Diables dans le rouge

L’équipe nationale ne sera pas à l’Euro 2008. C’est le troisième grand tournoi d’affilée qu’elle manque.

Que vaut encore notre équipe nationale au plan économique ? Nous avons analysé le produit Diables Rouges selon un vieux modèle de marketing, le SWOT ( Strengh, Weakness, Opportunities, Treath) qui aligne leurs points faibles et leurs points forts mais aussi les opportunités qui se présentent à eux et les menaces qui les guettent.

POINTS FAIBLES 1. les résultats et l’image

Les points faibles étant, actuellement, plus visibles que les forts, abandonnons l’ordre du mot SWOT, le gros problème des Diables, ce sont en effet les résultats. Revenons au 16 août 2006. Ce soir-là, les Belges affrontent le Kazakhstan dans le match d’ouverture de la campagne qualificative pour l’Euro 2008. On constate immédiatement que l’absence de l’équipe nationale lors des deux derniers grands tournois (Euro 2004 au Portugal et Coupe du Monde 2006 en Allemagne) a laissé des traces sur le plan sportif mais aussi sur le plan économique. 16.000 spectateurs sont présents au Stade ConstantVandenStock mais 9.000 d’entre eux à peine ont acheté un ticket. Les autres ont été invités par des sponsors.

2. la fuite des sponsors

Ces mêmes sponsors constituent, précisément, le deuxième problème des Diables. A cause des mauvais résultats, un certain nombre d’entre eux a préféré se retirer. C’est le cas de Dela, une société spécialisée en assurances funéraires. Le constructeur automobile Peugeot et le fabricant de pneus Continental ont eux aussi quitté la route des Diables.

 » Notre stratégie de marketing est basée sur un pneu Premium « , explique Ludo Hendrickx.  » Cela ne cadrait plus avec les résultats et l’image des Belges. Notre société mère est basée à Hanovre et a largement utilisé le canal du football pour promouvoir ses produits au moment de la Coupe du Monde en Allemagne. Elle souhaitait que nous fassions la même chose en Belgique mais le football n’a pas le même impact. C’est pourquoi nous envions un peu nos collègues hollandais : leur équipe nationale est un très bon produit « .

Mais le coup le plus dur pour les Diables fut sans doute la perte de Dexia, sponsor principal depuis 28 ans. A en croire les déclarations de Staf Helbig, ex-directeur de la communication de la banque dans De Tijd, les résultats ne sont pas seuls en cause :  » Ils n’étaient pas bons mais ce qui ennuyait surtout Dexia, c’est que les Diables Rouges allaient quitter notre centre d’entraînement de Crainhem, ce qui aurait engendré une perte de visibilité pour la banque. La fédération ne voulait ou ne pouvait compenser cette perte. Nous devions payer davantage pour un return moins important. Cela ne nous convenait pas et nous avons donc pris une position de principe « .

3. les droits TV

Le troisième problème, pour la fédération, ce sont les droits de retransmission télévisuelle du côté flamand, Côté francophone, RTL a acquis les droits des matches de qualification pour l’EURO 2008 à 200.000 euros le match et a encore un contrat jusqu’à au Mondial 2010. Mais Laurent Haulotte, responsable de la chaîne, s’est dit  » très amer  » et  » exaspéré  » à La Libre Belgique récemment :  » La marque Diables Rouges a beaucoup perdu de sa valeur médiatique. C’est une belle catastrophe ! Lors du premier match des qualifications face au Kazakhstan, le 16 août 2006, nous avons même fait plus de 500 000 téléspectateurs. Depuis lors, c’est la dégringolade. On espérait des résultats et du beau jeu, mais aussi et surtout une relation constructive et une vision stratégique claire dans le chef des responsables de l’équipe nationale. Ce n’est pas le cas. En fait, on a droit le plus souvent à de l’arrogance et de l’amateurisme. Si les choses restent en l’état, il n’y aura plus grand monde à RTL pour défendre un renouvellement du contrat « .

