DIPLOMATIE FINE

Pierre Bilic

Michel Sablon, Michel Preud’homme et René Vandereycken ont misé avec succès sur leur sens du compromis pour établir un calendrier favorable pour les matches de qualification.

La semaine passée, en pleine crise de la grippe asiatique, deux vaccins anti-déprime ont fait du bien au football belge. Le premier sérum a été conçu en Hollande. Jeu Sprengers, le grand manitou du football néerlandais, a lancé l’idée d’organiser la phase finale de la Coupe du Monde 2018 aux Pays-Bas et en Belgique. Ce duo avait très bien fonctionné à l’occasion de l’Euro 2000.

Douze ans après la prochaine fête allemande, le Mondial reviendra sur le Vieux Continent. L’Angleterre, l’Espagne y songent mais nourrissent aussi d’au- tres ambitions. Londres s’active pour que les Jeux Olympiques de 2012 soient une réussite, Madrid pense à ceux de 2016 qui fileront probablement loin de l’Europe. La Russie s’estime capable d’organiser un Mondial qui symboliserait son affirmation dans l’économie de marché. La bataille sera rude. Des villes sont déjà citées pour l’organisation de matches en Belgique : Bruxelles, Liège, Charleroi, Bruges, Gand, Anvers. Ce projet passerait par une modernisation des stades qui n’ont pas du tout la même allure conquérante et moderne que les enceintes de nos cousins du nord.

L’Union Belge est intéressée mais tout dépendra de la volonté du monde politique. Une bonne campagne sur la route de l’Euro 2008 apporterait de l’eau au moulin de ceux qui animeront cette initiative. Dans ce contexte, il était important de ne rien négliger vendredi passé, le 10 février, quand les différentes fédérations du Groupe A (Portugal, Pologne, Serbie & Monténégro, Belgique, Finlande, Kazakhstan, Azerbaïdjan, Arménie) se sont réunies à Bruxelles afin de fixer le programme de leurs matches de qualification.

Les représentations ont débarqué la veille et ont été logées à l’Hilton, un grand hôtel du centre de la capitale. Un dîner avait été prévu mais fut supprimé en raison de l’arrivée tardive de l’un ou l’autre pays. La diplomatie et le protocole jouent un grand rôle lors de tels événements. Il s’agit de réunir un maximum de renseignements afin de bien mener sa barque. Les man£uvres commencent avant de se mettre à table.

Après le tirage au sort de Montreux, nous avions souligné la difficulté de réunir l’Azerbaïdjan et l’Arménie autour d’un terrain. Ces deux pays sont en guerre et se disputent la région du Nagornyi Karabakh. Le 3 février dernier, Fuad Asadov, le secrétaire général de la fédération d’Azerbaïdjan, avait écrit à l’UEFA afin de pouvoir organiser le match contre l’Arménie sur terrain neutre. Trois jours plus tard, le 6 février, Lars-Christer Olsson, directeur général de l’UEFA, lui envoyait une réponse négative (les paragraphes 1.03 et 3.09 du règlement interdisent cette éventualité pour des raisons de sécurité) en l’incitant à prendre contact avec son gouvernement afin d’aborder ce problème. On imagine que l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’ont pas été logés au même étage de l’hôtel. Bien documenté, Michel Sablon, le directeur technique national, n’ignorait rien de tout cela et avait sous le bras des tas de dossiers (histoire, géographie, conditions météorologiques lors de chaque saison de l’année, etc.) préparé par Nicolas Cornu et Nicolas Lemonis du service des relations extérieures de l’Union Belge.

 » Guy Thys était très fort  »

Dès jeudi passé, Sablon se rendit à l’Hilton afin de constater si tout se passait dans les règles de l’art. Habitué de ce genre de contacts, il s’entretint avec tout le monde et le courant passa très bien avec le Portugal et la Finlande, entre autres. On imagine que le prestige de Michel Preud’homme, sa popularité à Lisbonne, aura fait sourire le coach du Portugal, Luiz Felipe Scolari. Cela peut être un argument dans le feu des négociations et ce le fut quand le Portugal débloqua un problème en faveur des Belges.

 » Ce ne sont jamais des tractations faciles à mener « , se souvient Robert Waseige qui se retrouva à la table des négociations pour la Coupe du Monde 2002 et l’Euro 2004 (campagne assurée par Aimé Anthuenis qui prit la direction des Diables Rouges après leur retour du Japon).  » J’ai connu des pays qui n’avaient qu’un désir. Les Ecossais, par exemple, ne voulaient absolument pas jouer en juin : leurs internationaux sont alors sur les genoux. Saint-Marin, par contre, ne jurait que par les beaux jours car, en pleine saison, un match international était la garantie d’une belle recette. A mon avis les Belges tiennent souvent compte, et à raison, des périodes qui leur sont favorables. J’en dégage deux : fin septembre, octobre et novembre puis mars et avril. En début de saison, les mécaniques ne sont pas au point et les grands clubs se battent pour prendre place dans les poules de la Ligue des Champions. En automne, tout le monde a atteint son rythme de croisière. Janvier et février sont aussi des mois de reprise. Il est inutile de chercher à faire des économies en groupant les voyages. Les contextes sont souvent différents et cela peut perturber les joueurs. Il se peut qu’une équipe nationale se farcisse deux ou trois déplacements consécutifs mais s’ils sont éloignés dans le temps l’un de l’autre, cela ne pose pas de problème « .

