Double Kubik

Les frères polonais attendent impatiemment de se mesurer en compétition officielle.

Comme les Zewlakow, ils sont frères. Mais pas jumeaux: Lukasz le Mouscronnois a fêté ses 25 ans mercredi passé. Arek (le diminutif d’Arkadiusz) l’Anversois fêtera ses 31 ans le 31 mai. Cette différence d’âge explique qu’ils ont rarement évolué ensemble. En fait, ils ont dû attendre que Lukasz rejoigne son aîné à Harelbeke en 1998 pour, enfin, porter le même maillot. A ce jour, ils ne se sont encore jamais affrontés en compétition officielle. Le match Mouscron-Antwerp de samedi prochain pourrait leur en offrir l’occasion. Pourrait, car une fois encore, le conditionnel est de mise.

Arek: Je souffre du tendon d’Achille et j’ai peur d’être insuffisamment rétabli pour samedi. Une sorte de fatalité s’acharne sur nous. Comme si quelqu’un, là haut, souhaitait que ce duel fraternel n’ait pas lieu.

Lukasz: C’est pourtant un moment que j’attends avec impatience. L’an passé, j’avais dès le départ coché la date de Malines-Antwerp dans mon agenda. C’était l’un des derniers matches du premier tour. Lorsque le jour arriva, Malines avait explosé en raison de problèmes financiers et j’avais déjà quitté le club. Durant le mercato d’hiver, j’ai été engagé par Mouscron. Et je me suis rapidement aperçu que, fin janvier, un affrontement Mouscron-Antwerp figurait au programme. J’étais tout excité. Las: trois jours avant, la neige et le gel s’abattirent sur la Belgique, et une remise générale fut décrétée. Et maintenant, voilà qu’Arek connaît des problèmes physiques.

Pourtant, quel duel en perspective! Lukasz joue habituellement comme demi droit et Arek comme demi gauche: vous seriez des opposants directs…

Arek: Je suis le seul gaucher de la famille. Mon frère est droitier, comme mon père et… mon fils de trois ans, qui est né à Courtrai. Lukasz et moi, nous nous sommes déjà affrontés à l’entraînement à Harelbeke, ou lors de petits matches entre copains en Pologne, mais jamais encore en compétition officielle. Ce serait un combat, mais dans les limites du fair-play, je pense.

Lukasz: Dans les circonstances actuelles, je devrais oublier qu’Arek est mon frère. Mouscron doit à tout prix prendre des points. Il est temps d’entamer une série victorieuse. La venue des deux clubs anversois – l’Antwerp puis le GBA – au Canonnier nous en offre l’occasion. Lukasz à la remorque d’Arek

Quels étaient vos rapports à la maison, lorsque vous étiez enfants?

Arek: J’ai joué le rôle du grand frère. J’ai toujours essayé d’aider Lukasz. Lorsque je le pouvais, je l’emmenais avec moi à l’entraînement, et il s’exerçait avec des garçons plus âgés. Evidemment, chacun voulait montrer qui était le plus fort. Mais le combat était inégal.

Lukasz: Six années, c’est une fameuse différence. J’atteignais avec plusieurs longueurs de retard les objectifs qu’Arek avait atteints précédemment. Lorsque nous étions gamins, les disputes avaient souvent lieu… avant les matches. Nous habitions dans un grand immeuble qui comptait près de 200 appartements. De notre fenêtre, nous voyions le terrain de football à nos pieds. Les enfants du quartier se réunissaient souvent pour des petits matches. Lorsqu’on formait les équipes, tout le monde voulait choisir en premier lieu, afin de pouvoir prendre Arek avec soi. Lorsqu’on choisissait en second, on tombait sur moi et j’étais nettement moins costaud.

Et aujourd’hui, qui est le meilleur?

