Distinction totale

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Avant le match contre Benfica, l’entraîneur des Loups évoque 10 côtés méconnus de son parcours sportif et de sa personnalité.

Les grandes distinctions, Ariel Jacobs (50 ans) connaît. Il ne compte plus les occasions dans lesquelles il fut le plus brillant de sa catégorie : meilleur buteur dans les séries inférieures, meilleur étudiant à l’école des entraîneurs, diplômé universitaire et habile dans un nombre incalculable de langues, etc. Son dernier fait d’armes ? Meilleur coach de la Coupe de Belgique 2002-2003. Sur le plan humain aussi, il a sa place dans le top. Les critiques gratuites ? Pas pour lui ! La modestie ? C’est son truc. A travers une dizaine de thèmes, il évoque des souvenirs plus ou moins lointains et dévoile toute la richesse de sa personnalité.

1. Une passion progressive

 » Je me suis mis au football par hasard, parce que je ne voyais rien d’autre d’intéressant à faire. Mes parents tenaient le local du club de Diegem mais, dans ma famille, personne ne pratiquait ce sport. Le foot que j’ai découvert dans mon enfance n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui au niveau de l’organisation. Par exemple, chaque joueur devait apporter un équipement. C’est marrant quand je revois des photos d’époque : il n’y en a pas deux, dans mon équipe, qui ont le même maillot ou le même short. La couleur du maillot est… plus ou moins la même pour chacun, mais l’uniformité des équipements s’arrête là « .

2. Attaquant malgré lui

 » Si je dois citer un Louviérois actuel qui ressemble au joueur que j’étais autrefois, je dirais Fred Tilmant. Mais moi, j’étais attaquant contre mon gré. Chez les jeunes, j’étais la cinquième roue de la charrette : l’entraîneur possédait généralement dix joueurs de champ plus brillants que moi. J’ai débuté devant, à gauche, dans un WM, parce que c’est là qu’il y avait une place disponible. Pourtant, j’étais un pur droitier au départ. Cette position m’a obligé à utiliser fréquemment mon pied gauche et ce fut un martyre pendant plusieurs années. J’en garde un très mauvais souvenir. Plus tard, comme j’étais systématiquement meilleur buteur de mon équipe et régulièrement meilleur réalisateur de Promotion et de D3, mes coaches ne voulaient pas me faire jouer ailleurs. J’étais pourtant conscient que je pouvais être beaucoup plus performant en reculant dans le jeu. Parce que je manquais cruellement de vitesse sur les premiers mètres. Une qualité indispensable chez un bon attaquant. Quand je voyais un joueur dépasser un adversaire, je me disais que ça devait être bien agréable comme sensation. J’aurais aimé devenir professionnel, mais j’étais réaliste et j’ai très vite compris que je n’avais pas assez de qualités pour y parvenir. L’année que j’ai passée à Diest, en D2, m’a complètement confronté à mes manquements : c’était vraiment l’échelon le plus élevé auquel je pouvais jouer. J’avais une technique valable, une bonne condition physique et une mentalité positive, mais tout cela ne suffisait pas à compenser mon manque de vitesse de démarrage « .

3. L’éducation à la dure

 » Je voyais peu mes parents, à cause de leurs horaires de travail. Leur café ne fermait pour ainsi dire jamais. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’étais un gosse abandonné à son sort, mais je n’étais pas très gâté non plus. Si cet environnement inhabituel ne m’a pas traumatisé, je n’en garde quand même pas que des souvenirs agréables. Mon père était extrêmement sévère. Notamment quand je montais sur un terrain. Il n’avait jamais touché un ballon mais il donnait continuellement son avis. Et, pour lui, ce que je faisais n’était jamais bon. Pas une seule fois, il ne m’a félicité. Je me souviens très bien de mon tout premier match. J’étais fier après avoir dribblé deux adversaires, mais il m’a copieusement enguirlandé parce qu’il m’avait bien recommandé de ne pas essayer de dribbler. Ses commentaires négatifs m’ont souvent fait pleurer. Et il m’est arrivé de vouloir tout plaquer « .

4. Le fair-play

 » Pendant toute ma carrière, j’ai reçu en tout et pour tout quatre cartes jaunes. Des coups, j’en ai pris. Mais le gringalet Jacobs savait encaisser… Je répondais aux tentatives d’intimidation des défenseurs û il y en a quelques-uns qui m’ont vraiment fait peur û mais je me gardais bien de franchir les limites. Et je ne rouspétais jamais chez les arbitres « .

5. Une seule idole : Van Himst

 » Les jeunes de ma génération ne juraient que par Pelé. Moi, je n’avais d’yeux que pour Paul Van Himst. Mon choix avait peut-être une explication géographique : je m’identifiais plus facilement à un footballeur qui jouait à deux pas de chez moi qu’à un type qui brillait à l’autre bout du monde. Je trouvais que Van Himst savait tout faire avec un ballon, dont marquer des buts par dizaines. Quand il a été nommé à la tête de l’équipe nationale, je travaillais à la fédération. On me l’a présenté et c’était un vrai honneur pour moi. Je l’ai salué en lui disant : -Bonjour Monsieur Van Himst. Il m’a répondu : -Appelle-moi Paul  » !

