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 » Dieu n’est pas fini « 

Quand il parle, c’est avec les pieds ! C’est rare qu’il l’ouvre ! C’est parfois compliqué de maintenir un fil dans la conversation avec un geek sympathique mais on profite de ce qu’il dit ! Acclamons la parole de Dieu.

Un vendredi au Bosuil. Dieumerci Mbokani déboule. On repense, en un éclair, à des images fortes et des mots cash de la dernière interview qu’il nous avait accordée avant de filer pour quelques années à l’étranger.

On est fin 2012. Il joue à Anderlecht, son deuxième séjour dans ce club, après ses expériences difficiles à Monaco et Wolfsburg. Le responsable presse des Mauves l’amène au rendez-vous et lui dit :  » Tu fais déjà un quart d’heure d’interview, puis tu viens manger, puis tu continueras.  » Dieu répond du tac au tac :  » Non, je ne mange pas.  » Un quart d’heure plus tard, le PR se repointe :  » Tu viens manger ?  » Réplique de Dieu :  » Non, je te dis que je ne mange pas.  »

Aucun autre joueur, sans doute, ne pourrait se permettre de brosser un repas. Mais ici, on parle de Dieu. Quand même. Et Dieu est au-dessus du règlement interne de n’importe quel club de foot. Dans cette interview, il se lâche pas mal. On entend, par exemple :  » Je suis spécial ? Mario Balotelli aussi.  » Ou encore :  » Tout le monde sait que je suis le meilleur en Belgique.  » Et :  » Je ne veux pas avoir ma tête sans arrêt à la télé et dans les journaux. Il faudrait compter le nombre d’interviews que donnent Lionel Messi et Cristiano Ronaldo.  » Puis, pour finir en beauté :  » Il y a Dieu là en haut, et moi je suis le fils de Dieu.  »

Et donc, un vendredi au Bosuil. Le club a organisé le rendez-vous : interview et shooting photos. Ça va prendre un certain temps. Dieu déboule, et voici sa première phrase :  » Salut. J’ai quinze minutes pour tout faire. Ma femme n’est pas là, je dois reprendre les enfants à l’école.  » Ça part mal. Il va finalement parler pendant trois quarts d’heure. Puis poser pour le photographe. Avec le sourire. Mais c’est parfois compliqué, cette interview. Parce que Dieu est hyper connecté. Et donc hyper dissipé. Vous allez voir ça. Rencontre avec un geek et ses deux smartphones. Un geek sympathique et attendrissant par moments.

DIEUMERCI MBOKANI : Attends, deux minutes. Y’a pas de wifi ? Vas-y, on peut commencer.

Tu retrouves ici le même Laszlo Bölöni qu’au Standard ?

MBOKANI : C’est toujours le même, voilà, il n’a pas changé. (Un téléphone sonne). Attends, c’est ma femme. (Ils discutent pendant deux minutes en lingala). Vas-y.

 » Bölöni me fait passer pour rien, c’est un jeu pour me provoquer  »

Il peut être très dur avec certains joueurs mais on a l’impression qu’à toi, il laisse pas mal de libertés. Il dit que tu as plus de talent que d’autres, alors il est moins sévère avec toi, non ?

MBOKANI : Écoute, je le prends un peu comme mon père. Mais parfois, il est très dur avec moi aussi.

Parce qu’il sait que c’est nécessaire de te recadrer à certains moments ?

MBOKANI : Il me connaît très bien depuis qu’on a travaillé ensemble au Standard. Il sait comment je suis, comment je réagis dans certaines situations. Il me teste, c’est un jeu pour lui, je crois. Parfois, quand je dis quelque chose, il me dit que je suis complètement à côté de la plaque, que c’est faux, que je mens, il me fait un peu passer pour rien. Alors qu’il sait très bien que j’ai raison. Mais quand il me reproche de mentir, moi je m’énerve, je perds un peu mes moyens, je monte dans les tours. Et ça, ça l’amuse, je pense. En tout cas, je vois qu’il rigole, comme le gars qui a réussi son coup. Il sait ce qu’il doit faire pour que je perde mes moyens, c’est de la provocation. Sur le coup, je ne comprends pas toujours qu’il rigole. Il me faut un peu de temps pour mettre toutes les pièces en place et comprendre que je me suis encore fait avoir.

Pendant tout l’été, je ne faisais plus rien, je me laissais vivre, je ne m’inquiétais pas.  » Dieumerci Mbokani

Tu as besoin d’un entraîneur dur ?

