Dominator

Le meilleur golfeur du monde vu par les plus grands champions américains.

Tiger Woods n’a pas gagné l’US Open 2001 en juin dernier! Une surprise puisqu’il avait remporté les quatre autres tournois du Grand Chelem en succession à cheval sur 2000 et 2001 : l’US et le British Opens 2000, l’USPGA Championship 2000 et le Masters 2001 au printemps. Le 19 juillet, il repart en campagne en Angleterre, sur le parcours du Royal Lytham pour prouver qu’il est le meilleur golfeur de tous les temps.

Comment Tiger Woods parvient-il à être aussi dominateur? Grâce à son talent, naturellement. Sans talent, ce serait impossible. Mais les dominateurs à la Woods s’appuient sur autre chose que le seul talent. Ils ont un contrôle particulier de leurs émotions, leur passion pour le sport constitue un réservoir sans fond.

Savez-vous quel effet ça fait d’affronter Tiger Woods au golf? Serrez le poing et frappez-vous le visage. Les dominateurs ne se contentent pas de vous battre. Face à eux, vous vous amoindrissez vous-même. Enquête auprès de dominateurs américains issus de différentes disciplines sportives.

Ils sont unanimes : avant tout, il faut travailler dur. Il n’existe pas de potion magique, on ne devient pas un champion sans faire d’efforts. « Le talent est un don mais Tiger travaille plus dur que tous les autres et c’est pour ça qu’il les bat », pense Martina Navratilova, qui a remporté 167 tournois en simple et qui détient le record de victoires à Wimbledon -neuf. « Chaque coup réussi dans un match a été répété des dizaines de fois à l’entraînement ».

La plupart des sportifs ne peuvent digérer une telle dose de préparation. Ce n’est pas dû à une moindre tolérance à la douleur. C’est beaucoup plus simple: les entraînements sont ennuyeux. Joe Montana, le joueur de football américain le plus connu qui a conduit les San Francisco 49’ers à quatre victoires en Superbowl, explique: « Certains coéquipiers prétendaient avoir regardé la vidéo tactique des matches pendant deux heures mais quand je les questionnais, je remarquais qu’ils n’avaient rien vu. Ils auraient tout aussi bien pu regarder la télévision ».

Woods a l’habitude de frapper des balles de l’aube jusqu’au crépuscule. Ça fait partie de sa légende. Un jour, on lui a demandé ce qu’il pouvait bien faire. Il a répondu qu’il étudiait les coups dont il pourrait avoir besoin au Masters. Tout le monde a conçu des doutes sur sa raison. Jusqu’à ce qu’il gagne le Masters.

Montana est convaincu qu’un entraînement aussi obsessionnel livre ses fruits dans les moments critiques. Car dans les situations de stress, la nervosité peut avoir une influence technique négative évidemment

Les dominateurs peuvent se révéler extrêmement créatifs quand c’est nécessaire mais souvent, ils sont les champions de la simplicité. « Nous sommes des bêtes de l’habitude », note Wayne Gretzky, le joueur de hockey sur glace le plus célèbre de tous les temps.

« Plus on travaille ses automatismes, plus ils sont meilleurs ».

Il énerve ses adversaires.

Gretzky et Woods ont un autre point commun: ils sont capables de rester d’un calme exemplaire en toutes circonstances. Gretzki: « Plus le match était important, plus je me sentais calme ».

Les dominateurs utilisent les nerfs de leur adversaire comme arme. Reggie Jackson, un joueur de baseball légendaire, dit : « La nervosité de mes adversaires m’apaisait. Je pensais: ils sont tellement anxieux qu’ils vont commettre une erreur, tôt ou tard. Moi, je n’en ferai pas ».

Woods a beau pratiquer un sport dans lequel on ne peut influencer directement le jeu de l’adversaire, il est réputé pour éprouver ses concurrents psychologiquement. Deborah Graham est psychologue. Elle conseille plus de deux cents joueurs pros de golf : « Ses adversaires sont les mieux placés pour apprécier les dons, supérieurs, de Woods. Ils sont également les témoins des réactions du public. Chaque fois que celui-ci laisse échapper un oooohhh d’admiration, c’est un peu de leur confiance qui s’envole. Je pense que les concurrents de Woods se sentent souvent dans la peau des apôtres qui voyaient Jésus marcher sur l’eau alors que leur bateau coulait ».

Montana: « On lit la peur de ses adversaires sur leur visage. Tous, ils le regardent. Lorsque Woods joue, toute autre activité s’interrompt, sur le terrain. J’ai vu des joueurs accrochés à leur télévision pour l’admirer alors qu’ils devaient eux-mêmes jouer ».

