DOMMAGE, pas de Portugal !

Pierre Bilic

On dit la génération actuelle très forte. Qu’en pense Paul Van Himst (60 ans), qui coacha 36 fois les Diables Rouges de 1991 à 1996 ?

Existe-t-il un métier plus exposé à la critique que celui de coach fédéral ? La difficulté est même double dans un pays fédéralisé comme le nôtre où les sensibilités sportives, populaires et médiatiques ne sont pas nécessairement homogènes. Les Diables Rouges sont d’autant plus suivis qu’ils sont les derniers bijoux communs de toutes les régions de la Belgique. Compte tenu de cette popularité jamais prise en défaut, du premier match international de la Belgique, face à la France au Vivier d’Oie le 1er mai 1904 (3-3) à nos jours, le poids de la presse sur les épaules des coaches fédéraux s’est progressivement accentué.

Au c£ur des années 60, Constant Vanden Stock a bâti un bon groupe mais ne se débarrassa jamais de cette étiquette de  » champion du monde des matches amicaux « . On lui reprocha de se baser avant tout sur l’effectif du Parc Astrid. Roger Petit, le secrétaire général du Standard, ne parla-t-il pas d’anderlechtisation de l’équipe nationale ? Son successeur, Raymond Goethals, signa des résultats marquants en coulant son organisation défensive dans du béton. La presse le souligna souvent tout en reconnaissant ses mérites de coach gagnant. Guy Thys fut aussi discuté pour sa longue revue des troupes quand il prit la succession du sorcier bruxellois. Walter Meeuws ne pesa pas bien lourd. Paul Van Himst dut affronter des vents contraires lors de la Coupe du Monde 94, aux Etats-Unis, comme ce fut le cas pour Wilfried Van Moer et Georges Leekens quatre ans plus tard ou Robert Waseige au Japon en 2002.

Tous les fédéraux ploient petit à petit sous le poids des responsabilités, des reproches leur étant adressés pour des choix de joueurs ou de tactiques. Aimé Anthuenis est bel et bien l’exception momentanée qui fait la règle générale. La Belgique ne sera pas présente sur les terrains portugais de l’EURO, mais les critiques à l’égard du patron des Diables Rouges sont faibles.

Ce calme médiatique n’est-il finalement une bonne chose dans la mesure où la Belgique peut préparer la relève en fonction de la Coupe du Monde 2006 ?

Paul Van Himst : Cette absence au Portugal représente une perte de temps de jeu et d’expériences internationales pour de bons jeunes joueurs. Si l’équipe était cuite, l’aventure portugaise aurait été inutile. Ce n’est pas le cas. La Belgique aurait pu atteindre les demi-finales au Portugal. Dès lors, cette absence me laisse un goût amer en bouche. Rater l’EURO 2004, c’est dommage… Les vedettes jouant à l’étranger, comme Daniel Van Buyten, Wesley Sonck, Eric Deflandre ou Thomas Buffel, entre autres, ratent une occasion de se mettre en évidence et d’accentuer la courbe de leurs progrès. Walter Baseggio, Emile et Mbo Mpenza sont dans le même cas. Olivier Deschacht et Jonathan Walasiak auraient marqué des points importants dans leur maturation. Enfin, il y a l’avènement de Vincent Kompany qui se serait probablement installé pour longtemps. C’est dire si notre absence est importante. Et je ne connais pas de meilleure façon de préparer une phase éliminatoire de la Coupe du Monde que de se rôder lors d’un grand tournoi. Maintenant, on tempère cet échec en affirmant que le chemin menant à l’Allemagne ne sera pas ultra compliqué. Je n’en suis pas sûr du tout. L’Espagne ne sera pas notre seule adversaire. Il faudra peut-être aller à Belgrade pour la gagne contre la Serbie & Monténégro : ce ne sera pas de la tarte.

Aimé Anthuenis a réussi son opération jeunesse et on ne retient que cela. Je lui en laisse évidemment tous les mérites. Il a aussi bien fait passer son message dans les médias. Le coach fédéral est apprécié des deux côtés de la frontière linguistique et, de plus, il bénéficie aussi de façon positive des remous médiatiques qui eurent lieu autour de Robert Waseige au Japon. Là, certains ont dépassé les bornes. Je sais de quoi je parle car j’avais eu droit moi aussi à des attaques dégoûtantes. Dès le début, on m’a cherché de manière inhumaine, quasiment féroce. Le même journaliste a réservé le même traitement à Waseige. Anthuenis a plus de temps devant lui. Involontairement, il tire profit des excès ayant eu lieu au Japon. Les démolisseurs n’ont pas envie qu’il ne reste rien de l’équipe nationale. Waseige aurait eu droit à un autre traitement dans la situation présente. Même s’il aurait pu choisir un autre moment que le départ pour l’Asie afin d’annoncer sa décision de quitter la direction de l’équipe nationale, je comprends son choix. Après une Coupe du Monde, positive ou négative, il reste toujours des plaies. Waseige savait qu’on ne lui pardonnerait rien.

