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DU CÔTÉ DE CHEZ SWAL

C’est peut-être le tube de l’année du Essevee. Mais de Créteil à Zulte Waregem, en passant par Auxerre et Lille, Soualiho Meïté se compose sur un rythme saccadé. Comme un enfant de son siècle, Swal doit réapprendre le solfège pour devenir son propre chef d’orchestre.

13 secondes. Soit un laps de temps restreint pour une première fois réussie. Sauf qu’en termes de première, Soualiho Meïté fait très fort. Il bat même des records. Le médian français, d’origine ivoirienne, débarque au Gaverbeek sur la pointe des pieds. Mais force la porte d’entrée. Il ne s’agit seulement que de sa cinquième rencontre en Belgique lorsqu’il reçoit cette carte rouge à Courtrai (1-0), dans la foulée de sa montée au jeu. Jamais un joueur n’avait fait un aller-retour aussi rapide entre le banc et les vestiaires. Mais si la vitesse n’est pourtant pas son domaine de prédilection, le natif de Paris ne se démarque pas non plus par son agressivité sans limite.

Trois printemps en arrière, Swal (en phonétique), comme le surnomment ses potes, dispute l’EURO des U19 sous la vareuse bleu-blanc-rouge. Pour se révéler aux yeux de la ribambelle de recruteurs présents, et avant même de penser aux pupilles de notre Royaume, le déjà stoppeur choisit un pays plutôt voué au basket qu’au football : la Lituanie. Tour à tour titulaire brillant et remplaçant de circonstance, il oscille en dents de scie dans une génération plus que pétrie de talents. Il partage les vestiaires avec Aymeric Laporte (Bilbao), Benjamin Mendy (Monaco) et Adrien Rabiot (PSG), sa chambre avec Kurt Zouma (Chelsea), entre autres.

Dans les mémoires françaises, l’année 1994 reste celle d’une croisière qui file sans elles d’outre-Quiévrain au mondial outre-Atlantique. La désillusion se réincarne paradoxalement en une flopée de diamants bruts. En demis, les petits Bleus attendent les prolongations pour marcher sur l’Espagne (2-1). En finale, ils retrouvent la Serbie de Aleksandar Mitrovic, déjà croisée en poules (1-1).

Lucas Rougeaux s’assied sur le banc. Le défenseur de Courtrai raconte :  » On a complètement raté notre finale. Peut-être qu’on s’est mis trop de pression. On perdait déjà à la mi-temps (1-0) et le coach (Francis Smerecki) nous a dit de nous faire plaisir, sinon on allait s’en mordre les doigts. Mais on n’a pas réussi à se lâcher et à refaire notre retard. Je vois encore les visages de tout le monde. On était tous trop dégoûtés. Chacun est vite rentré dans son club, c’était affreux comme moment…  »

Resté sur la touche, c’est le premier rendez-vous manqué par Soualiho Meïté, pas le dernier. À 18 ans, il gagne déjà sa place sur le pré de l’AJ Auxerre, redescendu en Ligue 2, et signe six mois plus tard à Lille, à l’étage supérieur. Soualiho grimpe logiquement dans le train qui se présente à lui. Il oublie par la même occasion qu’un itinéraire avec escales vaut parfois mieux qu’un trajet avec jet lag. Une constante appelée à filer dans le rayon souvenir pour celui qui règle désormais sa montre sur celle de Franky Dury. La synchronisation qu’il lui fallait.

UN BEAU BÉBÉ

Parce que l’appétit, Soualiho l’a toujours eu. Un peu trop même.  » J’étais plutôt obèse, je mangeais trop. J’ai maigri en jouant au football « , nous dit-il en novembre dernier. L’ensemble de ses contemporains s’accordent sur une chose. Meïté est un  » beau bébé « , qui pèse actuellement pas moins de 90 kilos pour 188 centimètres. Une force de la nature qui travaille constamment pour brûler ses 12 % de masse graisseuse. Cette tendance à prendre de la place tient peut-être du fait qu’il a grandi au beau milieu de quatre soeurs aînées, qui le choient comme le petit dernier qu’il est. À Créteil, il pousse naturellement ballon au pied.

En provenance de Côte d’ivoire, ses parents s’installent en bordure parisienne deux ans avant sa naissance et bossent alors dans un hôpital.  » Nous n’étions pas riches, mais pas démunis non plus « , analyse le principal intéressé.  » Si j’avais besoin de vêtements, ou de chaussures de foot, je les recevais.  » C’est tout ce que le jeune Swal demande.

À l’époque de ses premières foulées sur les prés, l’idole de toute une capitale danse la samba les soirs de matches au Parc des Princes. À défaut d’avoir le même sourire et la même gestuelle, Meïté use ses crampons pour reproduire les dribbles et les coups de génie de Ronaldinho. Il sculpte sa technique, son mauvais pied aussi. Si bien que les observateurs se demandent si le droitier n’est pas gaucher.

