Diablesses!

Chronique madrilène d’un titre annoncé

Mardi 6 octobre: favorites sur le papier

Lors de la conférence de presse d’avant Fed Cup à Madrid, Ivo Van Aken revient sur le manque de temps d’adaptation à la terre battue dont auront disposé ses joueuses. « Heureusement, aucune des filles des autres pays participant n’a disputé un tournoi sur terre battue récemment », explique le capitaine anversois. « Tout le monde sera placé sur un pied d’égalité. En ce qui nous concerne, Kim Clijsters et Justine Henin disputaient la semaine dernière le Masters et Els Callens a remporté le tournoi de Bolton (Grande-Bretagne). C’est bon pour la confiance. »

Le mot d’ordre qui est alors sur toutes les lèvres concerne l’excès de confiance dont pourraient se rendre coupables les Belges présentées comme les grandes favorites de la compétition. « Sur papier, c’est le cas si l’on tient compte de nos classements », expose Kim Clijsters. « Mais à Moscou, l’année dernière, la Belgique était la plus mauvaise équipe engagée et on a vu ce qu’il est advenu (qualification pour la poule finale à Las Vegas). Une surprise est toujours possible. »

Même son de cloche chez Justine Henin. « Nous ne devrons pas démarrer l’épreuve avec le sentiment d’être favorites mais plutôt celui de former une équipe parmi d’autres. Il ne faut pas oublier que nous allons affronter des joueuses qui n’auront rien à perdre », explique la Rochefortoise qui regrette l’absence des Américaines « parce qu’en cas de victoire finale, le mérite aurait été plus grand encore ».

Concernant la composition de son équipe, Van Aken n’en fait aucun mystère: Clijsters et Henin joueront les simples, à charge pour Callens et Laurence Courtois de disputer le double.

« Ce serait dingue de demander à chacune de mes deux leaders de jouer tous les simples et tous les doubles », argumente le capitaine belge. « Il n’est pas nécessaire de gagner par 3-0 tous les matchs. » En ce qui concerne les rivales les plus dangereuses, les avis sont unanimes: dans la poule de la Belgique, l’Espagne, pays organisateur qui sera défendu par de véritables spécialistes de la terre battue comme Arantxa Sanchez, Conchita Martinez, Gala Leon Garcia et Virginia Ruano Pascual, est la nation dont il faut se méfier le plus. Le « choc » est prévu pour samedi. La France constitue le candidat le plus sérieux dans l’autre poule.

Par-dessus tout, c’est l’esprit de décontraction qui prime dans les rangs belges. Clijsters est souriante, Henin aussi et tant Courtois que Callens affirment leur bonheur de se retrouver ensemble.

Les seuls personnes affichant une triste mine sont le kiné et le sparring-partner de l’équipe belge. Souhaitant assister à la rencontre phare du championnat de foot entre le Real local et Barcelone (trois jours plus tôt au stade Bernabeu voisin de l’hôtel des Belges), ils n’ont pu s’y rendre faute de places. « Les Françaises ont eu des invitations grâce à Zidane« , plaisante Henin. « Mais aucun joueur belge ne joue au Real… ». Elle a sans oublié le basketteur Eric Struelens

Mercredi 7 octobre: toutes bonnes contre l’Allemagne (3-0)

La Belgique boucle rondement sa première mission, à savoir battre une équipe allemande qui a remplacé au pied levé les Américaines. Première à entrer dans l’arène madrilène où, et c’est une surprise, n’ont pris place qu’une poignée de spectateurs, Henin se défait facilement de Martina Muller, 20 ans et 103e mondiale que la majorité de la délégation belge découvre pour la première fois. A la surprise générale, elle a remplacé Barbara Rittner, la leader allemande.

Vainqueur par 6-3, 6-1, Henin avoue après coup qu’elle ne connaissait rien, ou si peu, de son adversaire. L’essentiel pour la Rochefortoise était de voir comment elle allait « digérer » l’adaptation à la terre battue, et sur ce plan-là, sa victoire l’a entièrement rassurée.

« J’ai eu un peu de mal au début du match parce qu’inconsciemment, je reculais trop par rapport à ma ligne du fond », dit-elle. « Une fois que j’ai avancé dans le terrain, j’ai pu développer mon tennis offensif et tout est rentré dans l’ordre. » Henin réitère ce qu’elle a déjà dit à propos de l’excellente ambiance au sein du groupe Belgique: « Ivo fait tout pour. Et nous avons décidé de longue date que nous nous rendrions à Madrid sans nos entraîneurs personnels afin que l’organisation soit facilitée au maximum. C’est très bien ainsi. »

Du fait de sa position de leader, Kim joue le deuxième match. Elle non plus n’éprouve guère de difficultés à se débarrasser de Bianka Lamade, 68e joueuse mondiale. Grande et athlétique, l’Allemande possède certes un bon service mais son répertoire ne lui permet pas de contrer la puissance de la Limbourgeoise: 6-3, 6-1, même score que pour Henin. Là aussi, la satisfaction est totale.

