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DIABLES ROUGES DE HONTE

Un contrôle approximatif, une passe trop appuyée, il suffit parfois de peu de chose pour jeter les bases d’une prestation désastreuse. Retour sur cinq moments gênants qui ont chacun participé à la douloureuse histoire des Diables Rouges.

On a beaucoup raillé les performances inégales de Jordan Lukaku avec les Diables ces derniers mois. Tout le monde se souvient encore aussi du match compliqué de Jason Denayer face au Pays de Galles, en quart de finale de l’EURO 2016. Dans un match de moindre importance, contre l’Italie, le 13 novembre 2015, Luis Pedro Cavanda n’avait eu, lui, besoin que de 63 minutes pour enterrer ses derniers espoirs d’une sélection en vue du Championnat d’Europe des Nations.

A chaque fois, la vareuse de l’équipe nationale aura donc joué son rôle de révélateur ultime. Car si on a tendance à dire que c’est face à la pression engendrée par un match international qu’apparaissent les vrais leaders, l’inverse est tout aussi vrai et de trop longues minutes passées sur le pré peuvent rapidement se transformer en moments de détresse inoubliables.

Pour les plus costauds, il ne s’agira que d’un accident, mais pour ceux qui n’ont pas le vécu d’un Franky Van der Elst ou la gouaille de Bertrand Crasson, cela ressemblera plus à un chemin sans retour vers l’anonymat. Certains angoissent encore près de 20 ans après les faits, quand d’autres ont décidé d’en rire. Tous sont conscients qu’un match raté avec l’équipe nationale, c’est une humiliation publique incomparable avec une prestation moins aboutie en club. Magnéto.

BERTRAND CRASSON 26 SÉLECTIONS, 1 BUT  » Il m’aurait fallu une mobylette pour rattraper Overmars  »

19e sélection : Belgique-Pays-Bas (0-0) : samedi 13 juin 1998 – 21h00 – Paris (France)

Phase finale de la Coupe du Monde 1998 (France) – Groupe E – match 1

 » Ce jour-là, je me suis tout de suite rendu compte qu’il y avait un problème. Mais un problème sans solution, c’est une impasse. Clairement, ce soir-là, je n’étais pas dedans et Marc Overmars était plus fort. Mais le foot, c’est comme dans la vie, parfois tu es un marteau, parfois tu es une enclume. Il y a ce qu’on voit et il y a ce qui se passe. Malgré tout, on n’oubliera pas cette préparation étrange axée sur le 4-4-2 pour, deux jours avant le match contre les Pays-Bas, opter subitement pour le 3-5-2. Je me suis retrouvé seul sur mon couloir face à Arthur Numan et Overmars sans aucune couverture. C’est presque un miracle qu’on soit parvenu à garder le zéro, malgré tout, pendant ces 25 premières minutes. Sans conteste, Georges Leekens a eu raison de me sortir parce que je ne trouvais pas la bonne carburation.

Cela s’est mieux passé après mon remplacement par EricDeflandre, sans doute aussi grâce au fait que Lorenzo Staelens,jusqu’alors positionné dans un rôle de libéro à l’ancienne, soit venu donner son aide. Néanmoins, je n’ai pas grand-chose à dire pour ma défense. Il aurait fallu une mobylette pour rattraper Overmars ce soir-là. À chaque fois qu’il tentait un truc, j’étais vu. Pris dans le dos, pris de vitesse, tout y est passé, c’était horrible. Mais, si je me souviens bien, Vital Borkelmans a aussi vécu un enfer face à Clarence Seedorf de l’autre côté.

Bien sûr, après ce genre de match, tu es déçu, abattu et tu ne dors pas de la nuit parce qu’il y a tout le contexte autour. La Coupe du Monde, le Stade de France, tout ça fait de cela un très pénible souvenir. Heureusement, on était une bonne bande et Enzo Scifo, Danny Boffin, Marc Wilmots, Philippe Vande Walle et Eric Deflandre ont été les premiers à me soutenir. Ce qui est terrible, c’est la suite contre le Mexique, où Leekens vient me voir avant le match et me dit :  » Ne t’inquiète pas, si Eric fait une connerie, tu rentres. «  Il avait quand même une drôle de manière de voir les choses ce Leekens. De toute façon, moi, je savais que j’en avais fini avec mon Mondial. Et puis, j’ai toujours eu une relation compliquée avec l’équipe nationale.  »

FRANKY VANDENDRIESSCHE 1 SÉLECTION  » Tout le monde avait les yeux fixés sur moi  »

Première sélection : Croatie-Belgique (4-0) samedi 29 mars 2003 – 18h30 – Zagreb

Qualification pour le Championnat d’Europe 2004 (Portugal) – Groupe 8 – match 4

 » On avait une très mauvaise atmosphère dans le groupe. Il y avait de la jalousie, une mentalité exécrable et tout était logiquement contre nous. Ce n’était clairement pas le meilleur moment pour faire mes débuts en équipe nationale, mais il n’empêche que c’était une chance unique à 32 ans et que j’aurais dû la saisir à deux mains. Je ne l’ai pas fait et sur le premier but de Darijo Srna, je suis clairement en faute. J’anticipe le centre et il frappe de l’extérieur. Ce n’est pas facile à encaisser sur le coup parce que tout le monde avait déjà les yeux fixés sur moi avant même le début du match en tant que novice. C’était d’autant moins facile à gérer que dans le même temps, ce n’était pas une période facile avec Mouscron.