Celui qui s’inspire aujourd’hui plutôt de Luka Modric, comme il le confiait récemment à nos confrères de la RTBF, cultive ainsi son élégance et son aisance technique alors qu’il bénéficie déjà de grosses capacités physiques. En avance, il incarne la définition même d’un box-to-box qui prend pour donner, qui confisque pour offrir.

Des plaines de jeux de son quartier, il voit d’abord sa licence tamponnée par le FC Gobelins, dans le 13e arrondissement de la capitale. S’il est naturellement au-dessus, Meïté y passe cinq ans avant de rejoindre le CO Vincennes, un peu plus haut, en 2006. Forcément, les talents préadolescents du vivier parisien sont légion et les souvenirs qu’il laisse ne sont pas nécessairement impérissables.

CUVÉE 94

Il n’échappe toutefois pas à la longue vue de la réputée formation d’Auxerre. Le Vincennois d’une saison rallie donc la Bourgogne à 13 ans, à un gros vol d’oiseau de 160 kilomètres du cocon familial.  » Soualiho, c’est le top, on se régalait avec lui « , rembobine Raphaël Calvet, Auxerrois pure souche, pote de club, bientôt de sélection.

 » J’ai toujours apprécié jouer derrière lui. Il est très complet. Et il a toujours été à fond, il ne s’est jamais enflammé. Même si on pourrait dire le contraire parce que c’est un bon vivant.  » Il faut dire que Meïté s’épanouit vite. Plus costaud, plus technique, il connaît son tout premier déclic.

Swal commence les choses sérieuses et réduit les excès. Tous les jours, ou presque, il squatte la salle de musculation de l’académie auxerroise. Trois ans plus tard, il est appelé parmi les U16 français. Il y croise Tiémoué Bakayoko, qu’il pourrait être amené à remplacer à Monaco dans un futur proche, Sébastien Haller, aussi produit bourguignon désormais artificier d’Utrecht, ou encore Paul Nardi, location du Cercle, et Quentin Beunardeau, le titulaire dans les cages.

 » En sélection, c’était un titulaire quasiment indiscutable « , assure ce dernier, actuellement chez les Sang et Or de Tubize.  » Il était déjà développé physiquement et techniquement au-dessus du lot. C’était l’un des piliers de l’équipe et l’un des plus en place.  »

La cuvée 94 se retrouve au Mexique pour le mondial U17 en 2011. Soualiho Meïté démarre par un tour de force sur les Argentins (3-0). Il expose enfin son amour pour le jeu dans les espaces réduits et n’a rien à envier aux Mendy, Rabiot et consorts. Rougeaux :  » Ça a toujours été un super joueur. C’est un des rares à allier aussi bien finesse technique que puissance physique. Il a de la percussion, une bonne frappe, une belle vision du jeu et c’était souvent lui qui organisait nos offensives.  »

L’aventure s’arrête néanmoins dès les quarts contre le pays organisateur (1-2), futur vainqueur de l’épreuve. S’il retrouve Haller à Auxerre, Meïté côtoie également d’autres phénomènes. Surclassé avec son compère Calvet, il fait ensuite partie du groupe de la CFA d’Auxerre, au quatrième échelon français.

PAS UN ABOYEUR

À nouveau, entre Yaya Sanogo (Crystal Palace), Jean-Charles Castelleto (Red Star, ex-Club et Mouscron) et Paul-Georges Ntep (Wolfsburg), il ne dépareille pas. Bien au contraire, il saupoudre son grain de sel dans un franc esprit de camaraderie.

 » Ils savaient tout faire. C’était des bons vivants, dans le sens de gros chambreurs qui mettaient l’ambiance « , rembobine avec plaisir Simon Pontdemé, troisième portier du moment.  » Ils avaient plusieurs défis à l’entraînement, comme celui de mettre des petits ponts à tout le monde. Pour certains, ça pouvait paraître hautain de l’extérieur, mais pour moi, ce n’était pas un manque de respect, ce n’était pas provocant.  »

Meïté gagne le droit de s’installer dans le vestiaire élite, lieu intermédiaire entre la CFA et le groupe pro, avec qui il s’entraîne progressivement. Alors, évidemment,  » quand tu dribbles deux fois de suite un ancien, il ne faut pas s’étonner qu’il te soulève la troisième fois « .

Parallèlement, la maison auxerroise est en proie à des difficultés financières et en pleine restructuration. Les dirigeants décident de miser sur sa jeunesse jadis dorée, dans tous les sens du terme, afin d’espérer renflouer les caisses.

 » Je suis parti du fait que j’allais m’appuyer sur les jeunes de la CFA pour alimenter l’équipe première « , explique l’ancien coach du RWDM, Jean-Guy Wallemme, qui prépare alors la relégation à l’étage inférieur.

