Dribbles fléchés

Voici pourquoi l’avant serbe, qui se faufile plus vite que son ombre dans les défenses, pèse désormais entre trois et quatre millions d’euros sur le marché des transferts.

« Je donnerais ma vie pour le Standard… « , dit Milan Jovanovic sans hésiter. Puis le joueur ajoute sur cette étonnante lancée :  » Et j’en ferais de même pour Michel Preud’homme ou Manu Ferrera par exemple. Je dis ce que je pense. Il m’est impossible de cacher ce que j’ai sur le c£ur. C’est peut-être une erreur car je me suis fait avoir. J’ai été étonné, déçu et même ébranlé par ce qui a été écrit récemment à mon égard. Je suis un émotionnel et un journaliste liégeois a exploité cet aspect de mon caractère afin de réaliser un reportage à sensation. Je ne me suis pas reconnu. Non, ce n’était pas moi. C’était à croire que je n’étais pas heureux à Sclessin. No, I’m happy, very happy in Liège. Mon anglais n’est pas fameux mais quand même « .

Il ne s’arrête pas :  » On m’a fait passer pour un ingrat. J’ai été naïf et cela m’a été loin. Je ne suis pas fou, je sais ce que je dois au Standard et au Docteur Nebojsa Popovic qui m’a ouvert les portes de ce club. Je ne peux pas les décevoir en oubliant tout ce qu’on a fait pour moi. Mais je ne suis plus un enfant non plus. J’ai 26 ans. Je suis papa. Ma femme attend un deuxième enfant. J’ai des responsabilités dans la vie. L’avenir des miens est aussi en jeu. Je désire avancer, tout le monde doit le comprendre, mais c’est dans le respect de tous que je veux le faire. Je n’ai jamais trahi mes convictions. Alors, je ne vais pas commencer maintenant. J’aborde les plus belles années de ma carrière « .

Son nom a circulé dans une foule de clubs : Werder Brême, Leverkusen, Schalke 04, PSV, PSG, Olympiacos, Fenerbahce, Osasuna, Porto, Bordeaux, Marseille, etc. A ce niveau-là, un bon joueur empoche des fortunes suffisantes pour garantir ses vieux jours. Un contrat d’un million d’euros net par an est envisageable en Allemagne, par exemple. Cela donne des idées. Le calme a brièvement succédé à cette tempête. Le vent ne devrait cependant pas tarder à se lever autour de ce joueur spectaculaire. L’été sera chaud. A quatre millions d’euros, le Standard le cédera évidemment à un bon payeur. Est-ce la somme exigée ?

 » Je ne sais pas du tout « , rétorque Luciano D’Onofrio.  » Le Standard est très content de Jova. Nous avons besoin de lui et notre intention n’est pas de le vendre. Et quand on veut garder un joueur sous contrat, cela signifie bien qu’il n’a pas de prix « .

Le grand manitou du Standard n’est pas né de la dernière pluie. C’est un homme qui sait attendre et entrer en action au bon moment. Ce n’est pas ce dossier-là qui le fera trembler. Sa main ne sera pas moite en cas de deal intéressant en vue. Il en a vu d’autres. D’Onofrio est un boursicoteur de génie qu’on ne déstabilise pas facilement. Il laisse faire le marché. Des agents de joueurs font monter la cote financière du joueur mais c’est lui qui récoltera la crème de la crème car il a toutes les clefs en mains. Jova a encore deux ans de contrat…

Le malin Licio ne doit même plus bouger pour obtenir tôt ou tard le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière. Et en cas de pactole, il renforcera son équipe. Pour le moment, le temps joue en sa faveur. Que Jova parte ou pas, c’est lui le gagnant. Avec sa vedette, il a sous la main un joueur en vue qui ne doit certainement pas lui coûter cher. Jova était libre il y a un an. Très heureux de se relancer, il n’a pas signé un gros contrat. En cas de transfert, c’est le jackpot pour les Rouches. L’attaquant du Standard a de plus réalisé une magnifique entrée en équipe nationale serbe. En Finlande, il a marqué un but à l’issue d’un beau raid.

Javier Clemente l’adore

Si Jova confirme son niveau en équipe nationale, cela fera encore monter le prix. Le sélectionneur de la Serbie, Javier Clemente, adore le style de jeu de l’imprévisible Milan. Le 22 août, Jovanovic devrait prendre part à Belgique-Serbie. Il restera alors neuf jours avant la fin de la période des transferts. En cas de succès à Bruxelles, les Serbes seraient proches d’une qualification pour la phase finale de l’Euro 2008 qui se déroulera en Suisse et Autriche.

 » Il faudra peut-être que je marque contre la Belgique « , relève-t-il en souriant.  » Je ne suis pas inférieur aux ténors de l’équipe nationale. J’en ai connu pas mal en équipes de jeunes. Ils ont trouvé les bonnes clefs pour entrer dans de grands clubs. J’ai un peu de retard, c’est tout. Cette sélection m’a boosté. Clemente m’a vu deux fois au Standard avant de me convoquer. A l’entraînement, j’étais survolté et il m’a dit : -Je veux un footballeur, pas un dribbleur. A Helsinki, si j’avais marqué un but banal, il serait passé inaperçu. Non, là, j’ai dribblé mon homme avant de tromper le gardien de but. Clemente était aux anges, moi aussi « .