« Franchement, en ce qui concerne mon adaptation à la brique pilée, je m’attendais à pire », déclare la fille de Lei. « Et sans pression! Notre position au ranking ne nous empêchera pas de garder les pieds sur terre. »

Reste à Callens-Courtois à peaufiner une victoire annoncée. Elles remportent le double en trois sets: 6-4, 6-7 (5/7), 6-1. La seule frayeur est provoquée par Courtois. Lorsque les Belges ont une balle de match dans le tie-break du deuxième set, le jeu de la Courtraisienne s’effondre mais elle se reprendra bien dans la troisième manche.

L’autre rencontre de la poule des Belges (Espagne-Australie) sourit aux joueuses ibériques. Bien que malmenées par leurs adversaires, tant Conchita Martinez qu’Arantxa Sanchez gagnent leurs simples. L’Espagne gagne 3-0 et se classe première du groupe avec la Belgique.

Jeudi 8 octobre: farniente, shopping et visite

Après l’entraînement du matin, Van Aken accorde un bon de sortie aux filles. Aucun match n’est prévu. Henin reste dans sa chambre, Clijsters fait du shopping, Courtois passe l’après-midi en famille et Callens s’en va rendre visite à un ancien entraîneur installé à Madrid.

Le match des mal lotis entre l’Allemagne et l’Australie sourit aux Allemandes qui remportent le duel par 3 victoires à 0. Dans la poule A, la France domine nettement la République Tchèque. Le plus sérieux candidat pour la finale dans l’autre groupe n’a pas raté son entrée dans la Coupe de la Fédération.

Vendredi 9 octobre: le kangourou est tacklé

Le vaisseau belge continue à glisser dans cette Coupe de la Fédération comme l’eau sur le marbre. La Belgique écarte l’Australie par 3 victoires à 0. Opposée à Rachel McQuillan, modeste 62e mondiale, la Rochefortoise démarre le match tendue comme un fil de plomb. Résultat des courses: elle est accrochée jusqu’à 5 partout dans la première manche. Le break qui lui permet de faire 6-5 la libère complètement. Henin s’impose 7-5, 6-0. A noter que McQuillan ne réussit à prendre que quatre points dans la seconde manche.

Henin après coup: « Je n’ai plus l’habitude d’affronter des joueuses qui frappent si faiblement dans la balle. Même lors des entraînements, celle-ci vient trois fois plus vite! C’est à la fois bizarre et frustrant. »

Moins hésitante dans ses débuts de rencontre, Clijsters éprouve quelques difficultés à terminer son match face à Alicia Molik, 53e mondiale. Il lui faut six balles de match pour battre l’Australienne sur un double 6-3.

« Tout le monde sait que notre match le plus important aura lieu samedi contre l’Espagne », explique Clijsters.

Difficiles vainqueurs des Allemandes, les Espagnoles ne paraissent pourtant pas intouchables. Et surtout pas Conchita Martinez, battue par Muller, 103e mondiale. Personne ne sait alors si Miguel Margets lui renouvellera sa confiance face à la Belgique et une Henin qui l’avait sèchement battue à Wimbledon.

« Notre premier objectif était d’arriver au match contre les Belges invaincues », poursuit Miguel Margets. « Maintenant que c’est fait, l’Espagne sera plus dangereuse que jamais. » Leader de l’équipe, Arantxa sait que la tâche qui l’attend ne sera pas mince face à Kim: « S’il est une surface sur laquelle j’ai le plus de chances de la battre, c’est bien la terre battue. J’aurai davantage de temps à ma disposition pour la contrer. » Dans l’autre poule, la France est battue à la surprise générale par la Russie (2-1), qui se qualifie pour la finale.

Samedi 10 octobre: l’Espagne vend chèrement sa peau

Malgré les deux matchs déjà joués, la Fed Cup démarre réellement pour l’équipe belge à la faveur de la rencontre contre l’Espagne. Les doutes concernant la participation de Conchita sont très vite levés. Justine s’attendait à une partie difficile, mais elle est loin de s’imaginer le sort que va lui réserver son adversaire ainsi qu’un public madrilène remonté.

