Doctor Emilio et Mister Hugo

Emilio Ferrera et Hugo Broos sont actifs chez des néo-promus. Le premier au FC Panthrakikos, à Komotini, dans le nord-est du pays, non loin de la Turquie, et Hugo Broos au FC Panserraikos, situé à Serres, à 250 km à l’ouest de Komotini, près de la Bulgarie.

Comment ont-ils atterri dans leur club ?

Six matches et puis rideau… A défaut de s’être inscrit dans la durée à l’occasion de sa première expérience en Grèce, à Xanthi, la saison dernière, Emilio Ferrera n’en aura pas moins marqué certains esprits là-bas. Comme celui d’ Ioannis Ispirlidis, le préparateur physique qui passa 18 ans dans ce club :  » C’est le meilleur coach avec qui j’ai jamais bossé dans ma carrière « .

Après toutes ces années passées au sein de l’entité parrainée par la firme automobile Skoda, l’homme, soucieux d’un nouveau défi, décide de rallier les rangs du FC Panthrakikos, l’été passé.  » Je connaissais plutôt bien le néo-promu, dans la mesure où 60 kilomètres à peine séparent les deux clubs « , poursuit-il.  » Quand Xanthi ne jouait pas, il m’arrivait de pousser régulièrement une pointe jusque-là pour voir l’équipe à l’£uvre, d’autant plus qu’elle jouait la montée. C’était une formation honnête, sans plus, constituée de footballeurs qui ne pouvaient pas briguer davantage que la D2. Avant de signer, je m’en étais d’ailleurs ouvert au président, Ioannis Kitzidis. Celui-ci m’avait donné d’emblée tous ses apaisements, en soutenant qu’il débuterait la nouvelle campagne avec un effectif revu de fond en comble. Lorsqu’il m’a demandé si j’avais en tête le nom d’un entraîneur susceptible d’assembler toutes les pièces du puzzle, j’ai songé immédiatement à Ferrera. A Xanthi, avec un ensemble tout aussi disparate, il avait réussi à mettre sur pied un onze compétitif en l’espace de quelques semaines à peine. De toute ma carrière, je n’avais jamais vécu ça. Avec l’assentiment de la direction, j’ai donc pris langue avec celui qu’on surnommait Docteur Emilio, chez nous, pour sa science tactique du football. La suite, vous la devinez.  »

 » Je n’avais pas le moindre contact en Belgique, à cette époque « , poursuit Ferrera.  » Comme je gardais un excellent souvenir de ma collaboration avec Ioannis, je me suis laissé tenter. Et même si la tâche n’était pas évidente du tout, vu que le club ne disposait pas d’une très grosse enveloppe financière en matière de transferts. Il fallait s’orienter exclusivement vers des gars en fin de bail ou laissés libres par leur employeur. J’avais carte blanche et, grâce aux tuyaux de l’un ou l’autre, comme l’ex-directeur sportif de l’Espanyol Barcelone, Paco Herrera, j’ai modelé un noyau pièce par pièce.

 » A l’image d’Emilio, j’aurais pu débuter la saison 2008-09 en Superleague grecque moi aussi, l’été passé, si je l’avais voulu « , observe Hugo Broos.  » Car j’ai eu une touche avec l’OFI Crète à l’intersaison. Le jeu n’en valait toutefois pas la chandelle au plan pécuniaire et j’ai préféré ne pas y donner suite. Idem, par après, pour les Roumains de Vaslui. Là-bas, ce n’était pas tant l’argent que les conditions de vie qui posaient problème. J’avais l’impression de m’y retrouver en plein Moyen Âge. J’ai cru, à un moment donné, que Roda JC Kerkrade allait être ma planche de salut à l’étranger. Mais sous prétexte que j’étais sans travail depuis quelques mois, le club hollandais n’était disposé qu’à m’offrir des cacahouètes et j’ai refusé. Le topo, par contre, était différent avec Panserraikos. Là, je pouvais gagner en six mois la même chose qu’à Genk en un an. L’argent a pesé de tout son poids dans ma décision, je ne le cache pas. Mais j’avais également une énorme envie de me retremper dans le milieu du foot. A la longue, je me morfondais chez moi, loin des terrains. Je ne pouvais pas, non plus, continuer à dire non à l’étranger, auquel cas je n’aurais probablement plus jamais été sollicité. A mesure que la saison avance, on sait évidemment à quoi s’attendre. Ce sont inévitablement les clubs à problèmes qui se manifestent et Panserraikos faisait partie du lot.  »

Comment gèrent-ils leur équipe ?