MBOKANI : Non. On a une bonne relation, tu vois ? Il y a plusieurs anciens entraîneurs avec qui je suis toujours resté en contact quand je suis parti à l’étranger : Laszlo Bölöni, Michel Preud’homme, Ariel Jacobs. On s’appelle pour discuter, pas nécessairement de football.

Bölöni dit qu’il te fout un peu la paix aux entraînements parce qu’il sait que tu vas compenser en match, que tu vas tout donner et que ça peut toujours payer.

MBOKANI : C’est vrai qu’à l’entraînement, je fais un peu ce que je veux. Mais en match, je deviens automatiquement un autre Dieumerci. Ça n’a jamais été nécessaire pour moi d’être à cent pour cent en semaine. Ce n’est pas à ce moment-là qu’il faut être au maximum. Ce qui compte, c’est le rendez-vous du week-end.

 » Tout le monde arrive parfois un peu en retard quand tu es jeune…  »

C’est quoi, le plus gros clash que tu as eu avec lui ?

MBOKANI : C’était au Standard, et là, ça a bien chauffé. J’étais un peu blessé au genou, j’estimais que je n’étais pas capable de jouer, j’avais peur que ça aggrave ma blessure. Lui, il voulait que je joue. Je lui ai dit : J’ai mal. Il m’a répondu : Tu joues. Le ton est monté. J’étais hyper énervé. Je l’ai insulté. Il m’a insulté. Mais voilà, c’est passé. Tu vois ?

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Il a une façon particulière pour te motiver ?

MBOKANI : Oui, ce qui est particulier, c’est qu’il ne m’impose rien. Il ne me donne pas de consignes tactiques, ou en tout cas ça se résume au strict minimum, je suis privilégié par rapport aux autres joueurs. Il me dit : Dieu, je te connais, tu connais très bien le championnat, fais comme tu le sens.

Tu n’aimes pas trop les règlements, la ponctualité et tout ça…

MBOKANI : C’est faux ça, tu vois ? Tout le monde arrive parfois un peu en retard quand tu es jeune… On m’a fait une réputation.

Comment tu réagis quand Bölöni te contacte pour que tu viennes à l’Antwerp ?

MBOKANI : Au début, je refuse. J’ai d’autres offres, surtout de Turquie où il y a quatre ou cinq clubs qui me veulent. Mais je n’ai pas du tout envie d’aller en Turquie, je sais que c’est parfois difficile d’avoir ses sous là-bas. Je ne suis pas inquiet, je suis arrivé en fin de contrat au Dynamo Kiev, donc il n’y a rien à payer pour le transfert et je sais que c’est tout bon pour moi. Je sais que je vais trouver une équipe qui me convient. Je prends tout mon temps. Puis je réfléchis à la proposition de Luciano D’Onofrio. Ça fait des années que je vis sans ma femme et mes deux enfants. Quand j’étais en Ukraine, quand j’étais prêté en Angleterre, je vivais seul. Je n’avais pas envie qu’ils quittent Bruxelles.

J’avais juste envie de dire aux supporters du Standard que ça ne servait à rien de me prendre comme cible.  » Dieumerci Mbokani

Il y a juste eu une période où ils m’ont rejoint en Angleterre, mes enfants sont allés à l’école là-bas, mais ce n’était pas top, donc ils étaient rentrés en Belgique. Après autant d’années sans eux, ça devenait lourd. Ils venaient parfois me voir, et moi je rentrais dès que j’avais deux ou trois jours de congé, mais ce n’était pas l’idéal. Et donc, ça a joué dans ma réflexion. Je me suis dit que si je signais à l’Antwerp, je pourrais reprendre une vie familiale normale. Le papa, la maman et leurs enfants qui se voient tous les jours. Ça a pesé très fort dans mon choix. Et puis je me suis dit qu’en connaissant très bien le coach et le championnat, ça pouvait me permettre de revenir plus vite à mon niveau.

 » D’Onofrio m’a dit : Viens, tu vas être le roi  »

Quand tu es retourné récemment au Standard, tu as été sifflé à chaque touche de balle. Mais tu as été le meilleur joueur du match.

MBOKANI : J’avais juste envie de dire aux supporters du Standard que ça ne servait à rien de me prendre comme cible. Je reste toujours Dieumerci, qu’on me siffle ou qu’on m’applaudisse. Ce n’était pas la première fois que je faisais un gros match au Standard en y retournant comme adversaire. Tu ne te souviens pas de mon époque à Anderlecht ? Qu’ils me sifflent, seulement, qu’ils s’amusent, ça ne va jamais rien changer. Il faudrait leur expliquer qu’ils me motivent encore plus alors que je n’ai déjà pas besoin de ça quand je vais jouer sur le terrain du Standard.

