Dream Team 2

Des buts à la pelle, un jeu jubilatoire, une jeunesse triomphante et un entraîneur charismatique : voici les instantanés de l’équipe européenne du moment.

M és que un club (plus qu’un club en catalan), la devise officielle du FC Barcelone a rarement pris autant de sens. Aujourd’hui, le Camp Nou est (re)devenu lieu de culte pour tous les fondamentalistes du beau football. Rythmé, spectaculaire, harmonieux ou réfléchi, les qualificatifs s’entremêlent pour décrire chaque sortie des Lionel Messi, Xavi et Cie. Rien à avoir avec le jeu avachi, vieillot de l’an dernier, quand les médias n’avaient pour excitation que les parties fines de Ronaldinho et Samuel Eto’o…

Le président, Joan Laporta se devait de mettre un grand coup de balai dans une pétaudière qui les avait privés de tout trophée lors des saisons 2006-2007 et 2007-2008. Deux années de disette, deux titres (certes chaotiques) du Real sous Fabio Capello et puis Bernd Schuster, tout cela commençait à compter et fâcher sérieusement les 170.000 socios, dont la frange la plus dure n’a que rarement ménagé l’ex-avocat d’affaires Laporta. Le 6 juillet dernier, 60 % des votants s’étaient même prononcés contre leur président. Les deux tiers n’étant pas atteints pour une motion de défiance, Laporta pouvait rester en place mais le changement devait être imminent.

Monsieur zéro défaut

Dans la discrétion, les grands travaux avaient pourtant bel et bien débuté le 8 mai 2008, au lendemain de la débâcle (4-1) à Santiago Bernabeu. Frank Rijkaard, en place depuis 2003 et vainqueur de deux Liga (2005, 2006) et de la Ligue des Champions 2006, cède sa place à Josep Guardiola. Pep Guardiola, un nom symbole des nineties flamboyantes période Johan Cruijff. Métronome de l’entrejeu blaugrana, l’enfant de la maison, Catalan pur jus, au style léché, simple et effacé, était le parfait relais sur le terrain de l’entraîneur néerlandais. Le Flying Dutchman ne jurait que par lui dans son mythique 3-5-2 (modulable en 3-4-3) où, au préalable, Guillermo Amor occupait semblables attributions.

 » Il faisait jouer les autres plus vite, car il avait une vista hors du commun « , expliquait Txiki Begiristain, ancien équipier de Guardiola et actuel directeur technique du Barça.

L’arrivée de Pep, relativement peu médiatisée selon les normes barcelonaises, conférait au club un côté sympathique, authentique contrastant avec le coup de pub, devenu coup de barre, de l’alliance des quatre fantastiques ( Thierry Henry, Eto’o, Messi, Ronaldinho) de l’été 2007. Dans le camp des grincheux, du type éditorialistes espagnols, on rappelait que si l’on prédisait au joueur, vu sa grande maîtrise tactique, un futur brillant comme coach, on pointait aussi son manque d’expérience dans la fonction. A juste titre puisqu’à son CV d’entraîneur n’était inscrit qu’une année (2007-2008) à la tête du BarçaB. Rien de comparable avec les titres de gloire des José Mourinho, Rafa Benitez, Arsène Wenger, pressentis un temps pour succéder à Rijkaard.

Malgré un démarrage poussif : défaite à Numancia (la seule de la saison en championnat), un nul chez soi face à Santander et deux victoires à l’arraché face au Betis et l’Espanyol lors de la quatrième et cinquième journée, les grincheux n’ont plus le droit de cité. Guardiola est devenu l’homme zéro défaut : l’élégance avec son traditionnel costard noir-chemise blanche-cravate noire et la simplicité dans les gestes et les déclarations. Sorte d’anti- Christopher Daum (l’entraîneur allemand surexcité et ex-cocaïné actuellement en place à Cologne). Mais au-delà du style et de son importance, il y a des chiffres renversants (voir cadre) qui ont même autorisé la société de paris en ligne, Expert.com, à verser les gains à ceux qui avaient misé sur le FC Barcelone comme futur champion d’Espagne. Une option surréaliste à 17 journées de la fin…

