DONNAY FÊTE SES 100 ANS

La firme de Couvin, aujourd’hui avalée par un groupe britannique, a traversé l’histoire du tennis avec succès.

Auckland, Nouvelle-Zélande. Les Belges, trop occupés à se demander qui de Kim Clijsters ou de Justine Henin s’imposera à Brisbane, ne se rendent pas compte que Yanina Wickmayer est en train d’écrire une page étonnante du tennis belge. Non pas parce qu’elle va s’imposer face à l’Italienne Flavia Pennetta (WTA 14) en finale mais bien parce que, ce faisant, la marque Donnay va gagner son premier tournoi depuis… 2005 et le succès de l’Anglo-Canadien Greg Rusedski sur le gazon de Newport… Depuis le troisième tour de cette épreuve néo-zélandaise, celle qui est encore la première joueuse belge et déjà 15e mondiale arbore une raquette aux couleurs de la célèbre marque. Un drapeau belge est d’ailleurs représenté sur le manche, à l’occasion du centième anniversaire de la firme…

 » Je sus ravie de rejoindre Donnay « , expliquait l’Anversoise au moment de signer son contrat,  » et je suis fière de marcher sur les traces d’anciennes vedettes qui ont forgé la réputation de la marque…  » Née en 1989, Wickmayer n’a évidemment pas connu les heures de gloire de son nouveau sponsor. Enfin, quand on dit les heures de gloire, on ne parle évidemment pas de celles de sportdirects.com, propriétaire britannique de moult marques dont Donnay, mais bien de celles pendant lesquelles la petite bourgade de Couvin était la capitale du tennis. Ou presque.

On est en 1975. Bjorn Borg n’a pas encore vingt ans et n’est pas encore la légende qu’il est devenu. A cette époque, le Suédois joue avec une raquette Slazenger, la Slazenger Challenge N°1, pour être exact. Conseillé par un certain Rod Laver, dernier joueur de l’histoire à avoir réussi le véritable Grand Chelem, il accepte une proposition de contrat de Guy Pignolet, le directeur général de Donnay.

Donnay flambe grâce à Borg

A l’époque, les raquettes sont encore en bois. Et Donnay fait partie des manufacturiers les plus compétents et les plus renommés au monde. Mais c’est évidemment grâce à sa collaboration avec Borg que la firme va devenir mondialement célèbre.

On l’oublie trop souvent mais, jusque la fin des années 60, le tennis n’est pas le sport hyper-médiatisé d’aujourd’hui. Il devient certes professionnel en 1968 mais il faudra attendre une conjonction d’événements positifs pour qu’il rivalise enfin avec les disciplines sportives les plus cotées, comme le football. Il aura fallu qu’en même temps des personnages comme Philippe Chatrier, président de la fédération française de tennis et, plus tard, de la Fédération internationale, et Borg unissent inconsciemment leurs efforts pour que le tennis explose. On s’explique : Roland Garros est alors un Grand Chelem de deuxième zone, loin derrière l’US Open et Wimbledon, et à peine plus important que l’Australian Open. Chatrier en prend ombrage et décide de rénover le tournoi et de le mener au niveau des deux autres, plus prestigieux. Il ne s’intéresse pas uniquement au tennis français puisque son obsession est de populariser la discipline et de la rendre accessible à tous. Dans sa quête, il a la grande chance de pouvoir compter sur un joueur suédois archi-dominant sur le terrain mais qui, en plus, a un look qui séduit les jeunes. Son comportement sur le terrain ne cesse de passionner les foules et de séduire les femmes.

Harcelée par Chatrier et subjuguée par les exploits de Borg, la télévision va alors entrer dans la danse et retransmettra la totalité des rencontres de Roland Garros. Champion de tennis, Borg devient alors l’un des hommes sandwiches les plus sollicités du monde et signe des contrats juteux avec des marques aussi diverses que Canada Dry ou Fila… La Borgmania déclenchera alors le plus grand boum de l’histoire de la petite balle blanche (devenue jaune)…

Il va sans dire que Donnay est l’un des grands bénéficiaires de cette notoriété grandissante du tennis mondial. En 1979, la société signe d’ailleurs un nouveau contrat avec le Suédois. Lequel a alors déjà gagné six tournois du Grand Chelem. Montant du contrat : 600.000 dollars par an, ce qui est énorme pour l’époque. Il va sans dire que les affaires marchent plus que bien pour la firme belge. Elle va vendre des centaines de milliers de raquettes Allwood, que Borg utilisera jusqu’en 79 et, ensuite, autant de célèbres Pro Borg, sans doute l’un des cadres les plus mythiques de l’histoire du tennis (avec la Dunlop Maxply de John McEnroe et la Wilson T2000 de Jimmy Connors). Et on ne parle pas ici des accessoires Donnay que s’arrachent les fans du Suédois. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et pourtant.