Le premier set voit une Martinez accrocheuse mais la numéro 2 belge s’impose 6-3. Henin réalise par deux fois le break dans la deuxième manche (dans les premier et troisième jeux), mais elle est à chaque fois contre-breakée par une Espagnole qui trouve de plus en plus ses marques. Tandis que la Belge s’apprête à servir une deuxième balle, un son de clairon retentit dans la salle. Henin perd de plus en plus le fil de ses idées et les appels à la raison d’Ivo Van Aken ne changent rien.

Face à une Martinez plus entreprenante, Justine Henin semble perdue. Elle perd le deuxième set 7-5 et se voit même menée 3-0, 4-1 et même 5-1 avec deux breaks de retard. L’affaire semble entendue pour la Rochefortoise quand, alors qu’elle a repris un de ses services de retard et remporté sa propre mise en jeu, elle doit écarter une balle de match à 5-3 sur le service de l’Espagnole. Un revers de cette dernière vient, heureusement, mourir dans le filet. Deux points plus loin, Henin revient à 5 jeux à 4.

Grâce à un service retrouvé, et parce qu’elle vient de plus en plus souvent chercher les points à la volée, l’Ardennaise ne laisse plus la moindre chance à Martinez, finalement battue 6-3, 5-7, 7-5 au terme de près de 2h30 d’un match décidément haletant.

« Je comprends qu’un public fasse bloc derrière ses joueuses mais il doit garder malgré tout du respect pour l’adversaire », dira ensuite une Henin soulagée. « Quand on me fout les trompettes entre mon premier et mon deuxième service, ce n’est pas correct. Mon erreur a été de trop me concentrer sur le bruit permanent qui émanait des tribunes, mais je n’avais jamais été confrontée à ce genre d’attitudes par le passé. »

Henin ajoute qu’elle retire une énorme fierté de s’être sortie de ce match piège par excellence.

A 1-0, la Belgique se trouve idéalement placée pour s’ouvrir les portes de la finale. Reste à Clijsters, leader plus que jamais autoritaire, à battre Arantxa. Henin vient à peine d’achever sa conférence de presse que la Limbourgeoise a déjà remporté le premier set 6-1! Le deuxième ne durera que quelques minutes de plus, Sanchez réussissant en tout et pour tout à prendre deux jeux…

L’entourage belge au grand complet reste abasourdi par la démonstration de puissance, de sérénité et de justesse de Clijsters. « C’est probablement l’un de ses meilleurs matchs de l’année », expose Carl Maes, le coach de la joueuse présent à Madrid en tant que consultant pour VTM.

Kim refuse encore d’évoquer une éventuelle victoire en finale: « Demain, il faudra tout recommencer à zéro. »

Dimanche 11 octobre: le grand jour

Parmi les membres de la délégation belge, la tentation est forte de déjà mettre le champagne au frais mais il y a encore la finale à disputer contre la Russie. Vainqueurs des Françaises, Dementieva et Cie sont aussi motivées que les Belges et le classement de leur leader, 12e mondiale, incite à la prudence.

Opposée à Nadia Petrova, 42e à la WTA, Justine Henin ne rencontrera aucune difficulté pour apporter le premier point à ses couleurs. Le match dure à peine 50 minutes: 6-0, 6-3. « Pour la première fois de la semaine, j’ai affronté une joueuse qui donne du rythme à la balle », affirme la Rochefortoise. « Le match face à Martinez m’a procuré une énorme confiance. Dès ce matin, à l’entraînement, j’étais concentrée ».

Même si Clijsters doit encore parachever l’oeuvre historique, Henin s’avance quelque peu en la matière lorsqu’elle déclare: « Si nous gagnons la Fed Cup, ce sera une grande victoire pour un petit pays comme la Belgique ».

Le moment fatidique intervient peu de temps après. Contre Elena Dementieva, la pourtant redoutable Moscovite, Kim poursuit son entreprise de démolition. Elle s’impose 6-0, 6-4 en 49 minutes, record de Henin battu! Sur l’ensemble de la semaine, la Limbourgeoise a perdu 17 jeux seulement en quatre rencontres. Qui dit mieux? « C’est une grande victoire pour tout le monde », explique la fille de Bree. « C’est un autre cadeau qui tombe après une saison fantastique. » Finaliste à Roland Garros et victorieuse à Stanford, Clijsters place cette victoire parmi les grands moments de sa carrière. « Elle n’est pas plus belle mais elle est différente ».

Pour la petite histoire, le double belge se faisait encore battre en deux sets pour le fun; et Laurence Courtois annonçait qu’elle mettait joliment fin à sa carrière sur le circuit…

Florient Etienne

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