Ferrera :  » Pour me renforcer l’été passé, je me suis orienté en priorité vers notre championnat, que je maîtrise le mieux. Avec des fortunes diverses, car si j’ai obtenu le concours d’ Egutu Oliseh, que j’avais eu sous ma coupe à La Louvière, ou de Tim Matthys, qui vient de nous rejoindre en provenance de Zulte Waregem, lors du mercato, d’autres noms ont fait faux-bond. Roberto Bisconti, par exemple, qui n’a pas saisi sa chance, ou encore Mbo Mpenza, annoncé chez nous, mais qui a préféré finalement répondre à une offre beaucoup plus avantageuse de Larissa. Au total, des joueurs de 16 nationalités différentes composent le noyau. Exception faite des deux Belges, aucun d’entre eux n’avait le moindre vécu au plus haut niveau. Et pourtant, ils tiennent tous la route, aujourd’hui, à cet échelon. A mes yeux, trois facteurs sont susceptibles de l’expliquer.

Primo, venus tous d’horizons les plus divers, les gars ne se limitent pas aux seuls contacts sur le terrain. Ils se voient aussi régulièrement en dehors du foot. Il est vrai que la ville où est situé le club, Komotini, s’y prête. Avec ses dimensions réduites, tout le monde y connaît tout le monde. Quand il m’arrive de prendre l’air, je tombe inévitablement sur des groupes de joueurs qui sirotent un café ou prennent le repas ensemble. Cette cohésion-là, je ne l’avais jamais connue avant. Je peux me tromper mais je n’ai pas l’impression que la même osmose aurait été possible dans une mégapole comme Athènes. Deuzio, j’ai eu l’avantage de jouir de près de huit semaines de préparation. Même si la plupart sont arrivés au compte-gouttes, j’ai quand même eu le temps de mettre une structure en place. Et tertio, ce qui nous a boostés par-dessus tout, ce sont les résultats. Les débuts ont sans doute été laborieux, avec un point sur 12. Mais c’était le prix à payer pour l’apprentissage en D1. Lors du cinquième match, face à Panionios, remporté 1-0, tout s’est soudain parfaitement imbriqué et la machine était lancée « .

Broos :  » Au moment de reprendre les rênes de Panserraikos, à la mi-décembre, l’équipe était bonne dernière avec 8 points seulement et autant de buts à peine. Elle n’avait manifestement pas la pointure de la D1, qu’elle venait de rejoindre après 17 saisons dans l’antichambre. Ici, contrairement à ce qui s’est passé à Panthrakikos, le président, Petros Theodoridis, a voulu absolument récompenser tous ceux qui avaient contribué à ce retour au premier plan. L’entraîneur, Giannis Papakostas et la plupart des joueurs furent maintenus au poste. Une grave erreur, ça tombe sous le sens. Si j’ai pu rectifier quelque peu le tir lors de la période des transferts de janvier par l’apport de quelques valeurs connues en Belgique comme Ninoslav Milenkovic, Aleksandar Mutavdzic et Nastja Ceh, qui s’ajoutent eux-mêmes à d’autres noms aux consonances familières chez nous, tels Patrick Zoundi ou Sambegou Bangoura, je dois composer malgré tout avec un certain nombre de carences. Comme une infrastructure pas du tout à la page. L’aire d’entraînement est une véritable catastrophe.

Après trois mois dans mon nouvel entourage, j’ai fini par comprendre pourquoi on en faisait état comme d’un terrain multifonctionnel. De fait, lorsqu’il est sec, il sert de pelouse mais quand il pleut il fait carrément office de bassin de natation. Si je ne dispose pas des meilleurs footballeurs actifs en Grèce, je possède au moins les meilleurs nageurs. Mais ça ne paie malheureusement pas balle au pied. « 

Comment vivent-ils leur travail ?