Tout occupée à gérer son succès et connaissant quelques problèmes de trésorerie, la firme Donnay prend un peu de retard dans la révolution technologique qui se prépare. Partout dans le monde, les concurrents travaillent ferme sur les nouveaux matériaux qui, entre autres, offrent un confort de jeu plus important. Les ingénieurs de Donnay se pencheront aussi sur de nouveaux projets et sortiront des modèles plus qu’intéressants comme la 3 set mais ils ne parviendront jamais à résorber leur retard. Très vite, le composite et les nouveaux matériaux enterrent définitivement les raquettes en bois.

Donnay ne s’en relèvera pas et fut déclarée pour la première fois en faillite en 1988. Faillite qui émut toute une région, voire même tout un pays. Il est vrai que la firme avait occupé jusqu’à 500 personnes pendant les années glorieuses…

Tapie rachète la marque et signe Agassi

Fin des années 80, Bernard Tapie est en pleine gloire médiatique. Son fonds de commerce : le rachat de sociétés en difficulté. La Région wallonne voit en lui l’homme providentiel. Donnay redémarre donc avec un actionnariat partagé entre Tapie (51 %), Albert Frère (20 %) et la Région wallonne (29 %). Mais Tapie est Tapie et il ne pouvait se contenter de venir les mains vides à Couvin. Il lui fallait marquer l’histoire à son tour. Les raquettes en bois avaient eu leur héros, les nouvelles Donnay auraient le leur : Andre Agassi. Le Kid de Las Vegas n’a encore que 18 ans mais a déjà marqué les esprits à Roland Garros où il a atteint les demi-finales. En décembre 1988, il signe son contrat portant sur six millions de dollars pour cinq ans ! Le hic, c’est que Tapie cédera ses parts à peine trois ans plus tard.

N’allons toutefois pas trop vite : avant que Tapie ne soit choisi par la Région wallonne, était apparu un projet de faire naître une nouvelle société belge combinant les forces des trois marques existant alors sur le territoire (Donnay, Browning et Snauwaert). Jacques Lierneux, directeur de l’ECC d’Anvers – premier tournoi au monde à avoir offert un prize-money d’un million de dollars ! – propose de réunir les points forts des trois marques belges : la notoriété de Donnay, le savoir-faire de Snauwaert et les capacités industrielles de Browning, une filiale de la Fabrique nationale. La Région wallonne refuse sous prétexte que l’offre de Tapie est plus intéressante. Dans les coulisses, il se murmure cependant que les dirigeants wallons voyaient d’un mauvais £il Lierneux devenir le patron d’une marque wallonne. A leurs yeux, le boss de l’ECC était par trop flamand alors qu’en fait il était bruxellois. Si l’avenir montrera certes que Lierneux avait parfois des rêves de grandeur, on ne peut que regretter que l’aventure belge n’ait pas été privilégiée…

Agassi quittera donc le giron Donnay à peine trois ans après l’avoir rejoint. Très vite, l’Américain assignera la firme en justice pour lui interdire de vendre des raquettes ou accessoires portant son nom. En 1993, le tribunal du commerce de Dinant lui a donné raison. Donnay International – autrement dit la Région wallonne – se retrouvait donc avec 62.000 raquettes sur les bras. C’est bel et bien la Région wallonne qui, en 1991, rachètera pour 2,5 millions d’euros les parts de Tapie, qui avait besoin de cet argent pour acheter Adidas. Plus tard, la Région wallonne revendra ses parts à l’Italien Carbon Valley.

A ce moment, la magie Donnay ne fonctionne plus. La firme tombera à nouveau en faillite en 1993… Et La Région wallonne est dès lors obligée de reprendre intégralement la société sous le nom de Donnay International. Celle-ci passera ensuite dans les mains du Britannique Sport Ski avant d’être rachetée par son propriétaire actuel Sportdirect.com. C’est lui qui signera un contrat avec Rusedski fin des années 90. L’Anglo-Canadien était donc le dernier joueur de renom à avoir été l’ambassadeur de Donnay avant que celle-ci redevienne un peu belge grâce à Wickmayer…

par patrick haumont – photos: reporters

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