» Dommage pour MILAN « 

L’entraîneur de Westerlo revient sur 25 ans de football professionnel.

Jan Ceulemans se masse lui-même le genou, à Westerlo :  » Je dois tout faire, ici !  » Il a essayé d’un peu jouer le matin mais son membre a perdu sa souplesse. Ceulemans avait déjà effectué ses débuts en D1 en 1974…

 » Tout le monde parle de Mexico 86, mais si on me demande quelle fut ma meilleure année, je réponds toujours 1980 parce que j’ai émergé en championnat comme en équipe nationale. J’ai été champion avec le Club Bruges, j’ai marqué 29 buts puis je me suis mis en évidence à l’EURO italien. 1980 était ma deuxième saison au Club Bruges. Même si j’ai marqué onze buts la première année, elle a été difficile. Le jeu ne me convenait pas mais Ernst Happel croyait en moi. Mes coéquipiers m’ont soutenu aussi û Georges Leekens, Paul Courant, Fons Bastijns avaient disputé la finale de la Coupe d’Europe l’année précédente. A l’époque, il y avait une soirée pour les supporters tous les quinze jours et ces joueurs m’y emmenaient. Ils m’ont réservé un accueil fantastique. S’ils m’avaient ignoré, l’entraîneur aurait peut-être été tenté d’aligner quelqu’un d’autre « .

Au terme de cette première saison, avez-vous envisagé un retour au Lierse ?

Le président d’alors, Bob Quisenaerts, disait : – On ne déplace pas un grand chêne car alors, il meurt. J’ai hésité mais ma femme a décidé que nous resterions un an de plus. Et j’ai émergé.

Pourquoi cela n’allait-il pas ?

On m’avait transféré pour remplacer Ulrich Le Fèvre à gauche mais suite au forfait de Raoul Lambert, je me suis retrouvé en pointe. Or, j’aimais redescendre, être servi dans les pieds et amorcer une action. Les autres ont aussi compris qu’il fallait jouer différemment, sans toujours balancer des longs ballons en avant.

Un jeune ne doute pas de lui. A 17 ans, on me surnommait le nouveau Cruijff. Les offres affluaient : trois clubs hollandais et quelques allemands, comme Dortmund. Tous les grands clubs belges me convoitaient, y compris le RWDM, qui venait d’être champion.

Seul Raymond Goethals, au nom d’Anderlecht, doutait de vous.

Non. Il m’avait dit que je serais dans les 14 mais qu’il ne pouvait me garantir une place de titulaire. Le Club ne m’avait pas offert cette garantie mais je trouvais qu’il me convenait mieux.

Avez-vous mené vous-même les négociations ?

J’ai d’abord travaillé avec Intervoetbal, un bureau néerlandais qui employait Cor Coster et Maarten de Vos, que Hans Croon, l’entraîneur du Lierse, m’avait recommandé. J’ai ainsi obtenu un meilleur contrat au Lierse, avec une clause de transfert de 225.000 euros. Le Club en a déboursé 275.000. Je vivais chez mes parents quand Michel Van Maele et Antoine Vanhove ont téléphoné. Je n’avais plus de manager et j’ai négocié avec un ami, Louis Busschops, président du club de basket Bus Lierre, la première équipe belge à avoir engagé deux Américains.

 » J’aurais pu jouer au basket en D1  »

Vous étiez aussi un brillant basketteur, non ?

J’aurais pu jouer en D1. Jusqu’à mes 14 ans, je marquais entre 20 et 30 points par match mais mon père m’a dit que je pourrais gagner plus avec le football. J’ai choisi l’argent.

Le Lierse et le Club étaient professionnels mais avez-vous ressenti une différence ?

Pas en intensité. On s’entraînait deux fois par jour au Lierse, une des rares équipes à n’employer que des professionnels, hormis l’élite. Je gagnais un peu plus qu’à l’usine où j’avais travaillé avant : 375 euros par mois plus les primes au lieu de 250. J’étais heureux car un rêve se concrétisait. Les installations du Club étaient impressionnantes : il y avait un sauna, un bain et venait de jouer la finale de la C1.

La deuxième année, nous avons été champions avec Han Grijzenhout, mais deux mois plus tard, il était viré. Nous avons usé plus d’entraîneurs ces deux années-là que les douze autres réunies, jusqu’à l’arrivée de George’ Kessler. Gille Van Binst l’avait eu à Anderlecht et nous a prévenus qu’il était dur mais je n’ai jamais eu peur d’un entraîneur. Je donnais mon avis, uniquement entre nous et de manière constructive. Ensuite, j’étais soulagé. A Westerlo aussi, je constate aussi le soulagement d’un joueur quand il a pu dire le fond de sa pensée.

Aimiez-vous être capitaine ?

