Du Bayern aux Diables

Le grand arrière central met les choses au point sur certaines souffrances et incompréhensions dans les équipes de Klinsmann et Vandereycken.

Le train qui nous ramène à l’aéroport de Munich se fraye un chemin entre les derniers flocons d’un hiver qui n’en finit pas de se traîner. Le retour des qualifications pour le Mondial doit pourtant marquer le coup d’envoi du printemps et ce samedi, face à la Bosnie, les Diables vont tenter de rester dans le coup. Daniel Van Buyten, que nous laissons derrière nous dans la capitale de la Bavière, est le dernier buteur des Diables. Contre la Slovénie, il a secoué les filets à deux reprises.  » Trois, même « , objecte-t-il.  » L’arbitre a sifflé un peu vite sur le troisième…  »

A 28 ans, Daniel s’enthousiasme toujours énormément pour les choses simples du foot : les buts, l’ambiance dans un stade, un beau geste technique, une puissante intervention de la tête… Rien de tout cela ne laisse indifférent ce garçon sensible. Et c’est sans doute pour cela que la critique lui fait parfois mal. Que ce soit chez les Diables ou au Bayern, il a parfois dégusté. Mais jamais il n’a abandonné. Il s’est accroché, pour revenir plus fort et prouver qu’il a la carrure internationale.

A la Säbener Strasse, le superbe centre d’entraînement du Bayern, il nous explique les moments par lesquels il est passé cette saison. En face de son assiette d’£ufs brouillés, on comprend que la joie et la peine se sont souvent mélangées dans sa tête avant que l’optimisme finisse par l’emporter. Et Van Buyten est en très grande forme pour aborder les rendez-vous importants du printemps, que ce soit avec son club, qui vise les demi-finales de la Ligue des Champions, ou avec les Diables.

 » La deuxième place du groupe est possible « , dit-il d’emblée.  » Il faut gagner les deux matches contre la Bosnie. Ce ne sera pas facile car ils ont de bons joueurs. Heureusement, Vedad Ibisevic, l’attaquant de Hoffenheim, n’est pas encore rétabli mais il reste Edin Dzeko, déjà auteur de 13 buts cette saison avec Wolfsburg, et Sejad Salihovic, le médian de Hoffenheim. Il vient de changer sa façon de tirer car il en avait raté quelques-uns mais je n’en dis pas plus : je réserve ces informations à notre coach et à notre gardien. Chez nous, nous devons être capables de battre les Bosniaques. Là-bas, gare à la casse. J’espère que la fédération ne nous enverra plus dans l’hôtel juste à côté du stade de Zenica. Avant le match, il y a trois ans et demi, on n’avait pas pu faire la sieste tellement les supporters faisaient du bruit. En plus, l’endroit était miteux, il n’y avait pas d’air conditionné et nous avions dû dormir la fenêtre ouverte tellement il faisait chaud. Sergei Barbarez, qui jouait alors avec moi à Hambourg, m’avait prévenu et je l’avais signalé mais on avait quand même réservé là. J’espère qu’on ne fera plus la même erreur. Il y a un hôtel de meilleure qualité à 25 minutes, ce n’est pas la mort. Au Bayern, aussi, nous faisons 25 minutes de car pour chaque mise au vert…  »

 » Je confirme : les Diables doivent mieux communiquer ! « 

Il est comme ça, Van Buyten. Quand il y a un avis à donner et qu’il pense que cela peut faire du bien, il donne le fond de sa pensée. Même si, parfois, ça se retourne contre lui. Comme lorsqu’il avait déclaré, après le match contre l’Espagne, que la communication au sein des Diables rouges n’était pas suffisamment bonne. Timmy Simons, le capitaine des Diables, l’avait mal pris :  » Ce genre de commentaires doit se faire dans le vestiaire « , avait-il tonné.