Mais personne ne viendra contester la supériorité insolente des Catalans cette saison ; en Espagne du moins. La résignation et le respect ont envahi toute la péninsule ibérique. Petit florilège : lors d’Atlético Madrid-Barcelone en Coupe du Roi de décembre dernier, Messi a reçu à sa sortie une standing ovation du stade Vicente Calderon après avoir crucifié les Colchoneros de trois bastos (1-3). Un hommage que n’avait plus connu un Barcelonais à l’extérieur depuis Ronaldinho et son match galactique au Real en 2006. Chez les joueurs aussi, on applaudit :  » C’est la meilleure équipe d’Europe « , affirme dans le quotidien AS, David Villa, buteur de la Seleccion et de Valence. Et de poursuivre :  » C’est l’équipe qui m’a le plus impressionné, pas seulement par ses résultats mais pour la manière dont elle les a obtenus. Son jeu mérite les éloges et donne envie.  »

 » C’est une équipe de stars qui luttent comme des ouvriers « , métaphore dans So Foot, José Antonio Camacho, figure emblématique de l’ennemi madrilène et aujourd’hui entraîneur à Osasuna. Même à l’étranger, les plus grands tacticiens comme Arrigo Sacchi s’émerveillent :  » La plus belle cause footballistique de ces dernières années.  »

Quelle est la méthode Guardiola ?

Février 2009, cela fait donc six mois que le  » pari de Laporta  » a pris les commandes sportives du club. Une demi-année pour une quasi révolution de palais. Fini le temps des joueurs jet-seteurs, aujourd’hui c’est humilité et travail au menu. Même Eto’o, actuel et probablement futur pichichi de la saison, s’est mis au diapason alors qu’il figurait en première ligne sur la liste des indésirables (il a failli signer au Kuruvchi Tachkent club… ouzbèk) de Guardiola ; une liste qui comprenait aussi Ronaldinho, Deco, Edmilson, tous des joueurs aujourd’hui exilés. Preuve d’un professionnalisme retrouvé, le Camerounais est revenu de ses vacances d’hiver quelques jours avant la reprise.  » Pour être en condition « , a-t-il dit. Même son coup de gueule de la semaine dernière à l’entraînement a été très vite étouffé.

Derrière ses airs de ne pas y toucher, Guardiola a imposé la sévérité à tous les étages : cela va des amendes de 500 euros pour un retard à l’entraînement au respect des supporters (800 euros pour celui qui refuse de signer un autographe), en passant par les consignes tactiques rigoureuses. Titi Henry, sur sa gauche, ne rechigne plus à redescendre aider Eric Abidal (dont les centres finissent par ne plus aboutir automatiquement en tribune…). Alors que l’an dernier, le quatrième fantomatique fantastique expliquait une partie de ses malheurs par ce conditionnement sur l’aile et son travail défensif. Aujourd’hui, Henry, c’est 12 buts en 17 apparitions en championnat, des stats dignes de ses plus belles périodes de Gunner.  » On fait vivre le ballon, tout le monde se bat, tout le monde a des occasions, tout le monde est heureux « , résumait le meilleur buteur de l’histoire des Bleus, membre de la meilleure attaque d’Europe à l’heure actuelle avec ses complices Messi et Eto’o.

Comment en est-on arrivé à une telle harmonie ? Comment dans un contexte aussi concurrentiel arrive-t-on à ne pas froisser tant d’ego ? Là encore, la marque Guardiola fonctionne quand, dès l’été, tous les membres du noyau sont placés sur le même pied d’égalité, hormis les cadres historiques, Xavi, CarlèsPujol et l’extraterrestre Messi. Pour le reste, ça se bouscule et tout le monde ou presque reçoit sa chance ou se coltine le banc. Demandez à Henry ou Eto’o en début de saison. Quant à Eidur Gudjohnsen, Rafael Marquez, Bojan Krkic (lueur dans la grisaille la saison dernière) ou même Seydou Keita (arrivé pourtant de Séville pour 18 millions d’euros), leurs apparitions plus rares ne les empêchent pas de mordre dans le ballon : tout le monde reçoit sa chance et se doit de la saisir. Equité quand tu nous tiens.