 » Soualiho faisait partie d’une grosse génération dont Ntep était l’étendard. Il a beaucoup plus de caractère et Meïté est très posé, très introverti. Il a dû se forger un caractère par la suite.  » Rougeaux parle justement de  » quelqu’un de posé « , qui n’est pas un  » aboyeur « ,  » plutôt un leader technique « . Un sergent naturel qui prend l’ascenseur comme un bon point de départ.

DEUX DIPLÔMES

2011 sonne comme son premier contrat pro, sorte de récompense à son diplôme de comptabilité fraîchement obtenu, et ses premiers instants en Ligue 1. L’AJA lui offre 11 petites minutes à Valenciennes en novembre, puis une titularisation en mars 2012.

Meïté profite des suspensions de Georges Mandjeck et d’Édouard Cissé, avant d’être… remplacé à la mi-temps. Sa nonchalance apparente gâche son volume de jeu potentiel.

Sur les conseils de Wallemme, il reste en Bourgogne malgré le forcing d’entités de L1 et de l’étranger.  » Il avait des qualités qui collaient bien avec la situation, vu son gabarit « , analyse la légende lensoise.  » En Ligue 2, il faut répondre présent dans le football mais aussi et surtout dans les duels. Mon idée était de le faire évoluer un cran plus haut qu’à son habitude, en relayeur. Il a cette possibilité technique de porter le jeu vers l’avant.  »

Freiné en début d’exercice par une pubalgie, il parvient à revenir plus fort pour attirer le chéquier lillois, qui aligne deux millions et demi à l’hiver 2013 et le laisse en prêt dans la foulée. Au même moment, Sanogo s’envole pour l’Emirates Stadium d’Arsenal quand Paul-Georges Ntep, qui affole les défenses de L2, part à Rennes l’année suivante.

Une fuite des cerveaux significative de la situation du club. Wallemme :  » Ils se sont retrouvés dans une génération de transition, entre un âge d’or et une période très difficile qui se poursuit aujourd’hui.  » Si l’AJA joue son maintien actuellement, Soualiho Meïté rejoint à l’époque un LOSC en pleine mutation.

Nouveau stade, nouvelles infrastructures et nouvelles ambitions synonymes d’un besoin de résultats pressant. Meïté arrive au Domaine de Luchin en espoir qu’il est, mais doit d’entrée faire face à une rude concurrence emmenée par le chevronné Rio Mavuba à son poste. René Girard, son T1, apprécie le profil de cet élégant milieu défensif. Il le titularise dès la troisième journée, en plein chaudron stéphanois. Mais Swal peine encore à convaincre et la direction lilloise s’impatiente de ne pas récolter les fruits de son investissement. En clair, Meïté chope le melon.

UNE CLAQUE À LILLE

 » Je suis tombé dans la facilité « , analyse- t-il.  » J’étais trop sûr de moi. J’étais persuadé que, quoi que je fasse, je jouerais, car personne n’avait plus de qualités que moi. Je me prenais pour Cristiano Ronaldo.  » À des années-lumière de CR7, SM12 n’écoute ni ses parents, ni ses entraîneurs successifs et voit logiquement son temps de jeu diminuer.

 » René Girard et Frédéric Antonetti sont des personnalités fortes, c’était dangereux pour lui. Il a dû bouder plutôt que de se montrer à l’entraînement et ce n’est pas le genre de choses qui marchent avec ces deux-là « , pense Jean-Guy Wallemme.

 » Chaque entraîneur qu’il a croisé au club disait la même chose : il a des qualités intrinsèques au-delà de la moyenne « , converge Jean-Michel Vandamme, directeur général adjoint du LOSC.  » Mais il a tardé à trouver une certaine forme de maturité. Il a eu du mal à s’imposer, sûrement par manque d’expérience du haut niveau. Je crois savoir qu’il s’est stabilisé dans sa vie privée. C’est une bonne chose.  »

Placardisé à Lille, qui réfléchit  » doucement mais sûrement  » au futur du joueur avec son entourage et Zulte, Swal devient la clé de voûte du Gaverbeek.  » Il a toutes les capacités pour réussir mais maintenant, est-ce qu’il est prêt à faire des sacrifices ? « , pose Édouard Cissé.  » Je pense qu’il a fini par prendre des claques, ça fait toujours du bien. Il fallait qu’il comprenne la vie. Mais peu importe la façon dont tu comprends, l’important c’est que tu comprennes.  »

Et d’en donner quelques-unes en retour…

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

 » À Lille, j’étais persuadé que je jouerais car personne n’avait plus de qualités que moi. Je me prenais pour Cristiano Ronaldo.  » SOUALIHO MEÏTÉ

 » Soualiho faisait partie, à Auxerre, de ces joueurs livrés à eux-mêmes, qu’on a laissé partir trop vite.  » ÉDOUARD CISSÉ

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