La VMMa ( VTM et Kanaal 2) avait fait une offre globale de 225.000 euros par match pour toutes les rencontres qualificatives de l’Euro 2008 et de la Coupe du Monde 2010. La fédération a refusé et l’a regretté. Comme personne d’autre n’était intéressé en Flandre, VTM a pu retransmettre le match contre le Kazakhstan pour 50.000 euros. Elle a même eu droit à deux autres matches gratuits en guise de compensation pour n’avoir pu retransmettre deux autres rencontres du contrat précédent. Lors de nouvelles négociations, la VMMa a refusé de répéter son offre initiale.  » Les gens de la fédération croient que les arbres poussent jusqu’au ciel mais, suite aux résultats, les matches de qualification des Diables pour l’Euro 2008 ne nous intéressaient plus « , dit Eric Goens, directeur de l’information.

En mai de cette année, la fédération a tout de même réussi à vendre la retransmission des matches à domicile à la VRT mais pour un prix largement inférieur à l’offre initiale de VTM.

4. les premières pertes historiques

Le désintérêt des supporters, des sponsors et de la télévision fait en sorte qu’en 2006, et pour la première fois en 112 ans d’histoire, l’Union Belge a enregistré des pertes. Et lors de son assemblée générale 2007, elle a prévu un nouveau déficit de 1,5 million d’euros pour l’exercice en cours. L’augmentation des cotisations des clubs et la prise en compte du nouveau contrat TV devraient toutefois rétablir l’équilibre financier.

LES FORCES 1. le foot reste rassembleur

 » Notre produit a une valeur qui dépasse la logique économique « , a répété plusieurs fois le président fédéral, François De Keersmaecker.  » Un match des Diables appelle toujours au sentiment national « .

Trudo Dejonghe enseigne le sport et l’économie à la Haute Ecole Lessius d’Anvers. On ne peut pas le soupçonner d’être fan de De Keersmaecker mais, dans ce cas précis, il partage son opinion :  » Le sport et le nationalisme sont très proches l’un de l’autre. On n’entend pratiquement plus l’hymne national que lors de manifestations sportives. Le chauvinisme n’est d’ailleurs pas lié qu’aux équipes nationales mais également aux clubs. Tout le système du merchandising est basé là-dessus « .

C’est d’ailleurs à ce sentiment national que l’Union Belge doit le sponsoring de Citibank, qui a succédé à Dexia comme sponsor principal des Diables.  » Nous avons constaté que notre marque n’était pas encore suffisamment connue en Belgique « , explique Michel De Bolle, directeur du marketing.  » En sponsorisant un club, nous n’aurions associé notre nom qu’à une seule région. Nous voulions éviter cela et nous avons opté pour l’équipe nationale, qui nous permet de toucher un large public « .

2. le foot dynamise les TV

Le football est populaire à souhait et constitue un outil de marketing intéressant. EricGoens, de VTM, le sait :  » Une chaîne de télévision a besoin du football. TF1 a perdu 20 millions d’euros lors de la dernière Coupe du Monde mais a immédiatement affirmé qu’à refaire, elle achèterait de nouveau l’exclusivité. Actuellement, nous possédons les droits sur la Ligue des Champions et estimons qu’ils valent plus que ceux des matches des Diables Rouges. C’est pourquoi nous n’avons pas reconduit le contrat avec la fédération. Mais le football est une figure de proue, il confère une certaine dynamique à une chaîne de télévision « .

Dejonghe est tout aussi convaincu :  » En Belgique, il y a très peu de concurrence. Il y a bien Justine Henin et le relais féminin d’athlétisme mais ces sports n’attirent pas autant de gens. De plus, il ne faut pas grand-chose pour réveiller l’intérêt autour des Diables. Une génération talentueuse s’annonce. On attend beaucoup d’elle lors de la campagne de qualification pour la Coupe du Monde 2010. Un bon départ suffirait à modifier l’ambiance. Si les Diables étaient côtés en Bourse, ils constitueraient une opportunité intéressante. Il faut pouvoir acheter un titre lorsqu’il est au plus bas. En Bourse, on ne doit jamais rattraper un couteau qui tombe mais je crois que les Diables ont déjà touché le fond « .

