Dr Thierry, Mr Siquet

« Je peux être chiant sur le terrain ». Confession d’un capitaine qui se pose 1.000 questions.

Thierry Siquet (34 ans) se prépare à passer le cap des 350 matches en D1. Lui donnera-t-on l’occasion de viser les 400? Le stoppeur louviérois n’est sûr de rien et se pose pas mal de questions. Il est en fin de contrat et attend un signe de sa direction. Il ne s’excite pas car ce n’est pas le genre du bonhomme, mais il ne peut pas cacher qu’il vit mal cette incertitude.

« Je suis bien conscient que, si La Louvière ne me propose rien, je ne recevrai pas 10 autres propositions de clubs de première division », lâche-t-il. « C’est normal: l’âge est là ». Siquet refuse l’idée que cette interview soit l’une des dernières d’une carrière professionnelle entamée au Standard en 1986. Mais il sait donc que ce risque existe. Ce clubman (huit saisons à Huy, sept à Sclessin, six au Cercle de Bruges, deux à Ekeren, quatre à La Louvière) crève certainement d’envie d’aller frapper à la porte de Roland Louf. Mais on le connaît: il ne s’abaissera pas.

Thierry Siquet: Le manager m’a dit que j’aurais des nouvelles en mars. J’espère qu’il ne traînera plus. Je comprends que le club ait attendu des informations de la commission des licences. Officiellement, on attend aussi que le maintien soit mathématique. Mais alors, on risque d’attendre jusqu’en mai. Il nous faudra 33 points pour être certains de rester en D1: nous y sommes presque, il ne peut plus rien nous arriver. De mon côté, je ne vais plus patienter deux mois. S’il n’y a rien de nouveau fin mars, je tirerai mes conclusions et je chercherai autre chose.

La Louvière a déjà levé les options sur trois joueurs qui étaient en fin de contrat: Magro, Odemwingie et Klukowski. Pour eux, on n’a pas attendu la licence ou le maintien. Comment interprétez-vous ces décisions?

J’ai évidemment une opinion mais je préfère ne rien dire. C’est le problème de la direction.

Comment vit le footballeur qui entame un championnat en n’ayant plus qu’un an de contrat?

J’ai très bien vécu cette saison et je crois l’avoir montré sur le terrain. Je ne vois vraiment pas ce qu’on pourrait me reprocher. Je n’ai manqué qu’un match, j’ai été le joueur le plus utilisé avec Klukowski. Cela doit suffire à résumer mon état d’esprit. Depuis que je suis pro, j’aborde chaque match avec la conviction qu’il est terriblement important pour mon club et pour moi. Si j’avais été insuffisant à un moment ou l’autre de cette saison, l’entraîneur n’aurait pas eu peur de me retirer de l’équipe.

Et si le club attendait d’être mathématiquement sauvé pour vous annoncer qu’il n’a plus besoin de vous?

Si on agit comme ça, c’est qu’on me connaît très mal. Ce n’est pas mon style de laisser aller le bazar si je suis fâché. Avoir encore trois ans de contrat ou être en fin de bail n’a jamais eu la moindre incidence sur mon niveau de jeu. Je ne suis pas fou non plus: je dois gagner ma vie et je vise toutes les primes possibles. »Je veux travailler vite: je ne suis pas Rockfeller »

Vous ne craignez pas un départ à la Karagiannis, dans une atmosphère pourrie?

La différence entre Manu et moi, c’est que je partirais en ayant touché tout ce qu’on me doit! Mais, comme lui, je serais déçu. Je connais assez le monde du foot pour savoir que personne n’est irremplaçable. Je fais toutefois remarquer que, depuis quatre ans, j’ai pratiquement tout joué avec La Louvière. Que ce soit avec Marc Grosjean, Daniel Leclercq ou Ariel Jacobs. D’ailleurs, à l’exception de trois saisons d’apprentissage au Standard, j’ai toujours été titulaire dans tous mes clubs. Avec des coaches qui savaient de quoi ils parlaient: Pavic, Kessler, Braems, Houwaart, Leekens, Tipuric, etc. éa doit vouloir dire que, quelque part, je suis utile dans une équipe de D1.

Mais vous avez maintenant 34 ans!