Waseige :  » Dans un groupe à huit, comme ce sera le cas de la Belgique pour l’Euro 2008, le programme est éprouvant. Il est toujours bon de commencer à domicile face à un adversaire abordable. Ce n’est pas une garantie de qualification mais un bon début donne des ailes. Je me souviens de négociations difficiles à Zagreb pour l’Euro 2004. L’accueil avait été agréable et la Croatie mena les négociations avec l’avantage du terrain. Tout se débloqua après le repas. J’ai eu de bons contacts avec Vlatko Markovic, le président de la fédération croate qui avait été entraîneur du Standard. Nous avions pas mal parlé de Sclessin. La Croatie tenait à tout prix à terminer la campagne de qualification chez elle. La Bulgarie fit un geste et l’affaire fut entendue sur le fil. A Zagreb, j’étais entouré par Karel Vertongen, l’ancien président de la commission technique, et Jean-Paul Houben, secrétaire général de l’Union Belge. Guy Thys fut un négociateur de très haut vol. Il menait les négociations de main de maître et atteignait, dit-on, toujours ses objectifs. La palabre, il connaissait sur le bout des doigts. Thys était très fort « .

Tout fut bloqué durant deux heures

Le regretté coach fédéral anversois avait l’art d’allumer un cigare de qualité au bon moment. Un whisky de derrière les fagots achevait les dernières réticences après un bon repas. Les temps ont cependant changé. Chaque nation ficelle de mieux en mieux ses dossiers et a ses priorités. Vendredi, une navette débarqua les délégations à l’Union Belge sur le coup de neuf heures. Tout le monde avait son nez sur les écrans des ordinateurs.  » Nous avions un plan de travail « , souligne Preud’homme, le président de la commission technique.  » Quand il y autant de matches, le moindre changement a des répercussions sur l’agencement des autres rencontres. Je ne dis pas que c’est le programme dont nous rêvions, c’est impossible, mais il répond à nos priorités. Pour René Vandereycken et moi, c’était une première. Même si ce fut parfois compliqué, même tendu, tout s’est parfaitement déroulé. Nous avons pu compter sur l’expérience de Sablon « .

Les négociateurs belges étaient en liaison permanente avec Cyriel Degroot. Ce dernier était à l’extérieur de la salle de réunion. Il suivait l’avancement des travaux sur un écran. Au moindre problème, il envoyait un message aux négociateurs belges (via ordinateur) afin qu’ils ne négligent pas l’un ou l’autre détail. Toujours le fameux avantage de négocier à domicile ?  » Non, ce n’était pas illégal, ni de l’espionnage, pas du tout, Cyriel nous rappelait tout simplement nos priorités « .

A midi, tout était bloqué. Le repas et quelques bouteilles de vins capiteux arrangèrent pas mal de choses. De plus, certaines fédérations avaient réservé des vols en début de soirée. Les avions n’attendent pas. La Belgique fut inflexible sur un point : pas question de ne pas jouer entre le 15 novembre 2006 et le 2 juin 2007. C’était trop long. Après une attente de plus de deux heures, le Portugal débloqua la situation et accepta de déplacer son match contre la Belgique (prévu en début de calendrier) au 24 mars 2007. Ce geste était à met- tre à l’actif de Scolari.

 » C’était important pour nous « , insiste Preud’homme.  » Nous avons parfois fait des concessions. Le Portugal nous a sortis du pétrin et nous recevrons ce pays en juin 2007. Juin n’est jamais un mois facile mais le Portugal souffre aussi en fin de saison. Ce pays compte pas mal de joueurs qui, à l’étranger, sont engagés dans de grandes batailles européennes. Cela peut jouer en notre faveur car la Belgique aura le temps de se reposer avant d’aborder ce match. Nous préférions scinder les voyages. Nous ferons peut-être une exception pour la fin du programme. Le 17 novembre 2007, la Belgique se rendra en Pologne et, qua- tre jours plus tard, elle sera attendue en Azerbaïdjan. Je ne sais pas encore si nous rentrerons à Bruxelles entre ces deux voyages. Terminer en Azerbaïdjan n’est pas un problème et ce pays ne devrait alors plus avoir de chance de qualification. De plus, il vaut mieux se rendre à Bakou en novembre. Dans ces régions, le temps est alors encore potable.  »

Vandereycken était satisfait du déroulement des opérations. En débutant face à deux petits (Kazakhstan à domicile, Arménie en déplacement), le coach fédéral aura l’occasion de rentrer du bois avant de se rendre dans les Balkans, le 7 octobre 2006 à Belgrade. Après le match amical du 1er mars, à Luxembourg, la Belgique sera le sparring-partner de trois pays dont les noms seront connus le 15 février. Ces ren- contres, deux à l’extérieur et une à domicile, seront organisées avant et après la finale de la Coupe de Belgique. Satisfait mais prudent, Vandereycken s’est mis au boulot et complète sa collection d’enregistrement. Son carnet de balles est désormais bien rempli.

PIERRE BILIC

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