Broos :  » Ici, j’ai le sentiment de pleinement revivre. De fait, si j’avais su, je me serais exilé beaucoup plus tôt. En Belgique, je n’avais plus rien à découvrir. Savez-vous qu’en 38 ans de carrière, 17 comme joueur et 21 en tant qu’entraîneur, mes pas m’ont conduit dans les douze mêmes clubs pour jouer voire coacher : le Cercle Bruges, le Club, Anderlecht, le Standard, Genk, La Gantoise, (Zulte) Waregem, le (Germinal) Beerschot, Lokeren, Mouscron, Malines et, dans une moindre mesure, puisqu’il joue en D2 depuis quelques années à présent, l’Antwerp. Je ne dis pas que j’étais blasé, car j’aime trop le football pour ça. Mais je ressentais quand même une impression de déjà-vu. Ou de lassitude, malgré tout.

Lors de mes ennuis, à Genk, j’avais parfois du mal à accomplir les 200 kilomètres journaliers qui me séparaient de mon domicile, dans la banlieue brugeoise. Ici, rien ne me rebute. Faire cent kilomètres pour voir à l’£uvre le PAOK Salonique ou l’Aris, pas de problème. Je les fais les doigts dans le nez. Idem pour des destinations plus lointaines comme Xanthi ou Larissa. Je me sens à la fois un autre homme et un autre coach. En Belgique, j’avais l’impression qu’on ne retenait plus de moi que mes déboires à Anderlecht et au Racing, en oubliant tout ce que j’avais fait auparavant. A peine avais-je débarqué ici que la considération était tout autre. J’avais une carte de visite, tant comme joueur que comme coach. J’étais redevenu quelqu’un, quoi. Et ça se voyait à des détails. Pour mieux juger le groupe, j’avais par exemple décidé d’instaurer deux entraînements par jour. Les gars n’avaient jamais vu ça mais ils s’y sont tous pliés de bonne grâce. Par après, j’en suis revenu à une seule séance, l’après-midi, en lieu et place du matin. Je n’étais pas content des séances en matinée car mes gars semblaient toujours amorphes. J’ai compris pourquoi depuis : ici on ne connaît pas la notion de petit-déjeuner. La majorité des gens se contentent d’un café sucré et c’est tout. Dans ces conditions, il n’y a pas moyen de faire du travail valable et j’ai préféré postposer mon programme à l’après-midi, après le repas. Personne n’y a trouvé à redire. OK Mister, no problem. C’est ce qu’ils me répètent tout le temps.  »

Ferrera :  » En Belgique, je vivais le football à 200 %. En Grèce, c’est du 500 %, si pas davantage. Ma suite à l’hôtel, c’est mon QG. Elle a été transformée de manière à ce que je me consacre à mon métier du matin au soir. Vidéo, parabole, j’ai tout ce qu’il me faut sous la main. C’est important, dans la mesure où je me situe à un moment-clé de ma carrière. Suis-je classé en Belgique ? Je n’en sais rien. Mais le fait est que je n’y ai pas reçu la moindre offre ces derniers mois. Panthrakikos est, dès lors, une façon de rebondir pour moi et je tiens à mettre tous les atouts de mon côté pour y parvenir. Je ne me disperse pas le moins du monde. Je reconnais mon nom dans le journal mais c’est à peu près tout. Je n’éprouve de toute façon pas le besoin de savoir ce qu’on écrit sur moi. Je fais mon boulot comme je l’entends et le reste n’est que littérature. « 

Comment ont-ils aménagé leur vie de famille ?

Broos a emménagé avec son épouse Sonja dans une maison sur les hauteurs de Serres, après avoir passé un mois en face, à l’hôtel Elpida Resort.  » Voyager seul ne m’incommode pas mais vivre seul, c’est autre chose « , dit-il.  » Même si je n’ai été engagé que pour 6 mois, je tenais à ce qu’elle m’accompagne. C’est un changement, pour elle comme pour moi, en ce sens qu’on est pour la première fois à l’étranger loin de nos trois enfants. En fait, la seule chose qui manque ici, c’est la présence de nos petits-enfants. Mais au congé de carnaval, ils seront là.  »

Pour Ferrera, qui a établi ses lares dans une suite de l’hôtel Arcadia, ce sont plutôt les enfants qui manquent. A fortiori quand on sait que l’homme est devenu papa pour la troisième fois en novembre dernier.  » Un troisième garçon après Alexis et Luca, que nous avons appelé Noah « , précise-t-il non sans fierté.  » Le métier de coach est et reste aléatoire. J’en ai encore fait l’expérience à Xanthi, la saison passée. Je n’ai dès lors pas voulu imposer un déménagement à ma petite famille, d’autant plus que mes deux grands sont bien imbriqués dans l’école qu’ils fréquentent. Il n’y a pas d’école internationale à Komotini. C’est la raison pour laquelle je suis plutôt favorable à des allers-retours épisodiques, aussi bien pour mon épouse et mes enfants que pour moi-même… L’avantage du désavantage est qu’ici, je n’ai à me soucier que du seul football.  »

Comment occupent-ils leurs loisirs ?