Et alors? Si j’étais beaucoup moins bon qu’il y a quelques années, je ne serais pas incontournable dans l’équipe actuelle de La Louvière. Je m’estime encore potable dans mon rôle. Je sais de quoi je suis capable. Je n’ai jamais été le style de joueur pour lequel les gens courent au stade. Je n’assure pas le spectacle. Mais ce n’est pas non plus ce qu’on me demande. Ce que je fais aujourd’hui, je peux encore le faire sans problème pendant une ou deux saisons. Je ne vois pas pourquoi je deviendrais subitement mauvais. Il reste à espérer que les dirigeants de La Louvière partagent mon raisonnement, car j’ai envie de rester ici.

Seriez-vous prêt à signer dans un club de D2?

Certainement. Je l’ai fait quand j’ai quitté Ekeren pour La Louvière. La D2 n’est pas un déshonneur. Si je dois terminer ma carrière par deux saisons dans ce championnat-là, ça ne ternira pas mon bilan global.

Préparez-vous chaque match en vous disant que ce sera peut-être le dernier contre l’adversaire du week-end?

Forcément. Même ceux qui ont encore trois ans de contrat doivent raisonner comme ça. On en voit tellement dans le foot actuel. Des vertes et des pas mûres. C’est un milieu dans lequel on ne peut plus être sûr de rien. Demandez ce qu’ils en pensent à Scalia ou Delière. Même à Anderlecht, on peut se faire jeter du jour au lendemain.

Seriez-vous prêt à rester à La Louvière avec une diminution de salaire?

Si on me diminue, je ne gagnerai plus rien…

Et si aucun club ne s’intéresse à vous?

Je chercherai du boulot, comme tout le monde.

Dans le milieu du foot?

Ce serait chouette d’y rester, mais il y a beaucoup de postulants et peu d’élus. Quand je vois le nombre de joueurs qui ont arrêté depuis deux ou trois ans, je me dis que ça ne sera pas simple de me recaser. Il y a des noms plus ronflants que Siquet qui ne trouvent rien. Je ne vais pas patienter deux ans dans l’espoir de trouver un poste dans le monde du foot. Je ne peux de toute façon pas me le permettre: je ne suis pas Rockfeller…

Pratiquer un métier classique ne doit pas être simple pour un ancien footballeur qui a longtemps vécu dans l’ouate?

C’est sûr. Mais huit ex-footballeurs sur dix sont obligés de se reconvertir dans un autre domaine et ça ne semble pas insurmontable. Quand on est obligé de travailler pour gagner sa croûte, on s’adapte. C’est une autre façon de vivre, du jour au lendemain. Et c’est clair qu’on doit se rendre compte, à ce moment-là, qu’on a été gâté. Quels sont les inconvénients du métier de footballeur? Je n’en vois qu’un: on n’est pas disponible le week-end pour sa famille. C’est mineur, comme désavantage. »On n’aime peut-être pas les vieux à La Louvière »

N’a-t-on pas tendance à sous-estimer l’apport des aînés de La Louvière?

Olivieri, Arts et moi, nous formons à coup sûr la plus vieille défense de Belgique. Nous avons plus de 100 ans à nous trois et aucun de nous n’est spectaculaire. Mais les résultats sont là: si on ne tient pas compte de la période creuse que toute l’équipe a connue en janvier et février, nous prenons peu de buts. Avant le match à Beveren, j’ai entendu des commentaires qui m’ont bien fait rire: -Contre les artistes africains, Siquet, Arts et Olivieri vont tourner comme des toupies. Au bout du compte, nous n’avons souffert que pendant un petit quart d’heure et nous avons gagné 0-3. Notre défense n’assure pas le show mais elle est efficace et c’est bien l’essentiel.

Missé Missé, Thans, Karagiannis: les départs des vieilles gloires se passent rarement bien à La Louvière!

On n’aime peut-être pas les vieux dans ce club (il rit). Il y a certainement un problème de reconnaissance. On ne vit pas de ça, mais il est clair que certains joueurs auraient mérité d’autres adieux. Un petit mot de remerciement ne coûte quand même pas grand-chose. Mais bon, ce phénomène n’est même pas propre à La Louvière. Il s’est généralisé à tout le monde du football. J’espère en tout cas qu’on me laissera l’occasion de partir dans de bonnes conditions.

Ces adieux manqués ne s’expliquent-ils pas par le manque d’expérience de la D1?

Non, puisque ça se passe partout de la même façon. La différence, c’est qu’on en parle plus à La Louvière qu’ailleurs. Ici, le moindre petit problème prend vite des proportions. Alors que ce qu’on a fait l’année dernière à plusieurs joueurs du Standard était autrement plus grave. On a mis des footballeurs confirmés dans un noyau qui n’existait même pas. Dont un Ciobotariu qui avait joué des dizaines de matches internationaux et une Coupe du Monde. Sans une explication cohérente: c’est ça, le plus dramatique. Aujourd’hui, les clubs n’hésitent plus à vous redescendre… plus bas que plus bas.