6. Entraîneur précoce

 » Très tôt, j’ai raisonné comme un entraîneur. Je lisais beaucoup de bouquins traitant du football et j’assistais à des réunions et des conférences de coaches. Des sommités du foot belge venaient exposer leur savoir et je ne ratais pas ces occasions uniques. Je me souviens notamment d’exposés inoubliables de Felix Week. J’ai fait le tour du pays pour assister à ces conférences. Quand j’étais à l’université, je travaillais l’été comme moniteur de plaines. C’est là que j’ai compris, pour la première fois, comment gérer des groupes, des mentalités différentes, des jeunes qui n’avaient pas les mêmes centres d’intérêt. J’y ai aussi appris l’exercice de l’autorité. Tous mes entraîneurs m’ont appris quelque chose. Des plus mauvais, j’ai retenu… ce qu’il ne fallait pas faire « .

7. Pas de carte de visite de joueur

 » Avoir fait une grande carrière de joueur ne garantit certainement pas la réussite comme entraîneur. Mais c’est un fameux avantage au départ. Si mon équipe rate complètement trois matches d’affilée, je sais que mes oreilles vont commencer à siffler. Par contre, un Jan Ceulemans peut se permettre d’accumuler des mauvais résultats pendant trois saisons. Quand on m’a cité à La Louvière, j’étais persuadé que je n’avais aucune chance d’être choisi parce que le club était aussi en contact avec René Vandereycken et Stéphane Demol. Quelques mois plus tôt, j’avais négocié avec l’Antwerp, où on avait finalement choisi Wim De Coninck, sans doute sur la base de son passé de joueur. J’ignore pour quelles raisons la balance a quand même penché de mon côté, au Tivoli. Peut-être pour des raisons financières. A ce propos, je fais remarquer qu’aujourd’hui, ce ne sont plus uniquement les entraîneurs débutants qui acceptent de travailler pour un petit salaire. Même les grands noms font des concessions parce qu’ils tiennent absolument à rester sur le carrousel (il rit). En tout cas, je vois de plus en plus de coaches, en D1, qui ne se sont pas illustrés comme joueurs : Dominique D’Onofrio, Paul Put, Emilio Ferrera, Peter Balette, moi-même. Cela démontre que les mentalités évoluent chez les dirigeants, que les critères d’embauche ne sont plus nécessairement les mêmes que dans le passé. Je ne suis pas près d’oublier mes débuts à La Louvière : sur le site Internet du club, 24 % de supporters seulement s’étaient prononcés en faveur de ma venue. Et je devais succéder à un monument comme Daniel Leclercq. Cela me mettait encore plus de pression mais j’ai adoré ce défi « .

8. La Coupe : une émotion différée

 » C’est seulement maintenant que je savoure à fond notre victoire en finale de la Coupe de Belgique. Sur le moment même, je trouvais ça somme toute normal. J’estimais que nous avions simplement émergé d’une loterie. Mais, aujourd’hui, il m’arrive d’avoir des frissons quand j’y repense. Quand je me remémore le déroulement du match et tous les pronostics qui donnaient St-Trond comme hyper-favori. Il n’y a pas de doute : ce fut, jusqu’ici, le plus grand moment de ma carrière. C’était plus fort que n’importe lequel de mes titres avec Diegem ou mes trophées de meilleur buteur. Je suis convaincu qu’il n’y a rien de plus fort qu’une victoire en Coupe, où tout est beaucoup moins prévisible que dans un championnat. Nous allons à présent défier Benfica : c’est le sommet pour tous les gens du club. La direction n’a jamais connu la Coupe d’Europe, la majorité des joueurs non plus, pas plus que les supporters ou moi-même. Pour la plupart de ces personnes, cette expérience européenne sera peut-être un moment unique, une aventure qu’elles ne connaîtront plus jamais « .

9. Pas sur la photo ? Et alors ?

 » Pourquoi je n’ai pas voulu être sur la photo avec mes joueurs déchaînés après la victoire du Heysel ? Parce que le podium était trop petit (il rit)… Non, franchement, je n’en ressentais pas le besoin. Je sais, on ne me voit pas sur ce cliché historique qui a été donné dans tous les journaux, mais j’espère que dans dix ans, les supporters de La Louvière ne devront pas ressortir cette photo pour se rappeler de grands souvenirs. Il faut qu’il y en ait d’autres au cours des prochaines saisons. Si j’ai un regret, c’est de ne pas avoir pu savourer la victoire en petit comité avec le groupe, dans le vestiaire. J’aurais tant voulu que nous nous retrouvions tous, sans être dérangés. Mais la conférence de presse m’attendait. Pendant que je m’exprimais devant les journalistes, j’entendais des scènes de joie incroyables dans le vestiaire qui était à deux pas de la salle de presse, mais je devais faire passer mes obligations professionnelles avant mes sentiments. J’ai toutefois apprécié l’euphorie sur la pelouse, c’était beau à voir même si le fait d’avoir des barrières entre les joueurs et les supporters gâchait un peu le côté magique de cette fête. A La Louvière, c’était superbe aussi, avec tous ces gens qui n’avaient rien à faire du football mais trouvaient subitement un prétexte pour faire la java et oublier leur quotidien « .

10. Pas de vie sociale

 » Jacky Mathijssen a déclaré qu’un entraîneur de D1 ne pouvait pas avoir de vie sociale. Il a raison. Si mon équipe joue le samedi, je n’ai pas un seul jour de congé. Match le samedi, décrassage puis scouting le dimanche, match des Réserves le lundi. Et, le mardi, c’est reparti pour la préparation de la rencontre qui suit. Je n’irais pas jusqu’à dire que cela n’a jamais suscité de frictions dans mon couple… Je n’ai pas de plan de carrière mais j’espère récupérer, un jour, tout cet investissement en temps « .

 » Le gringalet Jacobs savait encaisser les coups ! « 

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