Forcément, après ce premier but qui tombe très tôt dans la rencontre (après 9 minutes, ndlr), tu te sens mauvais et responsable, mais ce n’est pas pour autant que les mains tremblent puisque je devais avoir quelque 250 matchs de D1 à l’époque. Je pense d’ailleurs que les choses auraient pu mieux tourner si on égalise sur nos occasions, mais finalement c’est tout le groupe qui a coulé ensemble. Je ne pense pas que ma responsabilité soit engagée sur les trois derniers buts, peut-être sur le quatrième, mais de toute façon, le mal était fait. On dit toujours qu’on n’a pas le temps de penser dans ces cas-là, mais il n’y a rien à faire, on sait qu’il y a du monde devant la télé.

Après ce genre de match, cela ne sert à rien de parler avec le coach, ni même avec les joueurs. Et puis, l’ambiance était déjà tellement délétère que le groupe avait choisi de rentrer le soir même en Belgique. Sans conteste, c’est le pire souvenir de ma carrière. Après,l’avantage d’avoir connu des moments pareils, c’est qu’aujourd’hui, dans mon rôle d’entraîneur des gardiens, je peux plus facilement me mettre à leur place. Après une erreur ou un mauvais match, c’est important de réussir à oublier le plus vite possible. « 

FILIP DE WILDE 33 SÉLECTIONS  » Je n’aurais jamais dû laisser rebondir ce ballon  »

33e sélection : Belgique-Turquie (0-2) : lundi 19 juin 2000 – 20h45 – Bruxelles (Belgique)

Phase finale du Championnat d’Europe 2000 (Belgique – Pays-Bas) – Groupe B – match 3

 » Contre la Turquie, le but d’Hakan Sükür, c’est une erreur de jugement de ma part. J’ai toujours été conscient de ça. D’ailleurs, les analyses qui ont été faites sur mon compte ne sont pas correctes. Les gens ont dit que j’avais manqué d’agressivité, mais la seule erreur que j’ai faite sur cette action, c’est d’avoir laissé rebondir le ballon. C’était clairement le mauvais choix, compte tenu du fait que Sükür arrivait lancé. Dans ces moments-là, on a forcément envie de disparaître, mais j’ai toujours su que ce n’était pas une solution. Au moment du carton rouge, je suis sorti et j’ai directement été m’excuser auprès de Robert Waseige.

Ensuite, j’ai décidé de répondre à chacun des journalistes. Je voulais assumer les conséquences de mes actes, parce que ça ne sert à rien de s’enfuir. J’avoue que je suis fier d’avoir réagi comme ça, d’avoir été digne. Il n’empêche qu’encore maintenant, je suis souvent confronté à ces images-là. Heureusement, dans mon entourage, je suis relativement épargné, je n’ai pas encore eu droit à la vidéo sur grand écran le jour de mon anniversaire (rires).

Au moment d’entamer cet EURO, j’avais 35 ans, presque 36 et une trentaine de sélections à mon actif dont une Coupe du monde mais, honnêtement, je ne pensais pas prendre ma retraite internationale à ce moment-là. Je ne pense d’ailleurs pas que j’aurais été amené à me retirer sans mes deux erreurs, mon carton rouge et les 4 matchs de suspension qui allaient de pair avec, mais après ça, c’était hors de question de revenir. Les Diables n’avaient plus besoin de moi et je n’avais plus envie d’avoir la pression d’être le numéro 1 belge.

Ce qui est malheureux, c’est que je me dis souvent que si je pouvais revenir en arrière, j’aurais arrêté avant l’EURO. Qu’on le veuille ou non, mon bilan avec les Diables sera taché à vie par ce double épisode. Sur le moment, ça n’a pas été évident à vivre d’un point de vue personnel. Après l’EURO, je suis parti avec ma famille, j’avais besoin de m’isoler, de prendre mes distances avec le monde du football. Toutefois, je suis fier d’être parvenu à me relever si rapidement. Fin août, j’ai activement participé à la qualification d’Anderlecht contre le FC Porto avant de signer une campagne exceptionnelle avec les Mauves en Ligue des Champions la même saison. « 

PHILIPPE LÉONARD 26 SÉLECTIONS  » J’aurais bien fraisé Degryse ce soir-là  »

7e sélection : Belgique – Pays Bas (0-3) samedi 14 décembre 1996 – 20h00 – Bruxelles (Belgique)

Qualification pour la Coupe du Monde 1998 (France) – Groupe 7 – match 3

 » La première chose que je retiens de ce Belgique-Pays-Bas, c’est que c’était certainement plus facile de me sortir moi que Marc Degryse. En gros, et pour bien comprendre, il faut se dire que je me suis retrouvé avec Michael Reiziger, Clarence Seedorf, Aron Winter et Edgar Davids dans ma zone pendant que Degryse me regardait courir.