Ferrera :  » Les seuls écarts que je m’autorise, c’est un bon repas avec mes adjoints et la direction du club dans la petite localité balnéaire de Fanari, à 30 kilomètres de Komotini. Le poisson qu’on y sert est absolument succulent. Ces repas en commun sont ici une habitude. Contrairement à ce qui s’était passé pour moi à Xanthi, je suis impliqué dans toutes les discussions. On compte vraiment sur mes vues pour stabiliser le club en D1. Il faut encore 7 points pour se maintenir. Si on y parvient, ce sera quand même un tour de force compte tenu de quasi absence de vécu de la part des joueurs en D1. Mais le mieux est l’ennemi du bien. Il a suffi qu’on flirte à un moment donné avec la dernière place à prendre en Coupe de l’UEFA pour que les dirigeants s’éveillent subitement à d’autres ambitions. Cette saison, c’est le maintien qu’il convient de viser et rien d’autre. Quitte à viser plus haut, avec un effectif remodelé, en 2009-10. Stabiliser le club parmi l’élite, c’est mon objectif sur trois ans. Et j’espère pouvoir aller au bout de ce projet. « 

Broos :  » Depuis trois mois, ma femme et moi on découvre des choses. Comme consulter les journaux belges, sur internet, ou converser via Skype. Ma femme avait de toute façon une grosse envie de parcourir la Grèce, car elle est férue d’histoire, comme moi. Après mon limogeage à Anderlecht, nous étions d’ailleurs partis tous deux en Egypte. Février, c’était le bon moment pour voir les pyramides et faire la descente du Nil. En été, il fait trop chaud et le football m’accapare de toute façon à ce moment. Ce qui est dommage, ici, c’est qu’on se trouve dans une ville moins emblématique qu’Athènes. Mais il y a des beaux monuments à voir, malgré tout. Et la curiosité nous a poussés récemment en Bulgarie, qui n’est distante que de quarante kilomètres. Je pensais avoir tout vu, en matière de pauvreté, à Vaslui, en Roumanie mais je m’étais trompé. Là-bas, c’est plus désolant encore.

Sonja et moi n’avons pas le temps de nous ennuyer. Pendant mes neuf mois d’inactivité, je m’étais mis à l’apprentissage de l’italien. J’ai mis cette étude en veilleuse pour me plonger dans la langue grecque. Je parviens déjà à tout lire, tant en majuscule qu’en minuscule, mais je ne comprends pas ce que je lis…, sauf les noms propres, bien sûr. Je connais déjà l’un ou l’autre mot d’usage courant, dont le plus usité : avrio, qui signifie demain. Car, comme en Espagne, tout est toujours reporté au lendemain ici, ou au lendemain du lendemain. J’ai ainsi demandé l’installation d’une parabole peu de temps après avoir emménagé mais il a fallu le temps pour l’exécution, croyez-moi. Ceci dit, je ne me plains pas car j’ai été gâté. Je sais même capter la VRT et la RTBF.  »

Comment voient-ils leur avenir en Grèce

Ferrera :  » Mon contrat initial d’un an a été prorogé jusqu’en 2011. Je me tâte un peu mais je ne crois pas que je vais changer mon fusil d’épaule. Je continuerai à faire des navettes entre la Grèce et la Belgique. Idem pour mon épouse et mes enfants. « 

Pour Broos, lié jusqu’en fin d’exercice, le futur dépendra du verdict de l’opération maintien.  » Il est exclu que je poursuive en D2. Mais si le club se sauve, je ne serais pas opposé à un séjour plus long. Je me sens bien ici. A défaut, je verrai ce que l’avenir me réserve. J’aurai 57 ans cette année. J’espère encore passer trois ans sur les terrains. Après, l’heure sera venue de songer à autre chose. Une reconversion comme chef-scout, notamment, ne serait pas pour me déplaire. Ou encore un poste de manager à l’anglaise, pourquoi pas ? Mais d’ici là, je veux encore prendre mon pied sur le terrain. Comme c’est le cas actuellement en Grèce. « 

par bruno govers – photos: reporters/ gouverneur

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