Dieumerci Mbokani :
Dieumerci Mbokani :  » À l’entraînement, je fais un peu ce que je veux. « © belgaimage – christophe ketels

Pour résumer, ça te laisse indifférent.

MBOKANI : Oui, c’est ça. Je m’en fous ! Complètement.

Tu peux comparer la façon dont on vit le foot dans des grandes villes comme Bruxelles, Liège et Anvers ? (Il reçoit un SMS et regarde l’écran). Je vais te confisquer tes GSM…

MBOKANI : La vraie passion des gens, elle est à Anvers et à Liège. Mais la famille, elle est à Anderlecht. On dit parfois tout et n’importe quoi sur le côté familial d’un club de foot. Mais à Anderlecht, j’ai vraiment trouvé un club familial. On allait manger ensemble, avec les familles. Je n’ai connu ça nulle part ailleurs.

Tu as été champion avec le Standard et avec Anderlecht. Où est-ce que c’était le plus fort ?

MBOKANI : Au Standard, clairement. Un titre après vingt-cinq ans d’attente, c’était vraiment quelque chose de très fort. (Son téléphone sonne, le nom de Luciano D’Onofrio s’affiche). Attends, c’est mon président, je dois le prendre. (La conversation est brève et se conclut par : Oui président, OK président, très bien président).

Qu’est-ce qu’il t’a dit pour te convaincre de venir ici ?

MBOKANI : Quelques phrases très simples. Du style : Dieu, si tu viens à l’Antwerp, tu vas jouer et tu vas être le roi. J’avais des doutes, puis je lui ai dit : OK, ça va.

Il t’a dit que tu allais être le roi…

MBOKANI : Oui, il me considère toujours comme un roi, tu vois ?

Physiquement, tu étais loin. Et ça s’est vu au début !

MBOKANI : J’avoue qu’il y avait du boulot. Mais j’avais joué mon dernier match au début du mois de mai, la finale de la Coupe d’Ukraine. Après ça, je n’ai plus rien fait pendant quelques mois. Je savais que je perdais un peu de condition tous les jours mais je ne le vivais pas mal, je n’avais pas mauvaise conscience, j’avais envie de m’offrir un bon congé. Je ne faisais plus rien, je me laissais vivre. Je ne m’inquiétais pas. Je savais que je trouverais un nouveau club et que je finirais par récupérer mon niveau physique. Je me suis quand même mis à refaire un peu d’exercice avant d’avoir trouvé un club. J’ai commencé à me remettre à niveau avec un préparateur physique à Monaco. De la course, des séances en salle.

Mon fils est décédé à cinq mois, c’est la vie, tout le monde va mourir.  » Dieumerci Mbokani

 » Tu vas voir quand je serai à 100 % physiquement !  »

Tu n’as pas eu peur de ne pas trouver un club intéressant ?

MBOKANI : Peur ? Pourquoi, peur ? Je n’ai que 33 ans.

Ou on peut dire que tu as déjà 33 ans… Tu en es où par rapport au Mbokani des grandes périodes avec le Standard et Anderlecht ?

MBOKANI : Écoute, regarde comment je joue depuis quelques matches alors que je ne suis pas encore revenu au top physiquement. Je suis toujours le même Mbokani. (Un de ses smartphones sonne, il refuse l’appel). Je me sens très bien dans mon corps. Je vais parler ici ! Dans quelques semaines, ça sera encore autre chose. Tu vas voir, quand je serai à cent pour cent. Et puis le football, c’est aussi dans la tête, et ma tête est à cent pour cent. Ce n’est pas demain que je vais arrêter ma carrière, j’ai encore plein d’objectifs. D’abord les play-offs 1 avec l’Antwerp cette saison, puis on verra. C’est pas fini.

 » C’est grâce à Dieu que je n’ai pas sauté dans l’attentat à Zaventem  »

Tu en es où par rapport à l’équipe du Congo ? Tu as déjà annoncé plusieurs fois que tu arrêtais, puis tu as chaque fois repris. Et maintenant ?

DIEUMERCI MBOKANI : C’est compliqué. En fait, je n’ai pas envie d’en parler. Je ne suis plus en équipe nationale, je vais résumer les choses comme ça.

Tu avais par exemple annoncé ton retrait après l’attentat à Zaventem, où tu as eu une chance dingue !

