DROIT AU BÜT

Anderlecht semble avoir trouvé son arrière gauche. Alexander Büttner, un Hollandais percutant et flamboyant mais qui a su garder les pieds sur terre.

La séquence, tournée par une chaîne locale, est sur YouTube. Kleintjeskamp est un quartier spécial de Doetinchem. Cet ancien camping a fait place à des maisons mais l’ambiance d’avant est intacte. Le 21 août 2012, c’est la fête : ballons, stands, chanteurs. Le quartier célèbre le transfert d’Alexander Büttner de Vitesse Arnhem à Manchester United. Le joueur, qui ne se doute de rien, passe dans tous les bras. Ses voisins, en maillot de bain ou en chemise sans manches, sont heureux de sa réussite.

 » Je suis fier de mon quartier « , affirme Büttner face à la caméra.  » J’y conserverai toujours une maison.  » La bière coule à flots mais Büttner n’en boit pas une goutte. Une leçon de son père.  » Il a porté le maillot de De Graafschap, de Go Ahead Eagles, du FC Twente, de Vitesse et du NEC. Il paraît qu’il était un excellent ailier droit, audacieux et fin technicien. Il demandait à son adversaire direct s’il avait une planche à se mettre entre les jambes, parce que sinon, mon père allait passer le ballon par là. Mon père était un fêtard, ce qui l’a empêché de retirer le maximum de sa carrière. Il préférait aller au bistrot que de s’entraîner. Guus Hiddink devait toujours aller le chercher : ainsi, le club était certain qu’il viendrait à l’entraînement. Hiddink me répète de ne pas faire comme lui.  »

Christiaan Büttner :  » Nos enfants ont reçu une éducation très sévère. A douze ans, je les ai obligés à regarder des documentaires sur les effets de la drogue et de l’alcool. Ils ont tous achevé leurs humanités et n’ont pas connu de problèmes. Notre prospérité ne change rien. Nous restons des citoyens de Kleintjeskamp. Si Alex venait à décoller, il prendrait mon pied au derrière.  »

3000 KILOMÈTRES PAR SEMAINE

Son transfert en Angleterre a été son premier déménagement. Il a effectué une bonne partie de sa formation à l’Ajax mais il n’a jamais habité Amsterdam : son père le conduisait tous les jours, ce qui représentait 3.000 kilomètres par semaine. Le jeune joueur du VV Doetinchem a été élu meilleur joueur d’un tournoi international qui se déroulait dans sa ville. Le HSV et les Glasgow Rangers étaient intéressés mais la famille a préféré l’Ajax, pour la qualité de sa formation. Le jeune avant se retrouve dans la levée de Toby Alderweireld.

 » L’Ajax nous a proposé une maison près d’Amsterdam mais nous n’avions pas envie de déménager. Il ne restait donc que l’autoroute. Je montais en voiture à six heures et je rentrais à 22.30 heures. C’était dur mais ça me plaisait.  » En chemin, père et fils n’ont qu’un sujet de conversation :  » Si j’avais mal joué, je n’entendais que ça pendant tout le trajet. Nous discutions toutes les phases alors que beaucoup de coéquipiers étaient encensés. Ils n’ont pas réussi, ne supportant pas les contrecoups. Moi, je me suis endurci.  »

A seize ans, l’Ajax veut que Büttner séjourne dans une famille d’accueil.  » Je ne voulais pas vivre chez des inconnus.  » Le PSV, Twente et Feyenoord sont trop éloignés, comme Schalke 04 et Newcastle.  » Le centre de formation de Vitesse était coté et je m’y suis inscrit. J’ai fait le bon choix.  » Il éclot en septembre 2008. Aad de Mos entraîne alors le club d’Arnhem. Alex a toujours été numéro dix à l’Ajax et il ne raffole pas des tâches défensives. De Mos permet aux meilleurs jeunes de s’entraîner avec les pros.