LES MENACES 1. des sponsors qui font peur

Au cours des derniers mois, c’est avec fierté que De Keersmacker a présenté Citibank et Hamburg-Mannheimer en tant que sponsors principaux. Dejonghe estime pourtant que cet optimisme est déplacé :  » Pour moi, passer de Dexia à Citibank, c’est un signe qui ne trompe pas. Les sponsors principaux de la fédération devraient être des entreprises du Bel-20 ou des firmes à la réputation sans tache aussi, ce qu’on ne peut dire ni de Citibank, qui accorderait trop de crédits, ni de Hamburg-Mannheimer dont les techniques de vente sont discutables. Pour moi, c’est un mauvais marché car il fait peur à d’autres sponsors. Je sais que l’un des nouveaux fournisseurs d’énergie dont je ne citerai pas le nom s’intéressait aux Diables mais n’a finalement pas voulu les sponsoriser parce qu’il ne voulait pas que son nom soit associé à ceux des deux nouveaux sponsors. Je ne sais pas exactement combien ces nouveaux sponsors paient mais les montants tournaient autour des 250.000 euros par an. Ce sont des cacahuètes. AIG donne 20 millions d’euros par an pour figurer sur les vareuses de Manchester United. La visibilité est différente mais tout de même… « 

2. une corporation moyenâgeuse

Les structures de la fédération font également peur à Dejonghe.  » Quand on a Dexia comme sponsor, on ne joue pas à Anderlecht, le temple de Fortis, en cachant les panneaux par quelques plastics. Nous sommes au 21e siècle, tout de même. Dexia avait sans doute déjà pris sa décision d’arrêter à ce moment-là mais ce n’est tout de même pas très heureux. L’Union Belge est une corporation moyenâgeuse et De Keersmaecker a sans doute été élu parce qu’on était certain qu’il ne ferait pas avancer les choses. « 

LA DIVERSIFICATION 1. sponsoriser les équipes de jeunes

Dans une interview à De Standaard, De Keersmaecker a révélé où la fédération voulait en venir en matière de sponsoring.  » Nous devons être moins dépendants de notre équipe A et mettre nos jeunes en valeur. Peut-être avons-nous eu trop tendance à mettre tous nos £ufs dans le même panier par le passé et c’était logique car, lorsque les Diables gagnaient, c’était une bonne manière de faire entrer de l’argent. Mais la fédération, c’est bien plus que les Diables. Beaucoup de choses peuvent entrer en ligne de compte en matière de sponsoring. Nos équipes de jeunes obtiennent de bons résultats, il doit être possible de trouver un sponsor spécifique pour elles.  »

Bien qu’elle ait fait signer deux nouveaux sponsors principaux, c’est cette piste que l’Union Belge veut suivre à l’avenir.  » Nous voulons diversifier le sponsoring « , avance Nicolas Cornu, porte-parole de la fédération.  » Associer des sponsors à des événements offre l’avantage de ne pas être dépendant des résultats de l’équipe A mais également de permettre à une entreprise d’axer sa communication sur un projet spécifique. C’est ce que nous faisons avec Era pour les arbitres ou avec la Loterie Nationale, qui ne sponsorise que nos jeunes. Il doit également être possible de trouver un sponsor spécifique pour la Coupe de Belgique. Le gros problème, c’est qu’aucun de ces parraineurs ne doit être concurrent d’un sponsor principal « .

2. séparer la Ligue Pro de l’UB

Dejonghe estime qu’il y a moyen d’aller plus loin encore.  » Il faut séparer clairement l’équipe nationale du championnat. Pour la plupart des gens, la fédération et la Ligue Pro, c’est pareil. C’est logique puisque, lorsque quelqu’un de la Ligue est interviewé à la télévision, cela se passe toujours dans le bâtiment fédéral. En Angleterre, la Premier League est tout à fait détachée de l’équipe nationale. La diversification du sponsoring telle que la fédération la présente est une réalité depuis longtemps dans d’autres pays. Nous avons toujours une guerre de retard « .

Par Jan-Pieter De Vlieger

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