Dimanche EN PYJAMA

Heureux en famille et content de son travail, l’ex-champion olympique de natation à Atlanta a un curieux hobby.

La Belgique fut secouée la semaine dernière lorsque Kim Clijsters annonça qu’elle n’irait pas aux Jeux Olympiques d’Athènes. De plus, son père Lei avait déclaré qu’en Belgique, les champions olympiques se recyclent en vendant des chaussures ! Qu’en pense Frederik Deburghgraeve, 30 ans, ancien champion olympique à Atlanta ?

 » Trouvez-vous cela tellement déshonorant de vendre des chaussures ? Je ne suis absolument pas malheureux, rassurez-vous. Je m’amuse et je gagne honnêtement ma vie. C’est en partie à ma carrière de nageur que je dois d’avoir décroché ce boulot. Qui aurait imaginé cela, moi qui ai marché pieds nus pendant presque 20 ans, autour des piscines (il rit) ? D’accord, j’aurais peut-être pu exploiter davantage le filon de la natation mais je ne m’en inquiète pas. De toute façon, je devais travailler. La natation n’est pas vraiment le sport des millionnaires et ce n’est pas non plus pour l’argent que vous aimez ce sport à sept ans. C’est parce qu’on a les qualités qu’il faut « .

Vous êtes la preuve vivante que la Belgique ne dorlote pas ses champions, entend-on souvent…

La Belgique, ce sont d’abord les gens dans la rue. J’en ai toujours obtenu beaucoup de respect et des réactions sympa. Repensez un instant à Atlanta, c’était quand même génial, non ? Par contre, au niveau des instances sportives, on est relégué à l’arrière-plan, c’est vrai. De nouveaux champions arrivent, qui exigent de l’attention, c’est normal. La génération suivante saura sans doute encore qui est Deburghgraeve mais ce qu’il a gagné, ça c’est autre chose ! Mais cela ne m’empêche pas de dormir.

N’auraient-ils pas dû vous garder dans le domaine sportif ?

Bah, le COIB a constitué une commission des athlètes, mais je ne me sens pas encore prêt. Je ne pourrais pas suffisamment m’y investir et je n’ai pas envie de tout miser sur ma réputation. Les deux dernières années de ma carrière de nageur ont été difficiles, j’en avais marre mais en même temps je continuais. Cela a eu des conséquences et j’ai voulu prendre du recul. Attention, je ne parle pas de déception, car le COIB m’a bien soutenu lorsque j’ai eu des problèmes avec l’administration fiscale. Sans eux, j’aurais vécu un désastre financier. Peut-être me relancerai-je un jour dans l’arène, mais actuellement je préfère observer depuis les gradins.

Pourtant, votre expérience est impayable.

On me demande parfois pourquoi je ne deviendrais pas entraîneur. En Belgique, il n’y a pas encore un seul entraîneur réellement professionnel à temps plein. Je travaille pour payer mes factures tous les mois, dès lors je ne me vois pas bosser autour des bassins pour un tiers de ce que je gagne, même par amour du sport. Car cela ne nourrirait pas ma famille. Ce que je pourrais apporter c’est le côté mental mais ce ne sont jamais les médailles qui font que je suis un bon entraîneur. J’avais mes propres méthodes d’entraînement, je bossais dur pour y arriver mais pour le reste je faisais absolument tout ce que je voulais. Une méthode n’est pas l’autre et loin de moi l’idée de jouer le rôle d’exemple.

Où est le talent belge ?

Votre ancien coach, Ronald Gaastra, a été éjecté par la Ligue Flamande de Natation car il voulait aider Brigitte Becue dans son come-back.

Un règlement de comptes, si vous voulez mon avis. Ils cherchaient une excuse pour le limoger, alors qu’il n’y a pas deux types comme lui qui ont autant donné pour leur sport. Ronald savait très bien où il allait, avait une vision propre et la mettait toujours en pratique. Mais bon, quand on fonce on se fait des ennemis.

Pouvait-il se targuer de suffisamment de bons résultats ?

Nous avons en Belgique une énorme culture du cyclisme. Pourtant, je ne vois toujours pas le digne successeur d’Eddy Merckx. Comment cela se fait-il ? Il faut du talent, hein. Peut-être est-il présent ? L’exploite-t-on assez ? Quand Ronald disait qu’il fallait s’entraîner huit heures par jour, on le prenait pour un fou. Or, c’est le régime auquel j’étais moi-même astreint.