 » Cette formation junior était très talentueuse : 70 % des joueurs sont maintenant en Eredivisie « , explique-t-il.  » Alexander s’est aisément adapté. J’avais besoin d’un arrière gauche, n’étant pas content de celui dont je disposais. J’ai cité Erwin Koeman en exemple : il n’a éclaté qu’après avoir reculé d’un cran. Je lui voyais des possibilités, grâce à sa technique de frappe et à sa vitesse. Les arrières sont des acteurs majeurs du football contemporain.  »

En déplacement à Twente, Büttner avale son eau de travers quand il entend De Mos crier, après quatre minutes :  » Alex, échauffe-toi.  » Il entre deux minutes plus tard en remplacement de l’Israélien Haim Megrelishvili mais n’achève pas le match, suite à deux cartes jaunes.

QUESTIONS D’ARGENT

Le Büttner fêté en août 2012 se demande ce qui lui arrive. Quelques jours plus tôt, il a participé à son premier entraînement à United. Dans le vestiaire, il est flanqué de WayneRooney et DimitarBerbatov.  » Une semaine plus tôt, j’aurais demandé un autographe à Rooney « , explique le Néerlandais, les yeux brillants.

Deux semaines avant la fête, Büttner faisait encore, seul, des tours de terrain au complexe de Vitesse : à son arrivée à vélo, le directeur technique, Ted Van Leeuwen, l’avait empêché de rejoindre le groupe. Stupéfaction. Fin mai, il dansait encore avec Wilfried Bony, Vitesse venait de gagner la finale des play-offs pour l’Europe.

Son agent, Alexander Bursac, a alors envoyé un courriel à Erwin Kasakowski, le nouveau directeur de Vitesse, proche du propriétaire, Merab Jordania. Bursac apprend que Büttner va être remplacé. Il discute la manière de le mettre en vitrine et demande 10 % de son transfert.

Les Queens Park Rangers convoitent l’arrière. Le manager Mark Hughes reçoit le père, le fils et Alexander Bursac puis Fulham se manifeste. Il propose deux millions mais Vitesse en veut six. Fulham abandonne et Vitesse accepte les 3,5 millions de QPR. Puis Southampton entre dans la danse.

L’arrière est enthousiasmé par sa visite et le salaire, qui dépasse le million. A Vitesse, il gagne 350.000 euros. Vitesse continue à agencer son transfert à QPR. Büttner doit s’y présenter le 29 juin pour des tests mais Southampton envoie une offre de trois millions plus 15 % de la revente. Or, Vitesse réclame cinq millions à présent.

Büttner est coincé. Finalement, il peut rejoindre Southampton pour 4,25 millions mais Bursac et les Büttner veulent leur commission. Le 9 juillet, l’attachée de presse de Vitesse annonce que le joueur doit passer des tests médicaux à Southampton dès le lendemain matin. Le lendemain, la délégation du club se présente pour rien en Angleterre.

Un intermédiaire rouvre la piste QPR mais les Büttner ne plient pas : ce sera à leurs conditions. Du coup, Alexander n’existe plus pour Vitesse. On lui enlève son numéro, ses vêtements. Pour ne pas être accusé de refus de travail, l’arrière gauche se présente à Gerry Hamstra, l’entraîneur des espoirs, qui ne se doute de rien.

Le 9 août, Vitesse sombre face au FC Anzhi.  » Nous avons besoin de renforts défensifs « , tranche le nouvel entraîneur, Fred Rutten. L’homme dont il a besoin joue en équipe B : le 7 août, il a mis le club en demeure, exigeant que son contrat soit rompu. Le tribunal donne toutefois raison au club. L’issue se présente au plus fort de l’impasse.

