Dribble, petit!

L’ex-international anderlechtois des années 50, prospecte toujours le jeune talent…

Marcel De Corte : « Je deviens fou quand j’entends un entraîneur crier à un gamin -Donne ta balle, alors qu’il ne l’a pas encore dans les pieds. Jusqu’à 13-14 ans, laisse-le dribbler, s’extérioriser. Un gamin doit avoir la possibilité d’effacer son opposant direct par un dribble. T’aurais ordonné le contraire à Rik Coppens, et il quittait direct le terrain. On me dit -Ça ne te regarde pas Marcel, c’est pas toi l’entraîneur. D’accord, mais… ».

L’ex-international Marcel De Corte, 71 ans, dont plus de 50 comme joueur (Racing Gand en D3, puis Anderlecht, La Gantoise et Olympic, soit une douzaine de saisons de D1), entraîneur diplômé du Heysel (joueur-entraîneur à Waregem, entraîneur du Stade Louvain, Courtrai, St-Nicolas et des jeunes d’Anderlecht) et prospecteur, est toujours actif au Sporting comme détecteur de gamins de 7 à 13 ans.

Ce dribbleur d’élite et ajusteur de passes (à qui Robby Rensenbrink confia – Certains veulent que je dribble moins, que je travaille plus, alors il fallait acheter un autre…), a toujours eu des convictions bien ancrées. Durant sa première saison au Sporting, Jef Mermans, grand patron de l’attaque des années 40-50, et Marcel ne se parlèrent pas. Après, ils devinrent pourtant grands copains.

« C’est vrai, j’étais un dribbleur égoïste, et PierreHanon aussi me l’a parfois gentiment fait remarquer ».

Répéré au Heysel comme Junior UEFA (promotion Coppens… Ah, ce 10-2 sur les Juniors hollandais!), De Corte, ailier droit trudonnaire du Racing Gand, fut échangé en 50 contre cinq titulaires mauves, dont le stratège international Michel Van Vaerenberg. Transfert exceptionnel en un temps où les clubs cédaient pourtant volontiers deux ou trois joueurs plus, éventuellement, une somme pour le bijou convoité.

« Ça ne se fait pratiquement plus, l’argent prime. Droitier j’ai été acquis comme intérieur gauche, pas illogique pourtant puisque je jouais inter gauche avec les Juniors nationaux après avoir remplacé à ce poste le titulaire blessé du Racing Gand… »

Sans contrat, le joueur était « indépendant »

Pas de contrat à l’époque : le joueur belge était « indépendant », amateur sans l’être, un compromis à la belge. « Moi, je n’avais pas de fixe, mais je ne m’avance pas sur le statut de certains partenaires. Je touchais une prime de 1.200 francs la victoire, 700 le nul et zéro la défaite. Plus 200 par entraînement et mon abonnement de train. De Gand, je venais en train et tram à Anderlecht. Ça changea dans les années 60 ».

Il y a un demi-siècle, le Sporting commença à bousculer la tradition, en inaugurant l’installation lumineuse du stade Emile Versé. Ce soir-là, Jef et Marcel s’échangèrent trois fois le ballon avant que l’artiste ne le dépose au fond des filets des Argentins du Racing Buenos Aires. Un triple une-deux : « Certains gardiens d’alors, gênés sur les balles aériennes, se plaignirent de l’éclairage, mais moi j’ai toujours préféré les nocturnes. Le terrain est bien centré comme un ring de boxe, c’est là que ça se passe. On entend les spectateurs, mais sans les voir, c’est mieux. Et puis, le Sporting jouait beaucoup à ras de terre, sans problème d’éblouissement donc ».

Longtemps, le championnat de D1 s’est disputé le dimanche à 15h et le Club Brugeois, entre autres, pratique toujours ainsi au voeu de son public.

« Après de longues vacances, la compétition ne démarrait que le premier dimanche de septembre, et le premier match amical de préparation ne pouvait être organisé qu’à partir du 15 août », se souvient De Corte. « Aujourd’hui, les compétitions européennes sont lancées en juin-juillet ».

Il rebondit au Congo

En 55-56, Marcel était encore mauve lorsque le Sporting se présenta au Nepstadion de Budapest pour la première rencontre de la Coupe des Champions contre Voros Lobogo. Blessé au ménisque, il accompagna en touriste. Victime aussi d’ennuis de santé, il ne se vit plus d’avenir au Sporting et s’envola pour le Congo, à Léopoldville. Durant 10 mois, il y côtoya les Mokuna et Bonga-Bonga en sélection eurafricaine, et fut contacté, ainsi que Mokuna, par le Sporting Lisbonne. Le Congolais signa un contrat pro, mais le président anderlechtois Albert Roosens suggéra à Marcel de revenir au club. Ce qu’il fit, mais une tache sur les poumons l’empêcha de jouer pendant six mois. Certains dirigeants, attirés par le talent congolais, sollicitèrent son avis sur quelques perles noires. Roger Petit, entre autres, sur Bonga et Faustin Nzeza.