En ’94, nous avons quitté les Etats-Unis après avoir fait trembler l’Allemagne et les Diables Rouges en firent autant huit ans plus tard face au Brésil. Mais, hélas, ce n’est pas ce qu’on a retenu.

Guy Thys a échappé à ce bombardement médiatique. C’était un fin diplomate mais il a surtout £uvré à une époque très différente. Les médias n’étaient pas aussi nombreux et ne se livraient pas à une concurrence sans merci. Enfin, si Anthuenis a la paix ce ne sera plus le cas si les Diables Rouges devaient rater leur rendez-vous allemand. Cela dit, cette continuité est intéressante car il ne sert à rien de changer sans cesse de coach.

Confiance aux jeunes

Avec un zeste de chance, cependant, la Belgique n’aurait-elle pas pu prendre part à l’EURO au Portugal ?

Oui. Comme la Belgique aurait pu éliminer l’Allemagne en Amérique ou le Brésil au Japon. Josip Weber méritait un penalty à Chicago et le but de Marc Wilmots face aux futurs champions du monde était valable. A Sofia, Pierluigi Collina a oublié un penalty commis sur Mbo Mpenza… mais je n’oublie pas non plus le non-match des Belges à Zagreb et la défaite d’entrée de jeu contre la Bulgarie à Bruxelles alors que la Coupe du Monde n’avait pas encore été digérée.

En Croatie, la Belgique a aligné un gardien de but inexpérimenté, Franky Vandendriessche. C’était une erreur et, pour la circonstance, il aurait été plus judicieux de demander un dépannage à Dany Verlinden ou à Filip De Wilde. Guy Thys n’a-t-il pas été rechercher le vieux Wilfried Van Moer à Beringen quand il était en panne de grosse personnalité dans la ligne médiane ? J’avais parfois des relations difficiles avec Alex Czerniatynski mais j’ai fait appel à lui lors d’un voyage difficile en Tchéquie où il fut à la base de deux buts.

La chance joue évidemment un rôle. En 1995, la Belgique a livré une de ses meilleures mi-temps sous la direction face au Danemark à Bruxelles. Mais à la fin du match, c’était 1-3 car Gilbert Bodart passa à côté de son match. La jeunesse actuelle est très prometteuse mais j’ai un regret : on ne songe à elle que quand tout va mal. Elle est le dernier recours alors ce devrait être le premier.

Après l’affaire Bosman, les clubs s’étaient trop braqués sur des contrats à long terme qui ont vidé les caisses, au lieu de les remplir, car le marché s’est effondré. Les agents de joueurs furent les grands gagnants de ces mauvais choix. La formation est alors revenue au goût du jour. Il était temps et les clubs doivent désormais accentuer leurs efforts en faveur des jeunes. Ce retour aux sources vient à peine de s’amorcer et les premiers résultats sont beaux. Le talent ne manque pas en Belgique, mais il faut oser faire confiance aux jeunes.

Comme quand vous avez lancé Enzo Scifo et Georges Grün en équipe Première à Anderlecht ?

Oui, je déplorais des absents pour cause de blessures. Les jeunes étaient là. Pourquoi ne pas faire appel à eux ? Leur talent ne se discutait pas et ils ont saisi leur chance. A cette époque, je devais avoir une des équipes les plus jeunes de D1. Enzo et Georges se sont retrouvés très vite en équipe nationale. Et je n’avais que 16 ans quand j’ai débuté en D1. Anderlecht venait d’encaisser une série de défaites. Les cadres ont été rajeunis.

En 10 ans, de 1994, à nos jours, l’image de l’équipe nationale a changé avec l’apport d’allochtones. Vous souvenez-vous du bruit qu’avait fait la naturalisation de Josip Weber ? N’étiez-vous pas un précurseur ?