AMBIANCEUR DE SERVICE

Le 19 août, la presse annonce que United offre cinq millions pour le jeune défenseur. Celui-ci est aux anges, comme son père.  » Vous voilà devenus financièrement indépendants ? « , demande un reporter local.  » Oui « , répond le père.  » Toute la famille.  »

A Vitesse, pendant des années, Büttner devient le blagueur du vestiaire. Il poursuit sur sa lancée à Old Trafford.  » Quand il se passe quelque chose, tous les regards se tournent vers Rooney et moi. Nous avons le même caractère. Nous vivons normalement tout en nous battant au quotidien pour progresser mais ça ne nous empêche pas de rigoler.  »

Büttner admire beaucoup Sir Alex Ferguson.  » Son dialecte est difficilement compréhensible. J’ai donc appris à dire oui à tout, même si je ne savais pas toujours ce qu’il voulait dire.  »

Il réalise qu’on ne rigole pas avec Sir Alex.  » Ferguson dit ce qu’il pense. J’ai assisté à ses crises de colère. Il balançait une bouteille d’eau à travers le vestiaire, de rage. Quand il criait, les murs tremblaient. Parfois, je me disais : – Trainer, pense à ton coeur ! Même les plus grands joueurs acceptaient ses crises. Je suis fier d’avoir pu jouer à leurs côtés.  »

Pendant deux ans, Büttner espère être le successeur de Patrick Evra mais celui-ci reste. A l’arrivée de Louis van Gaal, Büttner signe un contrat de trois ans au Dynamo Moscou.  » Manchester United est un club fantastique mais pourquoi Van Gaal m’aurait-il fait confiance alors qu’il m’avait dédaigné pendant deux ans, en équipe nationale, alors que je jouais dans le plus grand club du monde ?  »

Moscou plaît à Büttner mais pas au point d’apprendre le russe.  » Impossible, déjà avec ces lettres bizarres. J’aurais atteint la retraite avant.  » Ce n’est pas nécessaire : après une belle première saison, le Dynamo est en proie à des difficultés financières. Son propriétaire, Boris Rotenberg, se retire.

Le club est exclu de la scène européenne à cause des règles du fair-play financier. Les gros salaires s’en vont et la nouvelle direction mise sur les footballeurs russes. En août, Büttner, pour lequel le club n’arrive pas à percevoir les cinq millions demandés, n’est plus sur la feuille de match. En octobre, les deux parties conviennent de son départ en janvier.

On le cite à Galatasaray mais le 29 janvier, c’est sur le parking d’Anderlecht qu’il parque une de ses autos, une Mercedes AMG GTS de 150.000 euros. Alexander est accompagné par sa copine Marleen, son père, sa mère Wilma, ses frères Denny et Jordy et Alexander Bursac.

BON PENDANT 75 MINUTES

Aad de Mos, le premier à lui avoir prédit un bel avenir, se demande ce qu’il vient faire à Bruxelles.  » On ne pourra dire qu’après les play-offs s’il convient vraiment au Sporting. Il a le potentiel requis mais tout dépend de ses relations avec l’entraîneur et ses coéquipiers, de la façon dont on le pilote.  »

Car, ajoute De Mos :  » Alexander a un gros problème. Il ne sait pas doser ses efforts. Il possède une telle énergie positive qu’il faut parfois le freiner. Besnik Hasi et les anciens doivent l’aider. Büttner est bon pendant 75 minutes, à son rythme. Il doit apprendre à choisir ses moments. Contre MatthieuDossevi et LiorRefaelov, il doit défendre avant de penser à l’attaque. Je revois dans son jeu des aspects qui auraient dû disparaître.  »

Son ancien entraîneur était heureux qu’il reçoive sa chance à United mais trouve qu’il aurait dû être plus avancé.  » On le sous-estime. Il devrait être international depuis longtemps mais nos sélectionneurs ne s’occupent que de ceux qui jouent pour un des trois grands clubs néerlandais et de ceux qui ne sont pas titulaires dans leur club étranger.  »

Anderlecht lui permet de se remettre en vitrine mieux que depuis la Russie. Ceux qui le connaissent affirment qu’il se fera aimer en un rien de temps, par son engagement sans bornes, sa disponibilité et sa mentalité. Son parcours se lit comme un conte mais il est resté un chouette mec. Un jeune homme qui ose dire le fond de sa pensée.

PAR GEERT FOUTRÉ, FREEK JANSEN ET IWAN VAN DUREN – PHOTOS BELGAIMAGE

 » A Manchester, j’ai appris à dire oui à tout ce que disait Ferguson, sans savoir ce qu’il voulait vraiment.  » – ALEXANDER BÜTTNER

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