Arek: C’est difficile à dire. Nous avons un peu le même rôle, mais Lukasz sur le flanc droit et moi sur le flanc gauche. Gamin, j’avais l’avantage d’avoir six ans de plus. Aujourd’hui, l’âge joue peut-être en faveur de Lukasz. A 25 ans, il est au sommet de son art et va peut-être encore progresser, alors que j’ai dépassé la trentaine.

Lukasz: Notre bilan, nous le dresserons à la fin de notre carrière. Pour l’instant, c’est encore trop tôt.

Quelles furent vos trajectoires respectives?

Arek: Lukasz et moi, nous avons tous les deux débuté au Cracovia, où joua également notre père. Nous étions dans le même club, mais pas dans la même équipe. J’évoluais deux catégories d’âge plus haut. Alors que Lukasz était encore Junior, j’ai intégré l’équipe Première, d’abord en D3 puis en D2, avant de partir au Gornik Zabrze, un club de D1 où évolua autrefois Wlodek Lubanski. J’y ai joué deux ans et demi, avant de débarquer à Harelbeke en 1996, où mon frère m’a rejoint deux ans plus tard. Lorsque le club a connu des problèmes, je suis reparti une année en Pologne, au Zaglebie Lubin, avant de venir à l’Antwerp.

Lukasz: Après la faillite d’Harelbeke, j’ai directement signé à Malines, alors en D2. J’ai fêté la promotion avant de connaître les affres d’une mise en liquidation. Chat noir

Vous avez joué à Harelbeke déclaré en faillite, puis à Malines mis en liquidation. Depuis que vous avez signé à Mouscron, l’Excel a réalisé une série catastrophique. Portez-vous la poisse?

Lukasz: Je vais vous faire une confidence: avant de signer à Malines, j’avais négocié avec… Lommel! Si je porte la poisse? J’espère que non. Malgré cette succession de mauvais résultats, je demeure persuadé d’avoir fait le bon choix. Après tous les tracas que j’ai connus, je peux mesurer mon bonheur de faire partie d’un club comme Mouscron, où l’on est toujours payé à heure et à temps. Cette série noire se terminera un jour, j’en suis sûr. Le tout est de savoir quand.

Arek: Mouscron a de bons joueurs. Mais l’infirmerie ne désemplit pas. A l’entraînement, paraît-il, tout se passe bien, mais en match, les résultats ne suivent pas. Et lorsqu’on accumule les défaites, le moral est atteint.

Cracovia, votre ancien club, vit désormais dans l’ombre du Wisla?

Arek: Actuellement, oui. Le Wisla brille en D1 et a réalisé une très bonne campagne en Coupe de l’UEFA, en éliminant notamment Parme et Schalke 04, avant de tomber contre la Lazio. Le Cracovia évolue aujourd’hui en D3. Il n’y a plus de matches officiels entre les deux équipes et très rarement des matches amicaux. Mais la rivalité est grande entre les deux clubs. C’est pire qu’entre l’Antwerp et le GBA.

Lukasz: Les deux stades sont séparés d’à peine 500 mètres. Au milieu, il y a un parc qui est souvent le théâtre de champs de bataille entre les supporters rivaux qui se haïssent viscéralement. Le hooliganisme existe en Pologne également. Les deux clubs ont été fondés en 1906. Mais pas question de fêter le centenaire ensemble, dans trois ans.

Vous êtes de Cracovie alors que les Zewlakow sont de Varsovie…

Lukasz: A ce niveau-là aussi, il existe une rivalité. Les plaisanteries fusent souvent entre les habitants des deux villes. Mais cela reste bon enfant.

Arek: Cracovie est une belle ville, très touristique. Le vieux centre historique compte de nombreux monuments classés et la montagne n’est pas loin. Varsovie, c’est plutôt la ville des affaires et de l’administration, comme il sied à une capitale. Nous avons dû attendre notre venue en Belgique pour réellement faire connaissance avec les Zewlakow. Aujourd’hui, nous sommes devenus de bons amis. Michal et Marcin étaient d’ailleurs venus à Anvers pour l’anniversaire de mon fils. C’est agréable de pouvoir parler sa langue, de temps en temps. Tour de Babel

Et à l’Antwerp, quelle langue parle-t-on?