MBOKANI : Je remercie encore Dieu de m’avoir épargné ce jour-là. J’avais logé à Bruxelles, j’arrive à l’aéroport pour prendre un avion pour Kinshasa, pour un match de l’équipe nationale. Quand je suis devant le bâtiment avec ma femme, elle me demande d’attendre parce qu’elle veut voir une copine. Donc, on attend, à l’extérieur. À ce moment-là, ça explose. Si ma femme n’avait pas eu cette copine à voir, j’aurais été dedans. Une fois que ça a pété, je vois plein de blessés. Des policiers nous crient de courir, de nous mettre à l’abri, on file derrière le Sheraton.

Après avoir vu tout ça, tu crois que j’ai encore envie de monter dans un avion pour aller jouer un match au Congo ? Je fais simplement ce que j’ai à faire, je préviens la fédération que je ne rentrerai pas, que je ne suis pas dans l’état mental pour aller jouer. Le plus fou, c’est que dans un premier temps, ils me disent qu’ils ne me croient pas ! Plus tard, ils se sont excusés, mais moi, j’avais pris ma décision : c’était terminé. J’ai quand même fini par rejouer, je suis allé à la CAN l’année dernière. Mais pour le moment, je ne suis plus international.

Mais ça peut encore changer ?

MBOKANI : On ne sait jamais. Mais il y a des trucs qui vont être durs à oublier. En Afrique, les gens oublient vite, il y a un manque de respect. Comme si ça ne comptait plus, tout ce que j’ai fait pour le Congo. J’ai été insulté, ma famille a été insultée, les Africains n’y connaissent rien en football et ils ne veulent rien comprendre.

Tu remercies Dieu parce que tu n’étais pas dans l’aéroport au moment où ça a explosé. Mais qu’est-ce que tu lui as dit quand ton fils de cinq mois est décédé ? Et tu as quel rapport, exactement, avec la religion ?

MBOKANI : Mon fils est mort à cinq mois, oui, mais je me dis que c’est la vie. Tout le monde va mourir. J’ai toujours été catholique pratiquant, déjà avant de venir en Europe. J’étais acolyte à Kinshasa, enfant de choeur si tu veux. Encore aujourd’hui, je vais à l’église le dimanche si on n’a pas un match. Et si on joue, je prie dans ma chambre.

Qu’est-ce que le foot a encore comme importance quand on a perdu un enfant ?

MBOKANI : Je t’avoue qu’à ce moment-là, je ne savais plus du tout où j’en étais. Je n’avais plus trop envie d’être joueur de foot, je voulais faire le point sur ma vie. Mais le soutien moral que j’ai reçu à Anderlecht, je ne vais jamais l’oublier.

 » J’ai kiffé le foot en Ukraine  »

Pour toi, ça avait été moyen à Monaco et à Wolfsburg. Quand Kiev t’a prêté en Premier League, tu t’es dit que tu touchais enfin ton rêve ? Et c’est quoi, le bilan de tes passages à Norwich et à Hull ?

DIEUMERCI MBOKANI : Oui, évidemment, j’avais l’impression que mon rêve se réalisait. Je dirais que ça ne s’est pas mal passé à Norwich, j’ai quand même marqué des buts là-bas, puis ça a été moins bon à Hull. Une blessure, un changement de coach et tout ça, ça m’a compliqué la vie. Je n’oublierai jamais que le patron du Dynamo Kiev m’a permis de vivre des aventures pareilles. Il a accepté ces prêts. Un mec très gentil, on avait une relation très forte.

Qu’est-ce que tu retiens de tes années en Ukraine ? Tu t’es retrouvé là-bas quand la situation politique était quand même compliquée. Quand il y a eu les émeutes à Kiev, tu étais sur place.

MBOKANI : Oui, j’ai assisté à tout ça en témoin, en première ligne. J’ai vu la situation politique qu’on explique dans les journaux et les magazines. Du côté de Kiev, on se sent en Europe. Quand on va vers l’est, vers Donetsk et tout ça, c’est la Russie. Kiev, c’est très cool comme ville. Maintenant, il ne faut pas trop s’en écarter parce que la richesse n’est plus du tout la même, évidemment. J’ai vraiment kiffé l’aspect football en Ukraine.

Les matches entre le Dynamo Kiev et le Shakhtar Donetsk, la rivalité, ça valait largement un match entre le Standard et Anderlecht. Mais après la révolution et le conflit avec les Russes, le niveau a vachement baissé, subitement, parce que les clubs n’avaient plus d’argent pour payer leurs meilleurs joueurs, et ils sont partis.

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