Aujourd’hui, Daniel revient sur le sujet :  » Un journaliste m’avait demandé ce que je pensais encore pouvoir améliorer et j’avais répondu que, point de vue communication, nous étions encore perfectibles. C’est d’ailleurs toujours le cas. Quelques-uns en ont profité pour placer mes paroles dans un contexte Flamands-Wallons et en faire une affaire communautaire. C’est ridicule parce que les néerlandophones connaissent suffisamment de vocabulaire en français pour jouer un match de foot et les Wallons en savent suffisamment en néerlandais aussi. Mais c’est comme ça depuis que je joue en équipe nationale : on tente toujours de faire des histoires. J’ai pris l’entraîneur et Timmy à part, et je leur ai expliqué le fond de ma pensée. Finalement, si on doit améliorer quelque chose, c’est le climat autour de l’équipe nationale. C’est pour ça que je suis content d’avoir marqué deux buts contre la Slovénie : si nous n’avions pas gagné ce match là, dans quel état d’esprit aurions-nous préparé les rencontres capitales face à la Bosnie ? »

 » Le Bayern s’est retrouvé cinquième quand je ne jouais pas… « 

Chez nous, les clichés gardent manifestement la vie dure. Van Buyten le ressent… jusqu’à Munich où, lorsqu’il ne joue pas, on ressort les mêmes poncifs : pas assez rapide, trop juste pour le top niveau international…  » En fait, il faut venir voir ce que cela représente de jouer pour le Bayern « , avance-t-il.

Nous l’avons donc fait à deux reprises. La première lors du quart de finale de Coupe d’Allemagne au Bayer Leverkusen, perdu 4-3 et où il n’est entré au jeu qu’à dix minutes du terme… comme attaquant ; et la seconde lors de la rencontre de Ligue des Champions face au Sporting Lisbonne, atomisé 7-1 avec Van Buyten en titulaire comme stopper gauche, aux côtés de Lucio.

Première constatation : Van Buyten n’est pas aussi lent qu’on veut bien le dire chez nous. Il avait pourtant affaire à Djalo, un des attaquants les plus rapides du championnat du Portugal. Celui-ci a essayé à plusieurs reprises de le prendre de vitesse, en vain.  » Je me retourne difficilement mais c’est normal : j’ai des jambes de 1,40 m. Aux tests physiques, je suis le plus fort du noyau en endurance. Et en vitesse pure, départ arrêté, je suis un des plus rapides du Bayern. Viens faire un sprint avec moi, tu vas voir les mètres que je vais te mettre.  »

Deuxième constatation : il se sert aisément de son pied gauche, tant pour les interceptions que pour les relances courtes.  » A force de jouer à gauche, j’ai appris « , assure-t-il.  » Lucio, MartinDemichelis, Breno et moi sommes tous les quatre droitiers. Ces histoires de pied, c’est pire pour les attaquants qui perdent chaque fois des dixièmes de seconde avant de frapper.  »

Mais voilà : ces derniers temps, Daniel Van Buyten n’a pas beaucoup joué. Pas assez à son goût, en tout cas. D’autant que, hormis en Ligue des Champions, le Bayern ne livre pas une toute grande saison. Déjà éliminé en Coupe d’Allemagne, il risque également de perdre son titre.  » La première saison où j’étais ici, on avait dit que les renforts n’avaient pas suffisamment de qualités « , rappelle-t-il.  » Mais cette fois, avec l’équipe que nous avons, nous nous sommes retrouvés cinquièmes. Et quand je ne jouais pas. « 

 » J’évolue dans un club extraordinaire, celui de mes rêves « 

Par deux fois, Big Dan a joué de malchance : il a été malade au moment où il aurait dû être titularisé. Voilà pourquoi, il a laissé échapper toute sa frustration après le match aller au Sporting Lisbonne. Depuis, les journalistes allemands ne le lâchent plus. Ils sont toujours à l’affût d’une déclaration tapageuse mais Daniel est prudent.  » Demandez à ceux qui jouent « , répond-il quand l’un d’entre eux s’inquiète de savoir si tout le groupe est toujours derrière Jurgen Klinsmann.