L’ancien Standardman Ivica Dragutinovic était présent sur la pelouse en Finlande :  » Milan a marqué des points. Sa montée au jeu en deuxième mi-temps a été couronnée de succès. S’il continue comme cela, il deviendra une valeur très intéressante. Il pourrait jouer en Liga espagnole mais cela passe aussi par la volonté, la motivation, les progrès, le travail, la confirmation « .

Si l’entourage du joueur envisageait de thésauriser les dividendes de sa bonne saison, le Standard a sous la main un contrat de deux ans et peut accepter un deal quand cela l’arrange : maintenant, à la fin août après Belgique-Serbie, avant ou à l’issue du prochain Euro. La seule faiblesse du Standard pourrait résider dans les émoluments du joueur. Après un an d’exploits, une réévaluation de son salaire lui prouverait que ses progrès ont été appréciés.

Rien de tel pour motiver un joueur. Jovanovic est un brave gars qui ne sera jamais capable comme Marouane Fellaini de faire appel à la loi de 1978 pour obtenir sa liberté ou une amélioration de son contrat. Ce n’est pas un homme de clash. Le Standard lui a permis de relancer sa carrière après des années de galère en Ukraine et en Russie. C’est important à ses yeux. Il aborde la saison de la confirmation. Le Standard a perdu des piliers comme Sergio Conceiçao, Karel Geraerts, Milan Rapaic ou Eric Deflandre. L’équipe est jeune et inexpérimentée. Elle a besoin de la routine et des coups d’éclat de Jovanovic comme de pain blanc et de sirop de Liège. Jova sera indispensable en Coupe d’Europe.

 » Il faut garder son calme « , avance son agent, Cvijan Milosevic.  » Il est pétri de talent et un joueur comme lui trouve toujours chaussure à son pied. Milan peut jouer dans les plus grands championnats. La saison qu’il a signée en Belgique le prouve. La D1, ce n’est pas du gâteau pour un attaquant. Il y a fait son trou. Ce n’est pas une éclosion spontanée. Milan a travaillé pour revenir et, jeune, il avait été considéré comme le plus grand espoir du football serbe. Le public adore les joueurs imprévisibles. Il y a de l’émotion dans son jeu et dans son comportement. Je ne le connaissais pas quand il est arrivé en Belgique. C’était un des nombreux jeunes Serbes ayant tenté sa chance à l’étranger. Dès que je l’ai vu en action, j’ai compris que le Standard détenait du talent à l’état pur. Sans le conflit en ex-Yougoslavie, il aurait joué à l’Etoile Rouge Belgrade et ne se serait pas retrouvé sans transition de Novi Sad à Donetsk. Sa présence en équipe nationale est une première récompense, le reste suivra. Tous ses équipiers en sélection jouent dans de grands clubs. Tout le monde a vu à Helsinki qu’il a leur niveau. Cela veut tout dire pour la suite de sa carrière, je crois. Mais, bon, quand on vit à un tel moment de sa vie, tout est compliqué. Même si l’argent est important, Milan Jovanovic entend d’abord exprimer un choix sportif « .

Il veut s’offrir un palmarès, une carte de visite, le bonheur de jouer en Ligue des Champions. L’argent vient après : le Serbe aurait fermé la porte de clubs disposés à offrir quatre millions d’euros au Standard mais qui n’ont pas le billet d’entrée du plus grand bal européen.

L’incident avec Sergio Conceiçao fut vite oublié

 » Si je réponds un jour à une proposition intéressante, le Standard restera le club le plus important de ma carrière « , confie Milan Jovanovic.  » Je suis venu par la petite porte et quand je partirai, ce sera par la grande. Tout le monde sera gagnant : le Standard, moi, ma famille, etc. Ma réussite ailleurs sera aussi la leur. Je ne claquerai jamais la porte car on m’a fait confiance. Si je pouvais permettre au Standard de gagner deux, trois ou quatre millions d’euros grâce à mon transfert, je serais le premier ravi. Mais si je dois rester, pas de problème : j’ai encore un contrat de deux ans. Je suis très motivé. En fin de saison passée, j’ai en effet déclaré clairement que je voulais jouer en Ligue des Champions. Et alors ? On ne peut pas être ambitieux ? Je sais que c’est un univers pour moi. Quand j’ai dit tout cela, j’avais des contacts. J’étais honnêtement persuadé que ce dossier serait rapidement réglé. Ce n’est pas le cas et mon présent, c’est le Standard où je travaille dans les meilleures conditions. L’Académie Robert Louis-Dreyfus, c’est le paradis. L’outil est extraordinaire. Je serai au point en début de saison. Pour le reste, je ne sais pas car une carrière peut changer en une fraction de seconde. Il y a le talent, le travail et aussi la chance de briller ou de rencontrer quelqu’un au bon moment « .