Arek: Un peu de tout, mais principalement l’anglais. Nous avons 14 étrangers à l’Antwerp. C’est beaucoup. Mais il n’y a pas de problèmes relationnels. C’est même enrichissant de côtoyer d’autres cultures et d’autres mentalités. On se charrie mutuellement, mais jamais méchamment. Avec les Africains, c’est parfois assez spécial. Ils peuvent être lymphatiques et la ponctualité n’est pas leur qualité première. Et puis, nous avons un Qatari: Hussain Abdulrahman. En janvier, il a découvert la neige pour la première fois. Il était fort surpris. Lors de l’entraînement, il n’a pas arrêté de tâter le sol.

Lukasz: On dit de Mouscron que c’est un club francophone, mais en réalité, c’est aussi une tour de Babel. Les joueurs flamands conversent entre eux dans la langue de Vondel. D’autres parlent anglais ou… polonais. Le président Jean-Pierre Detremmerie voudrait que j’apprenne le français. Moi, je veux bien, mais ce n’est pas facile. Pour le shopping, je me rends volontiers à Courtrai, où les commerçants comprennent mieux l’anglais qu’à Mouscron.

Quelle est actuellement l’ambiancedans votre club ?

Arek: Nous avons de bons supporters à l’Antwerp. Pour eux, le derby contre le GBA est le match de l’année. Dimanche, c’était déjà la quatrième fois que les deux équipes s’affrontaient cette saison. Le premier affrontement en championnat fut très spectaculaire. Remonter de 0-3 à 5-3: je n’avais encore jamais vécu cela. Le GBA a pris sa revanche en nous éliminant de la Coupe de Belgique. Nos supporters sont fort fanatiques et peuvent se montrer très enthousiastes lorsque l’équipe gagne. Malheureusement, ces derniers temps, les victoires ont été rares. La saison avait bien commencé, mais nous traversons actuellement une période difficile. L’entraîneur doit souvent modifier son équipe en raison des blessures et des suspensions. La cohésion s’en ressent. Nous sommes confinés dans le ventre mou. L’Europe est hors d’atteinte. Nous aurions pu être menacés de relégation si Malines et Lommel n’avaient pas connu de problèmes financiers. Nous devons essayer de terminer la saison le mieux possible. Un peu comme Mouscron.

Lukasz: Avec des résultats aussi décevants, l’ambiance est forcément un peu morose à Mouscron. Mais tout peut changer très vite. Il suffirait d’un déclic. Personnellement, je commence seulement à trouver mes marques. L’entraîneur doit encore trouver quelle est ma meilleure place dans l’équipe: demi droit ou soutien d’attaque. Je n’ai pas de préférence, pourvu que je joue.

Et le match de samedi?

Lukasz: Malgré notre mauvaise série, nous sommes toujours mieux classés que l’Antwerp, dont le deuxième tour n’est pas brillant non plus. A domicile, nous devrions gagner. C’est du 60-40.

Arek: Je pronostique un match nul. Cela satisferait mon père également, je pense. C’est la première qu’il voit ses deux fils dans des camps différents. Il pourrait toujours venir avec une écharpe rouge et blanche, cela ne vexerait personne: ce sont les couleurs des deux clubs, et ce sont aussi celles du Cracovia et de l’équipe nationale polonaise. Il lui arrive de faire le déplacement jusqu’en Belgique. En bus, généralement: le voyage prend une vingtaine d’heures. Mais, en principe, il restera à Cracovie le week-end prochain.

Daniel Devos

« Si je porte la poisse? J’espère que non » (Lukasz)

« Comme si quelqu’un, là-haut, voulait que le duel fraternel n’ait jamais lieu » (Arek)

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