Et il a rejoué : il vient en effet d’être titularisé trois fois de suite : contre Hanovre, contre le Sporting et à Bochum mais n’est monté au jeu qu’à la 83e contre Karlsruhe ce week-end.  » J’ai pris sur moi « , avoue-t-il.  » La situation ne me plaisait guère parce que je n’avais pas l’impression d’être jugé sur mes prestations. Alors j’ai continué à bosser, je savais que c’était la seule solution. « 

Quitter le Bayern, il n’en a jamais été question. Il songerait même plutôt à prolonger, même si les discussions à ce sujet n’auront sans doute pas lieu avant septembre.  » J’évolue dans un club extraordinaire, celui de mes rêves. Pourquoi partir ? Les gens ne se rendent pas bien compte : 70.000 personnes, un manager formidable, un centre d’entraînement qui est une véritable maison. Il y a même une baby-sitter pour ceux qui n’ont personne pour garder les gosses à la maison. Je suis à 10′ de la maison et à 20′ de la montagne où je vais souvent m’oxygéner ou faire de la luge. Je domine la langue et je gagne très bien ma vie. Partir pour aller où ? Plus haut ? Difficile. Je pourrais rejoindre un plus petit club mais je ne serais pas certain de plus jouer qu’ici. Il suffit de tomber sur un entraîneur qui ne m’a pas à la bonne et je me retrouve sur le banc avec un salaire nettement inférieur. Même Franck Ribéry réfléchit : il peut aller au Real mais il voit que Rafaelvan der Vaart ne joue pas et il sait qu’à Barcelone, on n’est pas spécialement satisfait de ThierryHenry, même cette saison. Frank s’est adapté ici et il est le roi au point qu’il se demande s’il ne ferait pas mieux de rester.  »

 » J’ai aidé Hambourg à arriver en Ligue des Champions « 

Daniel avoue que, point de vue ambiance, confraternité, il regrette parfois un peu Hambourg.  » C’est un club où je me suis senti chez moi du début à la fin. Et surtout, je suis fier d’avoir contribué à atteindre l’objectif, qui était de disputer la Ligue des Champions. J’ai écarté plusieurs offres avant de m’en aller. Mais celle du Bayern, je ne pouvais pas la laisser passer. Imaginez : cette Ligue des Champions, nous pouvons maintenant la gagner. Le plus difficile, ce sera les quarts. Après, la motivation va jouer et le Bayern est moins blasé que les autres. « 

Dernière constatation avant de reprendre la route. Au Bayern, Van Buyten est très apprécié et Uli Hoeness, le manager, nous le confirme :  » Daniel fait partie du groupe à part entière. Nous aimons sa disponibilité, son engagement, son caractère. C’est un leader. Il trouve qu’il joue trop peu ? Vous savez, au Bayern, hormis quelques stars, tout le monde a des raisons de penser qu’il joue trop peu. C’est ce qui fait la force de notre groupe.  »

Les journalistes aussi sont désormais convaincus du talent de Van Buyten. Après son but contre Hanovre, le très sérieux Frankfurter Allgemeine Zeitung écrivait :  » Pour le moment, le Bayern a surtout besoin de joueurs comme le Belge, des gars qui placent l’engagement avant le beau geste, qui savent attaquer et défendre, qui mordent sur leur chique et ne tombent pas au moindre contact.  »

Et même les supporters, pourtant si exigeants, n’en démordent pas.  » Van Buyten est meilleur ici qu’il ne l’était à Hambourg « , nous dit l’un d’entre eux.  » La saison dernière, le duo Lucio-Demichelis était incontournable alors que cette fois, Van Buyten est bien meilleur que l’Argentin. « 

Lorsqu’il quitta le terrain, blessé à la cheville, après son but contre Hanovre, Daniel eut d’ailleurs droit à une standing ovation.  » J’en étais tout ému « , reconnaît-il. Sensible, qu’on vous disait…

par patrice sintzen

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