Vous étiez un visiteur remarqué lors des championnats de Belgique en petit bassin, à Bastogne fin novembre. Avez-vous repéré de jeunes talents ?

J’ai suivi cela de l’extérieur. La plupart des disciplines ne me disent rien, je ne sais même pas si un temps est bon ou pas, si on approche un record de Belgique. Reste que le niveau en Belgique est assez faible pour l’instant. J’espère que nous pourrons quand même envoyer l’un ou l’autre nageur aux JO l’an prochain. Nous avons chez les jeunes quelques promesses mais confirmeront-elles ? A 15 ans, personne n’aurait pu prédire que je remporterais une médaille d’or. Mon fils Bartel a quant à lui adoré ces championnats. D’autre part j’aime retourner, au moins une fois l’an, à Bastogne. Ces personnes ont fait beaucoup pour moi, j’y ai aussi vécu un des plus beaux moments de ma carrière, le record du monde en petit bassin, en février 96. Qui plus est, la piscine porte mon nom, quel honneur !

Vous avez déjà déclaré que vous aviez davantage d’amis en Wallonie qu’en Flandre…

J’y suis en effet mieux respecté. En Wallonie, il y a une part de chauvinisme à la française. Un Flamand, c’est différent, ce qu’il n’a pas, il permettra difficilement à un autre de l’obtenir. En Wallonie, on ressent davantage la mentalité de village, tout le monde se connaît. Lorsque j’habitais encore à Roulers, je connaissais mes voisins directs mais pas ceux d’un peu plus loin. J’entends souvent dire : -Pourquoi Roulers n’a-t-elle pas baptisé la piscine à ton nom ? Officiellement, c’est parce que mon nom est trop… long ! Et en français alors, ils l’ont raccourci ?

A-t-on oublié la génération dorée Deburghgraeve-Maene-Becue ?

Non, on a fait beaucoup de photos en compagnie de tous les bonzes, au premier rang. Et ils attendent la relève pour figurer sur la photo avec le prochain champion. Nombreux sont ceux qui auraient pu en tirer les leçons mais qui suis-je pour leur jeter la pierre ? De notre temps, la qualité de l’organisation à la Ligue s’améliorait, on était sur la bonne voie. A présent, on semble repartir de zéro.

Les médailles à l’abri

Pas de trophées ou de médailles dans le salon ?

Vous les trouverez au grenier, dans des caisses. Ma médaille olympique est à présent au Sportimonium, à Louvain mais je préfère, on ne sait jamais avec les cambriolages. Par contre, j’aimerais mettre sur DVD le film de ma carrière. Du jeune gamin de 15 ans à la casquette à l’envers et lunettes solaires jusqu’à ma retraite. Mais je ne suis pas accroché au passé, à regarder tous mes exploits à la TV. Lorsque je regarde ma carrière, je constate combien tout est relatif. J’étais tellement déterminé à devenir champion olympique et champion du monde. J’avais des £illères, la natation c’est tout ce qui comptait. Et toutes ces heures dans l’eau, parfois je ressortais du bassin sur les genoux, ne sachant plus respirer, je devais me mettre sur le côté pendant une demi-heure. Si encore je crevais de faim et que je devais nager pour attraper un poisson, mais non, il s’agissait simplement de nager plus vite qu’un autre. Cela a un côté un peu risible, non ? Attention, je suis fier de mes prestations, mais tous les sacrifices encourus pendant 20 ans m’ont donné un autre regard. J’ai vécu tellement de moments intenses que je peux vraiment profiter de bêtes petites choses, rester en pyjama jusqu’à six heures du soir un dimanche, par exemple ! C’est surtout le stress et la pression que je ne supportais plus. Pas tellement le côté physique, car finalement je récupérais vite. Après mon titre mondial en 98, quelque chose s’est brisé. J’aurais dû faire mes adieux à Sydney mais je n’en pouvais plus.

Vous volez maintenant !

Oui, je fais du paramotor, du parapente avec un moteur sur le dos. Je suis vraiment accro, à tel point que j’en ai vendu ma moto. Ma femme Veerle m’a pris pour un fou mais cela me donne des sensations incroyables. J’aimerais un jour partir du Mont Blanc en paramotor. Le rallye Paris-Dakar me tenterait bien aussi. Je rechercherai toujours quelque chose de neuf, du moment que le côté amusant soit présent. Si j’éprouve du plaisir, que ce soit au boulot ou pour mon hobby, je me donne toujours à 100 %.

Inge Van Meensel

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