Jovanovic a été une des grandes révélations de la dernière saison. Son jeu a souvent paralysé les défenses adverses ne sachant pas à quels saints s’adresser afin de neutraliser ce dribbleur imprévisible adorant la vitesse et la profondeur. Il fait partie avec Ahmed Hassan, d’Anderlecht, du cercle restreint des joueurs qui font exploser les fortins ou les schémas tactiques adverses.

 » Je me suis bien amusé la saison passée « , dit-il.  » Les débuts ne furent pas faciles mais je dois beaucoup à Johan Boskamp. Il y a un an, je devais être le remplaçant de Rapaic à gauche. Je ne déteste pas jouer sur le flanc gauche mais je suis plus un homme de pointe. Boskamp m’a progressivement déplacé vers l’attaque. Je m’y suis parfois débrouillé seul mais je préfère tourner autour d’un pivot comme Igor de Camargo ou Ali Lukunku. Preud’homme m’a confirmé dans ce rôle. J’ai beaucoup appris en une saison. La chance était enfin au rendez-vous de ma carrière. En Ukraine et en Russie, je ne comptais pas. J’étais un investissement, rien de plus. L’argent compte là-bas, pas les hommes. Quand un joueur ne réussit pas, on passe à un autre sans se poser de questions car tout doit aller vite. Il y a beaucoup de capitaux et ils tournent dans un contexte déshumanisé. J’y ai bien gagné ma vie mais je n’y étais pas heureux. J’ai besoin d’enthousiasme et de compréhension pour fonctionner. J’ai trouvé tout cela au Standard. On y a tout de suite apprécié mon style et ma personnalité. Avec Preud’homme, j’ai beaucoup progressé. Il m’a parfaitement positionné. Je lis mieux le jeu adverse et je tente de plonger au bon moment. J’ai tendance à multiplier les efforts et cela hypothèque ma fraîcheur à la finition. Or, quand on a fait la différence, il faut encore être lucide pour prononcer le dernier geste « .

Manu Ferrera adore Jovanovic et dit parfois :  » Ce joueur constitue quasiment une attaque à lui tout seul. Quand Jova joue, nos adversaires font dans leur pantalon. Dans son style, il est vraiment unique en Belgique. Je ne connais pas un autre attaquant qui dribble avec cette vitesse en direction du but. Il ne perd pas de temps en cours de route. Il n’y a qu’une chose qui l’intéresse : la cage adverse « .

Explosif, il l’a été en affrontant, front contre front, Conceiçao en plein match Club Bruges-Standard. Cet échange de vues avait sidéré tout le stade.  » Je suis le premier fan de Sergio « , affirme Milan.  » C’est un géant, un leader. Il a tout gagné et sa grinta nous manquera. A Bruges, il y avait un problème sur le terrain. On règle normalement cela dans le vestiaire. Là, il a choisi un autre dialogue. Je respectais son point de vue mais je n’avais pas à m’écraser. Et si je l’avais fait, quel homme serais-je ? Non, non, je ne pouvais pas me laisser faire. Enfin, il n’y a pas eu d’autres problèmes. Cinq minutes plus tard, j’avais oublié et nous nous sommes serrés la main après le match « .

Impressionné par Dieumerci Mbokani

Ce côté explosif a un peu étonné un observateur attentif : Marc Wilmots.  » Ce joueur, c’est une bombe et une des attractions de la D1 « , avance-t-il.  » Jovanovic parle parfois de la Bundesliga. Avec sa vitesse et sa technique, il peut réussir en Allemagne à condition de tenir le rythme. Est-il assez costaud pour enchaîner les gros matches ? Mais il n’y a pas que cela. Il devra y contrôler son caractère. Les éclats et fâcheries sur le terrain, cela ne passe pas du tout en Allemagne « .

Handicapé par un mauvais début de saison, le Standard fut très heureux de se payer un billet européen avec sa troisième place au classement final.  » C’était bien après une éprouvante mise en route « , confie Milan Jovanovic.  » Il a manqué la cerise sur le gâteau : la Coupe de Belgique. Ce fut une terrible déception. Le problème ne fut pas tactique ou technique. Je crois que tout le monde n’a pas osé prendre ses responsabilités. J’ai eu deux occasions de but. Si j’avais ouvert la marque en début de match, la suite aurait été très différente. Le Standard a quand même été plus dangereux que Bruges qui était dans un fauteuil après le but de Manaseh Ishiaku. On ne retient que le score final… Ce fut une terrible déception « .

Le Standard présente désormais un autre visage. Et Jova apprécie les qualités de ce groupe :  » On travaille bien à l’Académie Louis-Dreyfus. C’est l’endroit idéal. Je suis impressionné par Dieumerci Mbokani. Je me demande pourquoi Anderlecht a laissé filer un attaquant aussi doué. C’est une gaffe. Il va réussir au Standard. J’aurais affirmé que l’arrivée de François Sterchele était liée à mon départ ? Je n’ai jamais dit cela. Ce n’est pas mon problème. Je suis joueur, pas dirigeant. Et je ne crains rien. J’adore évoluer avec de bons joueurs. Il faut de la concurrence dans un groupe : j’adore ça…  »

par pierre bilic – photos : reporters / thys

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