« Je lui ai dit -Pas de problème question foot, mais je ne peux pas me prononcer sur leur adaptation à la vie belge. J’étais un peu plus réservé pour Nzeza, parce que c’était un intellectuel, un peu plus compliqué donc… »

Rétabli de ses problèmes de santé, Marcel rejoignit La Gantoise et ses copains Orlans, Van Huffel, Willems, Segers. De sa première époque mauve, il se remémore l’absence de joueurs étrangers, et aussi des premières mises au vert à Huizingen avec l’entraîneur britannique Bill Gormlie. Il compare curieusement le Gallois et le Corse Pierre Sinibaldi : « Je connaissais déjà Gormlie qui dirigeait les entraînements des Juniors au Heysel. Sa théorie était simple: -Vous êtes footballeurs, vous savez mieux que moi. Quand on a le ballon les autres ne l’ont pas, et le tout alors est de le mettre dans les filets. Même conception de base pour Sinibaldi et pour Van Himst aussi. Les créatifs, médians et attaquants, agissaient selon l’inspiration, seule l’organisation défensive différait. Quand je perdais un ballon, Susse Degelas et plus tard Vander Wilt le récupéraient dans mon dos, c’étaient les Vanderhaeghe d’alors ».

L’étude du progrès

Avec tout le respect qu’il voue à Mermans, De Corte estime toutefois que sur la pelouse, les joueurs se basaient plus sur le cerveau de Van Vaerenberg (revenu du Racing Gand) et sur la personnalité d’ Arsène Vaillant que sur le grand Jef. « Mais celui-ci défendait bien le groupe auprès de la direction. Jef tirait fort, mais Vaillant et Polyte Vandenbosch encore plus que lui. Polyte était très exigeant, il m’engueulait quand je ne servais pas un ballon millimétré. On est moins strict et précis aujourd’hui. Pas d’étrangers dans l’équipe d’alors, et le noyau ne comptait qu’une quinzaine d’hommes, mais la Première était plus proche de la Réserve que maintenant. On se rencontrait souvent en match d’entraînement ».

En 72, après avoir beaucoup tourné ailleurs, et sur proposition de l’administrateur Albert Mettens, il accepta d’entraîner les jeunes du Sporting. Il innova immédiatement; avec Polyte il prit les plus doués à part pour améliorer leur technique de base. « Je leur demandais de jongler avec une balle de tennis, oui, de tennis. Qui est capable de le faire avec une petite balle, peut le faire mieux après avec une grande. Ceux qui jouaient aussi à la balle pelote, n’y ont certainement rien perdu en coup d’oeil et souplesse, au contraire. Les portiers, notamment. Je pense que Paul Vandenberg (ex-international très technique de l’Union), qui pratiquait beaucoup le tennis, ne me contredira pas. Il faut travailler les feintes de corps, et dans ce but, je me suis inscrit à l’Hellas, un club gantois de basket de tout premier plan à l’époque. Tous ses joueurs étaient internationaux, Baert, Lampo, Vermeulen. J’ai participé à deux matches amicaux avec la Première contre les Semailles des frères Dhollander et le Royal IV de Kets. J’y ai certainement gagné en souplesse. Mais la technique c’est essentiel, et l’entraîneur qui n’essaye pas de perfectionner celle de ses gamins est comme un prof qui refuserait d’enseigner une deuxième ou troisième langue à ses élèves ».

A titre anecdotique, De Corte compta parmi ses minimes deux garçons au nom célèbre, Frank Van Himst et Axel Merckx, qui s’orientèrent après vers le cyclisme.

Après, entre autres, une douzaine de participations au tournoi international Minimes-Cadets très coté de Montaigu, en France, Marcel eut l’idée d’affiner l’apprentissage technique individuel.

Il détaillait chaque phase du dribble, de la passe, du tir. Montrer balle au pied le geste le plus précis n’est pas à la portée de n’importe quel entraîneur. Ce travail d’orfèvre, il l’accomplit jusqu’en 95, c’est-à-dire jusqu’à 65 ans, et fut alors chargé, avec son vieux complice Polyte de la détection du meilleur blé en herbe. Pour raisons de santé, Polyte dut renoncer il y a trois ans mais Marcel continue.

« J’y consacre mes samedis, la matinée du dimanche, et les après-midis d’entraînement des jeunes appelés au Heysel. Le lundi, un rapport est rentré au club et on discute ».

Henry Guldemont

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