Le système de jeu a aussi connu ses variantes : 4-5-1, 4-4-2 pour en arriver à un 4-3-3 spectaculaire et renforcé par le récent retour de blessure d’ Andrés Iniesta dans l’entrejeu. Une touche technique supplémentaire qui prive le seul médian récupérateur ( Yaya Touré, Keita ou Sergi Busquets) d’un alter-ego pour la bataille physique. C’est à ce niveau, peut-être, que l’on doit trouver matière à chicaner. Meilleure défense en Liga, certains analystes stigmatisent les trop nombreuses situations en un contre un que doit se taper Victor Valdés. Là aussi, l’explication est toute trouvée : le pressing très haut instauré par Guardiola où Henry, Messi et Eto’o deviennent les premiers récupérateurs. Un pressing tout terrain dont la symbiose atteint parfois la perfection. Autre élément déterminant, c’est le retour au toque, marque de fabrique du club, et remis au goût du jour par les Campeones. Sous Cruijff, Guardiola était le moteur de ce jeu en une à deux touches de balle. Aujourd’hui, le coach peut compter sur Xavi dans ce rôle. Le meilleur joueur du championnat d’Europe brille toujours autant.

La Masia ou la culture de la gagne

Guardiola est passé un an par la case formateur avec le Barça B et ça se voit. Le 19 octobre dernier, Valdés, Puyol, VictorSánchez, Gerard Piqué, Iniesta, Busquets affrontaient en championnat l’Athlétic Bilbao (victoire 1-0) sous le regard de Bojan et de Messi assis sur le banc. Pas moins de huit ex-gamins issus du centre de formation du Barça (sans compter Xavi blessé), La Masia. Ce fait rarissime pour un ténor européen n’est pas anodin.  » Les joueurs passés par la Masia ont quelque chose de différent des autres. Ils cultivent l’amour du Barça depuis tout petits « , explique Guardiola, lui aussi ex-joueur de La Masia, devenue une institution pour la formation des jeunes avec ses propres codes et valeurs.  » Les garçons du centre sont importants pour l’équipe première. Ils apprennent que nous jouons l’offensive et que nous aimons conserver le ballon avec une ou deux passes « , explique Xavi.

 » On demande aux jeunes de vouloir gagner même en match amical « , poursuit Begiristain  » Regardez Messi, il est Argentin mais il vient avec la marque de La Masia. « 

Meilleur joueur au monde à l’heure actuelle, Messi est déjà une icône en Catalogne. Et malgré les naissants appels du pied du Real qui se dit prêt à payer la clause libératoire de 150 millions d’euros (!), la Pulga (la puce) a le Barça dans la peau ; des restes d’une éducation à La Masia basée sur la fierté et la performance.  » Je ne veux pas partir de ce club. C’est ma maison. Si je m’en vais d’ici, c’est parce qu’on m’aura viré « , a-t-il dit pour couper court aux rumeurs. Laporta sait pertinemment qu’un départ de Messi au Real, alors que la trahison de Luis Figo est encore dans toutes les têtes, provoquerait l’insurrection. Pour ce président réhabilité dans le c£ur des socios, l’ambition est d’être à la tête du Dream Team des années 2000 (étiquette approchée en 2006). Et de murmurer le nom de Franck Ribéry pour le prochain mercato… Si en basket, le Dream Team de 92 des Jordan, Bird, Magic et Barkley trouvera difficilement son égal, celui de Cruijff des RonaldKoeman, HristoStoichkov et Romario a peut-être son digne successeur. A suivre… Vite !

par thomas bricmont

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