Il y a des discours qui ne seraient plus de mise tant notre pays a changé. Je suis sûr que Marc Wilmots ne critiquerait plus la naturalisation de Josip Weber. Il y avait déjà eu des enfants d’immigrés en équipe nationale : Czerniatynski, Scifo, etc. Mais une naturalisation comme celle de Weber n’était pas encore répandue. Plus tard, cela a posé moins de problèmes pour Luis Oliveira, Gordan Vidovic ou Branko Strupar. Quand on m’a demandé si Weber m’intéressait, j’ai dit : -Oui, car malgré Marc Degryse, Czerniatynski, Luc Nilis ou Wilmots, il me manquait un tueur des grands rectangles. Or, c’est ce que Weber était. Degryse m’a dit un jour que Weber manquait de technique. D’accord mais il marquait comme il respirait. Et à partir du moment où il était belge, je ne pouvais que l’utiliser. Je n’ai jamais tenu compte de la couleur ou des origines d’un joueur.

Le talent n’a pas de frontières

Ah, si Aruna Dindane était belge, n’est-ce pas ?

Aruna Dindane est gai à voir. On se moque du fait qu’il soit ivoirien. Cela n’a pas d’importance. Il est magnifique sur un terrain. C’est du bonheur de le voir jouer. Le public l’a bien compris. S’il avait un passeport belge, il jouerait sans problème en équipe nationale. Le talent n’a pas de frontières. A Anderlecht, il est toujours venu de partout : du Congo comme Julien Kialunda quand j’étais joueur, de Scandinavie plus tard, d’Europe orientale, de toute l’Afrique. Parfait quand cela s’ajoute à une bonne formation régionale. Qui se plaindrait du fait que les frères Mpenza ou Vincent Kompany jouent en Belgique ? Ce sont des Belges, des citoyens d’un pays qui a changé en dix ans. La France a compris et admis cette évolution avant nous. La population de notre pays n’est plus composée de la même façon. L’équipe nationale en est désormais le reflet exact. C’est tellement évident que les problèmes que j’ai eus en 1994 semblent dérisoires, presque ringards. Ils auraient pu passer au second plan si nous avions battu l’Arabie Saoudite. Dix ans plus tard, je me dis que je ferais les mêmes choix.

Il fallait prendre la mesure de ce pays pour nous mesurer à l’Irlande au tour suivant. Georges Grün était sous la menace d’une suspension en cas de carte jaune supplémentaire. De plus, il était blessé au genou et en faisant l’impasse sur l’Arabie Saoudite, Georges pouvait récupérer. Il a opté pour cette solution. S’il avait préféré jouer, je l’aurais sélectionné. A l’entraînement, Marc Wilmots marquait même avec ses oreilles. J’ai opté pour lui mais il a tout raté ce jour-là. C’est cela aussi le football et au lieu de rencontrer l’Irlande, ce fut l’Allemagne. La différence était appréciable car j’étais certain que les Irlandais allaient se détendre après le premier tour. A côté de cela, le coach national est parfois ennuyé par des problèmes dont il n’a pas envie de parler même si cela peut aussi expliquer de mauvais résultats…

Comme les fameuses parties de cartes en Amérique où Josip aurait perdu une fortune qui n’est jamais sortie de sa poche ?

Un coach ne peut pas tout voir ou tout savoir. De toute façon, je ne suis pas du genre à révéler des histoires qui peuvent entraîner des problèmes personnels pour les joueurs.

Eternel optimiste en conclusion ?

Oui, c’est ma façon de voir le football, d’avancer dans la vie. Je déplore ce négativisme souvent paralysant en Belgique. Or, je vois des choses intéressantes en D1. Il faut les mettre en exergue. Bruges et Anderlecht ont signé de bons matches en Ligue des Champions et méritaient d’y figurer plus longtemps. L’avenir ne m’inquiète pas, même s’il aurait été plus rose si les Diables Rouges avaient pu se qualifier pour la phase finale de l’EURO.

(A suivre avec les impressions d’un ancien joueur, Michel Renquin, et d’un ancien dirigeant, Alain Courtois )

1. St-Trond- 160 (1)- 85,5 (2)

2. Cercle Bruges- 144- 77,0

3. Mouscron- 140- 74,8

4. Germinal Beerschot- 134- 71,6

5. Westerlo- 132- 70,6

6. Lierse- 124- 66,3

6. Heusden-Zolder- 124- 66,3

8. Club Bruges- 118- 63,1

9. La Louvière- 106- 56,7

10. La Gantoise- 105- 56,1

11. Genk- 81- 43,3

12. Antwerp- 80- 42,8

13. Mons- 70- 37,4

14. Anderlecht- 69- 36,9

15. Standard- 62- 33,1

16. Charleroi- 48- 25,6

17. Lokeren- 36- 19,2

18. Beveren- 16- 8,5

( NB. Dans la première colonne figure le total de footballeurs belges lors du premier tour (sur 187 joueurs soit 17 fois le onze de base) ; dans la seconde colonne le pourcentage de la présence belge.

Pierre Bilic

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