Quand on est important sur le terrain, on a des responsabilités. Je ne les ai pas cherchées, pas plus que je ne les ai refusées. Mes coéquipiers m’ont élu. A mon arrivée au Club, j’étais un garçon tranquille qui s’asseyait dans un coin, là où une armoire était libre. Au début, il faut observer son environnement.

Quels entraîneurs retenez-vous ?

Je n’ai eu de problèmes avec personne. Grijzenhout était fort mais je le retiens peut-être parce qu’un entraîneur est essentiel au début de votre carrière. Rik Coppens jouait encore, il bottait les corners et les coups francs. Un homme agréable mais très nerveux. Personne ne le comprenait. C’était la première fois qu’il quittait Anvers. A l’époque, le néerlandais était la langue véhiculaire, y compris pour les étrangers. Nous ne sabotions pas les entraîneurs. C’est la direction qui s’énervait, car l’équipe ne rééditait plus les performances des années précédentes. Elle avait perdu une génération. Or, on n’achète pas une équipe.

Avez-vous sauvé des entraîneurs ?

Quand ils sont humains, on veut leur rendre quelque chose, comme quand nous avons été éliminés de la Coupe d’Europe et de Belgique en l’espace d’une semaine, avec Georges Leekens. C’est un bon entraîneur, qui vivait avec le groupe et se donnait à fond. S’il s’était retourné contre les joueurs en ces temps difficiles, il aurait peut-être dû partir. Mais il parlait avec chacun et je le fais aussi. C’est plus difficile avec quelqu’un qui n’est pas titulaire mais je le fais quand même. Sinon, un clan de mécontents se forme, qui attend son heure. Je m’appuie sur mon expérience de capitaine dans mon approche actuelle.

Qui a dit :  » Au bout d’un moment, on sent que les joueurs ont envie de travailler avec un autre entraîneur. Cinq ans, c’est long, trop sans doute pour un entraîneur ? »

Moi, sans doute ?

Et depuis combien de temps êtes-vous à Westerlo ?

Six ans ! Je devrais être parti. Mais qui reste, des joueurs ? Le gardien Bart Deelkens et les défenseurs Mario Verheyen et Sadio Ba. Quand j’ai tenu ces propos, sous Henk Houwaart, les joueurs restaient plus longtemps. Pourquoi partir quand vous vous sentez bien ? Aussi longtemps que l’entraîneur, la direction et les joueurs s’entendent, ça va. Sinon, il faut que la direction renvoie quelques joueurs. Si elle ne le fait pas, vous savez que c’est votre tour.

 » Le talent existe toujours  »

Vous ne vous endormez pas à Westerlo ?

L’essentiel est de connaître son objectif û et qu’il soit réalisable. Nous ne visons pas le top trois.

Vous non plus ?

Si, plus tard. Quel entraîneur n’a pas envie de travailler dans un club européen ? Mais il ne faut pas le chercher, tout au plus sonder le terrain au terme d’une belle saison, quand on est en fin de contrat. Ici aussi, je relève un défi : les joueurs acquis ne jouaient pas ailleurs.

Quand viserez-vous plus haut ?

Plus tard. Je n’ai que 48 ans. J’espère tenir encore cinq ou six ans mais pas jusqu’à 65 ans. Même à Westerlo, ce métier engendre trop de stress.

Avions-nous plus de talents avant ?

Nous en avons encore. Nous avons acquis l’attaquant nigérian Peter Utaka car il sera bon dans un an. L’avant Jochen Vanarwegen est un talent. Il a 19 ans. De mon temps, on recevait sa chance à 17 ans car les clubs ne pouvaient aligner que trois étrangers. Donc, ils complétaient leur noyau avec des jeunes. Et puis, les jeunes Belges accordent la priorité aux études. Les étrangers ont donc une fameuse avance en football.

Quand vous regardez un match, pensez-vous que certains n’auraient pas joué, de votre temps ?

Au début, à Alost, quand je n’avais pas encore tourné la page. Je me disais ho-la-la- la… Je sais que c’est plus difficile : tout est retransmis et décortiqué à la tv. Nous pouvions nous permettre de jouer deux ou trois mauvais matches de rang sans qu’on le remarque.

Revenons à 1980 et au regain de l’équipe nationale.

Il a commencé avec le retour de Wilfried Van Moer et la victoire en Ecosse, synonyme de qualification. Guy Thys avait trouvé son équipe et sa tactique. Sans cette victoire, il aurait continué à tâtonner un an. Là, c’était parti jusqu’en 1990.

Avez-vous retiré le maximum à ce niveau ?