Woods affirme que l’intimidation ne fait pas partie de son jeu. Il affirme ne pas s’occuper de ses adversaires. Dès qu’il foule le terrain, il se concentre à 100% sur son propre jeu. Mais à quoi pense-t-il le matin, quand il s’habille? Ce n’est pas un hasard si, les jours importants, il enfile un polo rouge sang. Comme le joueur de baseball Dale Earnhardt portait systématiquement des lunettes solaires et venait à bord d’un véhicule noir et blanc. Lors des World Series 1997, Earnhardt était le dernier joueur des Yankees à taper encore des balles quand les Dogders avaient pénétré dans l’arène : « Qu’ils regardent m’importait peu mais je le remarquais quand même ».

Bob Gibson, le pitcher légendaire des Saint-Louis Cardinals, allait encore plus loin. Il refusait d’échanger le moindre mot avec ses concurrents : « Certainement quand nous disputions des affiches. Vos rivaux se sentent plus à l’aise quand ils vous connaissent et cette tendance se remarque aussi quand vous jouez contre eux ».

Tiger Woods n’est pas asocial mais il conserve ses distances et il compte peu de véritables amis sur le circuit. Peut-être est-ce un trait de sa personnalité. Quoi qu’il en soit, sa froideur accroît le respect de ses adversaires. Ceux-ci entament un match en pensant qu’ils vont le perdre. Ils sont convaincus d’être contraints à un sans-faute pour conserver une chance de le vaincre. C’est étrange car le golf de Woods n’est pas dépourvu d’erreurs. Pourtant, ses rivaux sont convaincus de ne pouvoir l’emporter qu’en livrant une prestation parfaite.

Il respecte l’histoire.

Faut-il remporter les grand tournois pour être un maître? Avec Tiger Woods, le débat est superflu. Il ne veut pas gagner des tournois importants pour eux-mêmes. Il a le sentiment que seules ses victoires peuvent créer la légende qu’il veut être.

La plupart des sportifs travaillent le plus dur au moment où ils rejoignent l’élite. Tiger Woods, lui, n’a atteint sa vitesse de croisière en matière d’entraînememnt qu’au moment où il appartenait déjà à l’élite. Il a gagné ses premiers Masters en 1997, avec la plus grande différence de tous les temps, mais il a compris qu’il n’égalerait jamais le record de Jack Nicklaus, soit six victoires, s’il n’affinait pas son jeu. Il a donc travaillé son swing pendant dix-huit mois. Il estimait le frapper trop brutalement.

Chris DiMarco est resté en tête des Masters 2001 pendant deux tours avant de s’incliner face à Woods : « Ses objectifs sont d’un autre niveau que les miens. J’ai des enfants et d’autres choses que le golf en tête. Si je joue, c’est pour gagner ma vie. Pour cela, je n’ai pas besoin de gagner tous les tournois auxquels je participe ».

L’homme est honnête car il explique en fait pourquoi il ne battra jamais Woods.

Gretzky formule les choses autrement : « D’autres joueurs déclarent, dans les interviews, qu’ils ne peuvent pas croire qu’ils ont gagné. Ecoutez donc Tiger: il s’attend toujours à gagner et ne peut croire à l’échec. La mentalité avec laquelle il aborde une compétition est radicalement différente ».

Pour un dominateur, la défaite est quasiment impensable. Rob Gibson: « Le bonhomme qui a déclaré que seul participer était important, qu’on gagne ou qu’on perde, n’avait pas tous ses esprits. Tout tourne autour de la victoire ».

Les dominateurs digèrent les victoires autrement que les « simples » sportifs d’élite. Ceux-ci s’attardent longuement sur leurs triomphes. Les dominateurs, eux, songent plutôt à leurs défaites.

Joe Montana le confirme. Il a gagné quatre Coupes Stanley mais le championnat qui lui reste en tête est celui de 1993, qu’il a perdu avec les Los Angeles Kinds.

« Ce sont des accros », constate Deborah Graham. Elle fait allusion au retour probable de Michael Jordan. Nul n’a connu de fin de carrière plus éblouissante, puisqu’il a été l’auteur du shot de la victoire contre les Utah Jazz dans les dernières secondes de jeu, remportant ainsi son sixème titre NBA. Et il reparle d’un nouveau retour parce qu’il n’y a rien au-dessus du top. S’il revient encore, c’est tout simplement parce qu’il ne peut supporter l’idée de ne pas le pouvoir.

Certains observateurs ne décèlent qu’un piège susceptible de priver Woods de dix ou vingt autres titres majeurs: la saturation. Mais ces personnes n’ont rien compris au caractère des dominateurs. Leur coeur s’arrêtera avant qu’ils aient étanché leur soif ».

Qu’est-ce que ça implique pour Phil Mickelson, David Duval et tous ces autres talents du golf qui ont le malheur de jouer sous le règne de Woods? Et bien, les gars, pourquoi n’essayeriez-vous pas le tennis? »

Devin Gordon (Newsweek)

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