Dans quelle mesure avez-vous vu le football professionnel évoluer depuis 1986?

Je l’ai vu évoluer à l’image de la société. Dans les années 80, les gosses n’osaient pas répondre à leurs parents. Aujourd’hui, même s’ils n’ont que 10 ans, ils ont toujours leur mot à dire sur tout. C’est pareil dans le foot. Quand j’ai débuté, on avait du respect pour les anciens qui voulaient nous aider et nous motiver. Neuf jeunes sur 10 étaient à l’écoute. Maintenant, il n’y en a plus qu’un sur deux. L’autre vous envoie à la gare: -Cause toujours, je fais ce que j’ai envie de faire.

Ces rebelles n’ont-ils pas trop de caractère?

Certainement pas. Si c’était le cas, ils arriveraient beaucoup plus haut. Quand on a trop de caractère, on en veut toujours plus et on casse tout pour revenir dans le coup quand ça ne tourne pas. Aujourd’hui, il y a beaucoup trop de jeunes qui pensent: -Je suis dans le noyau A d’une équipe de D1, je joue une fois de temps en temps, tout va bien, cool, relax.« Les défenseurs sont généralement plus barbants »

Et vous, n’auriez-vous pas fait une plus grande carrière si vous aviez eu une plus grande gueule?

J’en ai une… sur le terrain. Si elle était encore plus grande, j’emmerderais tellement mes coéquipiers que ça deviendrait invivable pour eux. Je suis parfois agaçant et je m’en rends compte. éa doit être barbant d’entendre sans arrêt: -A gauche, -A droite, -Fais ceci, -Fais cela, -Tu peux monter, -Reste derrière. Les défenseurs sont en général plus barbants que les autres joueurs et c’est normal parce qu’ils voient tout ce qui se passe sur la pelouse. On m’a rarement reproché de donner des ordres. Sans doute parce que mes coéquipiers comprennent que, dans 90% des cas, c’est dans un but positif et constructif. Même si la manière n’y est pas toujours, ça part d’une bonne intention. Je n’ai jamais épargné personne. Même à Olivieri, je dis ce que j’ai à dire. Et, quand on me reproche de trop en faire, j’ai un argument en béton: -Moi, j’accepte toutes les remarques, même si elles viennent de joueurs plus jeunes. Un joueur de La Louvière m’a dit un jour, en plein match: -Mais qu’est-ce que tu fous? Tu es sur une autre planète ou quoi? Je lui ai répondu: -Tu as raison, ça ne va pas du tout aujourd’hui.

Ce Siquet-là, on ne le retrouve pas en dehors du terrain!

C’est vrai que, dans la vie, je suis calme et discret. Il y a deux Thierry Siquet.

Si on a envie de passer une soirée délirante, on ne pense pas directement à vous appeler…

Je comprends. Je passe pour un taciturne, un insensible. Mais je suis très différent de l’image que je donne. Le grand public me connaît très mal. Quand mon équipe marque, je ne traverse pas tout le terrain pour aller embrasser le buteur, mais je suis aussi content que mes coéquipiers. Et, quand on est battus, je suis sûrement le plus malheureux du vestiaire. Mais, là aussi, je garde mes sentiments pour moi. Les seules fois où je me fais remarquer dans le vestiaire, c’est à la mi-temps pour dire à mes coéquipiers qu’ils ont intérêt à se bouger les fesses…

On ne vous verra donc jamais faire des saltos comme Ishiaku après un but.

Si j’essaye, je me casse le dos (il rit). Tout le monde réagit à sa façon. Mais je suis persuadé qu’il faut deux ou trois gars très zens dans chaque équipe pour ramener très vite sur terre ceux qui perdent la boule après avoir marqué un but et ceux qui oublient de reprendre leur position dès que le ballon a été remis en jeu.

Quel bilan global tirez-vous de votre carrière?

C’est marrant, vous me parlez depuis le début de l’interview comme si je jouais ma dernière saison (il se marre). Si je ne dois retenir qu’une chose, c’est que j’ai fait mon petit bonhomme de chemin sans faire d’éclats: parce que ce n’était pas mon style et parce que j’en étais de toute façon incapable.

Pierre Danvoye

« Notre défense centrale, c’est plus de 100 ans d’efficacité »

« Dans l’équipe, il faut deux ou trois gars zens pour calmer ceux qui perdent la boule »

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