Sans le scandale Standard-Waterschei de 1984, nous aurions été très près du titre européen mais nous avons perdu toute notre défense plus deux leaders : Walter Meeuws, qui orchestrait le hors-jeu, et Eric Gerets, le leader mental. Pendant cinq ans, nous avions joué avec les dix mêmes hommes, sauf blessures. Seul l’arrière gauche changeait parfois. En 1984, nous avions tous de 26 à 28 ans, nous étions à l’apogée de notre forme, forts mentalement et nous appuyant sur de solides automatismes. La presse nous aurait pointés favoris mais nous étions capables de supporter cette pression. Elle était inexistante en 1980. Je me souviens que nous observions, bouche bée, les Anglais à l’échauffement. Mais en 1984, nous avions une équipe.

Quel était le plus grand mérite de Guy Thys ?

Il parlait. On pouvait avoir une conversation avec lui.

Sauf au Mondial 1990, quand vous vous êtes retrouvé sur le banc et avez mal réagi.

Nous avons eu des mots, qu’on a exagérés, comme toujours quand il s’agissait de moi, mais ce Mondial s’est bien passé. Je suis entré au repos de ce premier match, à 0-0, nous avons gagné et je suis resté dans l’équipe. Contrairement à d’autres, je ne trouve pas que nous avions une équipe capable d’atteindre la finale, même si nous aurions mérité de gagner tous nos matches, contrairement à 1986.

 » Avant, tous les Diables jouaient en championnat…  »

Avec 96 sélections, vous détenez le record belge.

Chaque sélection fut un honneur, de la première à la dernière. Nous nous connaissions tous et chacun avait sa tâche. Nous étions sélectionnés même après quelques mauvais matches en championnat mais nous jouions. Maintenant, les Belges sont sur le banc à l’étranger.

Vous avez refusé un transfert à l’AC Milan.

J’aurais dû tenter l’aventure. C’est la seule question que je me pose depuis que je ne joue plus : – M’y serais-je imposé sportivement ? Je ne pense pas à l’argent, même si j’aurais gagné dix fois plus là-bas, mais au défi sportif.

Vous avez aussi privé le Club d’une indemnité colossale.

Il m’aurait sans doute laissé partir. Il pouvait gagner 80 millions, ce qui était énorme à l’époque. Je n’ai ressenti aucune pression, peut-être parce que René Vandereycken a alors rejoint Genoa.

Vous avez tout gagné en Belgique, parfois à plusieurs reprises. Ce n’était pas monotone ?

Non. Il est parfois difficile de se re-motiver après un titre ou une blessure mais je voulais prester chaque saison car les gens l’attendaient de moi. Je ne pouvais me permettre de me dissimuler. On remarquait la moindre de mes contre-performances. Chaque semaine, la moitié du stade criait Sterke Jan et l’autre moitié Ouwe Jan. Pour que tout un stade crie sur un seul homme, il faut qu’il soit vraiment important.

Vous avez été une figure de proue durant toute votre carrière, non ?

J’ai envisagé de jouer devant la défense mais j’étais meilleur à proximité du but. On y encaisse davantage de coups mais au fil des ans, on se fait respecter. On n’est plus poussé ni tiré. Je me souviens d’une demi-finale de Coupe contre Lommel. Jean-Claude Mukanya m’a suivi partout. Pour le tester, j’ai quitté le rond central pour aller vers le banc de touche. Il m’a suivi… Mais je ne provoquais jamais les défenseurs, sachant que j’encaisserais plus de coups. Ce n’est pas toujours le cas, mais en général, quand vous respectez les autres, ils vous le rendent. Zinédine Zidane est rarement taclé avant de toucher le ballon : c’est une marque de respect.

Combien d’amis conservez-vous ?

Marc Degryse et Franky Van der Elst. Un jour, un gamin a sonné chez moi. Il devait m’interviewer pour l’école. C’était Marc. Deux ans plus tard, il était dans le noyau et je me suis occupé de lui. J’essaie de ne pas rater les réunions des anciens de l’époque Houwaart. Je reste en contact avec Herman Helleputte, mon coéquipier au Lierse. Je connais bien la plupart des entraîneurs et nous discutons. En Belgique, il n’y a pas de réunion où on peut parler du métier entre collègues et demander comment d’autres résolvent tel problème. C’est dommage : nous apprendrions beaucoup.

Aimez-vous entraîner ?

Oui. Je dépends plus des résultats qu’un joueur, mais je pratique ce métier avec bonheur depuis douze ans. Comment dire si je suis là où j’aurais voulu me trouver après autant d’années ? Frank Rijkaard est à Barcelone après avoir été limogé du Sparta Rotterdam, en D2. On a besoin de gens qui vous amènent quelque part. Un entraîneur doit connaître les bonnes personnes au bon endroit.

C’est votre cas à Bruges ?

C’est pour la prochaine interview.

Geert Foutré

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