-0, 2-1). À domicile, Paul Van Himst et Wilfried Van Moer ont fait la différence. Enfin, à domicile… Chez mon voisin, le stade Constant Vanden Stock, qui s’appelait encore Stade Émile Versé.

Seuls quatre pays participaient à l’EURO proprement dit, au tour final : la Belgique, la Hongrie, l’URSS et l’Allemagne. Les Diables Rouges ont eu la malchance d’être confrontés à la Mannschaft en demi-finale. Le Bosuil était comble – 55.000 spectateurs, m’a-t-on dit – et les Belges ont signé un excellent match mais ils se sont heurtés au Bomber, qui a frappé à deux reprises. Lon Polleunis a réduit l’écart mais le marquoir est resté bloqué à 2-1. La Belgique a disputé la petite finale, qu’elle a gagnée 2-1 face à la Hongrie, sur des buts de Van Himst et Raoul Lambert.

Maier, Beckenbauer, Breitner, Müller, Hoeness et Hans-GeorgSchwarzenbeck – les six joueurs du Bayern qui faisaient partie de l’équipe 1972 – ont retrouvé ma pelouse deux ans plus tard, cette fois pour la finale de la C1 contre l’Atletico Madrid. Les footballeurs les plus connus de cette formation étaient Miguel Reina, le lynx de Cordoue et le père du gardien du Napoli, Pepe, José Eulogio Garate, l’élancé avant hispano-argentin, et Luis Aragones, qui vient de décéder et qui a conduit l’Espagne au sacre européen en 2008.

Une finale de Coupe historique entre Anderlecht et Bruges

Après 90 minutes, le score était toujours de 0-0 et on a joué les prolongations. À cinq minutes de leur terme, Aragones a botté un coup franc à côté du mur et Maier est resté cloué au sol : 0-1. L’Atletico croyait que c’était dans la poche mais…. Ça ne l’est jamais avec les Allemands. A vingt secondes du coup de sifflet final, Schwarzenbeck a surgi et a armé son tir des 35 mètres. Reina n’a pas vu le ballon arriver : 1-1. À cette époque, on ne procédait pas encore aux tirs au but. On a joué le replay deux jours plus tard et les Bavarois se sont aisément imposés 4-0 – deux buts d’Hoeness et deux de Müller – qui d’autre ?

Les kets d’Anderlecht ont joué deux grands matches ici dans les années 70. En 1976, ils ont disputé la finale de la Coupe des Vainqueurs de Coupes contre West Ham United et en 1977, ils ont affronté le Club Bruges en finale de la Coupe de Belgique. Les Mauves ont aligné à peu près la même formation les deux fois. Jan Ruiter, Gille Van Binst, Hugo Broos, Jean Thissen, Jean Dockx, Arie Haan, Ludo Coeck, Frank Vercauteren, François Van der Elst et Peter Ressel ont joué les deux matches.

Il y a eu deux grandes différences d’un match à l’autre : en Coupe d’Europe, l’entraîneur des Mauves était le Hollandais Hans Croon, qui céda le relais au cours du même été à Raymond Goethals. Quant à Robby Rensenbrink, il avait été l’artisan de la victoire des Sportingmen face aux Hammers (4-2) en prenant deux buts à son compte (les deux autres étant marqués par Swatje Van der Elst) mais était absent, un an plus tard, contre le Club.

Un autre étranger avait joué le premier rôle ce jour-là : Roger Davies. Le longiligne avant britannique de Derby County avait été recruté en 1976 par Antoine Vanhove, le directeur sportif du Club Bruges, pour remplacer Raoul Lambert, qui commençait à craquer de partout. Croyez-moi, je sais de quoi je parle… Ernst Happel n’en a pas cru ses yeux en découvrant sa recrue :  » Que vient faire ce type ici ? Je ne peux pas travailler avec ça. Qu’il aille jouer à Avanti Bruges, le club de basket.  »

Mais Davies a serré les dents et il a marqué 14 buts en championnat, prenant une part importante dans le titre des Brugeois. Il s’est distingué en Coupe de Belgique également. Après une demi-heure, Birger Jensen, le gardien du Club, n’avait pas encore touché un ballon mais Anderlecht menait 3-1, grâce à trois tirs à distance. Le Club est revenu à 3-2 avant la pause et ensuite, Davies a battu Jan Ruiter à deux reprises.

Quand l’Anglais a égalisé, De Saedeleer s’est fait lyrique au micro :  » Quel superbe but de Roger Davies ! C’est le flegme britannique, le calme britannique.  » A l’issue du match, Vanhove a rebaptisé la Coupe la Davies Cup. Happel, pas très rassuré, était sur les épaules de ses joueurs. La saison suivante, les Bleu et Noir ont perdu la finale de la C1 1-0 contre Liverpool.

Un deuxième centenaire ?

Liverpool… Le nom est tombé. Depuis ce drame en 1985 – je déteste en parler et je vais le passer sous silence, j’ai longtemps vécu dans le calme mais grâce aux Diables Rouges, mes fondations recommencent à trembler. Oui, j’aime bien voir arriver ce Marc Wilmots et ses footballeurs. D’ailleurs, le Kampfschwein(cochon de combat, le surnom qu’on lui avait donné à Schalke 04, ndlr) a joué lors d’un de mes derniers moments de gloire internationale : le match de la Belgique contre la Suède à l’EURO 2000. Emile Mpenza a été l’homme du match. Maintenant, je suis contraint de me rabattre sur le passé. Reconnaissez-le : j’ai vécu pas mal de choses. Encore seize ans et, si je suis encore là, j’aurai cent ans. Encore un centenaire… La Ghelamco Arena est loin du compte, hein !  » ?

PAR STEVE VAN HERPE

 » J’aime bien voir arriver Marc Wilmots et ses joueurs.  »

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