Avant le match, Wilfried Van Moer était venu me voir pour me dire que, malgré le fait que je ne jouais pas beaucoup en club, il aimerait bien me titulariser. Il m’avait demandé si je me sentais prêt, je lui ai répondu que je me sentais très bien et il m’a lancé à l’arrière gauche, derrière Degryse. Le problème, c’est que Marc a choisi de jouer sa carte personnelle plutôt que de se sacrifier pour l’équipe. Au final j’en ai surtout voulu à Van Moer, parce que moi, du haut de mes 22 ans, j’avais compris ce qu’il fallait faire. Mais ce n’était pas mon rôle d’aller dire à Degryse de défendre ce soir-là. Van Moer était-il à court de solutions tactiques ou n’avait-il pas l’influence nécessaire pour imposer ses choix à Degryse ? Je me perds toujours en conjectures à ce propos aujourd’hui.

J’aurais aimé que Willy (Marc Wilmots, ndlr) vienne m’aider, j’aurais aimé être à la place d’EricDeflandre qui bénéficiait de son soutien, mais non, je devais faire avec Degryse… Au moment de mon remplacement (par Nico Van Kerckhoven à la 35e minute, ndlr) j’avais véritablement envie de le fraiser, mais je ne lui ai rien dit. Je suis rentré au vestiaire, j’ai pris ma douche et je ne me souviens même plus de la suite du match. Je ne pourrais même plus vous dire le résultat. J’étais tellement dégoûté.

On a dit que c’est ce match qui avait précipité ma non-sélection pour le Mondial 98, mais c’est faux. Il y a peu, j’ai découvert que GeorgesLeekens avait dit dans un Sport/Foot Magazine que c’est parce j’avais serré la main de Manu Petit, Thierry Henry et David Trezeguet (ses coéquipiers à Monaco à cette époque, ndlr) lors d’un stage au Maroc où nous avions croisé l’Équipe de France que je n’avais pas été sélectionné. Selon lui, je n’avais pas assez l’esprit d’équipe. C’est pour ça qu’il a pris VitalBorkelmans, paraît-il. « 

FRANKY VAN DER ELST 86 SÉLECTIONS, 1 BUT  » Je ne m’imaginais plus rejouer un jour avec les Diables  »

69e sélection : Belgique-Espagne (1-4) : samedi 17 décembre 1994 – 20h30 – Anderlecht (Belgique)

Qualification pour le Championnat d’Europe 1996 (Angleterre) – Groupe 2 – match 4

 » Je n’ai fait qu’un mauvais match avec les Diables, mais il me poursuit encore 20 ans plus tard (il s’esclaffe). Non, plus sérieusement, ce Belgique-Espagne ne reste pas un bon souvenir puisqu’en plus de ma prestation individuelle, il nous fermait presque définitivement les portes de l’EURO 96 (après une défaite contre le Danemark et un nul contre la Macédoine, ndlr). Ce soir-là, je me rappelle avoir beaucoup couru et énormément souffert devant un petit Espagnol aux origines brésiliennes (Donato, ndlr). Plus le match avançait, plus je ratais mes contrôles, mes passes et très vite le public anderlechtois s’est mis à me siffler. À partir de là, à chaque fois que je touchais le ballon, j’entendais tout le stade s’acharner sur moi. Je voulais que le match se termine, je me vois encore regarder le marquoir et ce chrono qui n’avançait pas. J’étais encore sur le terrain mais je n’avais plus le moindre ressort, je voulais désespérément que cela s’arrête.

J’ai presque envie de dire que ce soir-là, le fait d’avoir 33 ans a facilité ma décision d’arrêter avec l’équipe nationale. À 23 ans, tu ne peux pas t’enfuir, mais à 33 et avec trois Coupes du monde derrière toi, tu vois les choses différemment. Quelques jours après ce match, j’ai appelé Paul Van Himst pour lui dire que j’arrêtais et qu’il fallait laisser la place aux jeunes comme Johan Walem. J’étais tellement dégoûté de la réaction du public que je m’imaginais plus rejouer un jour avec les Diables (il fera finalement son retour trois ans plus tard, sous les ordres de Georges Leekens, ndlr).

Quelques minutes après le match, mon fils, m’a rejoint en larmes dans les vestiaires. Je n’ai jamais compris comment il était arrivé là, mais le fait de voir pleurer son gamin de 13 ans à cause de ce qu’il a entendu sur son père pendant 90 minutes, ça reste le moment le plus écoe urant de ma trajectoire sportive. Honnêtement, on peut dire ce qu’on veut sur ma prestation ce soir-là, mais je n’ai jamais connu un tel acharnement contre moi.  »

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS BELGAIMAGES

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