Devenir buteur

Crochetto a une bonne connaissance de lui-même, du foot carolo et belge.

Que le spectacle commence ! Quand Grégory Christ (25 ans en octobre) est sur le terrain, on peut s’attendre à des assists de derrière les fagots et des enchaînements de crochets. Gauche, droite, aucune différence pour ce joueur au physique de jockey (1,74 m, 70 kg) qui a déjà affolé une flopée de défenseurs adverses depuis son arrivée à Charleroi, lors de l’été 2004. Nous l’avons soumis à un examen oral sur notre football et l’histoire du Sporting : le petit Français s’en tire plutôt bien….

On va commencer calmement. Qui est le meilleur buteur de l’histoire du Sporting en D1 ?

Grégory Christ : Dante Brogno, bien sûr.

Très bien. Il a aussi été le dernier grand dribbleur du club avant votre arrivée.

Ça fait plaisir qu’on me compare à Brogno. Je ne l’ai pas connu comme joueur, j’ai seulement vu quelques extraits de cassettes de ses matches mais c’est une figure emblématique du club et ça me flatte qu’on me trouve des points communs avec lui.

Jacky Mathijssen vous a régulièrement reproché d’abuser de vos beaux crochets.

Oui, mais j’ai changé. Depuis deux ans, j’en fais beaucoup moins. J’ai simplifié mon jeu, je m’efforce d’être moins spectaculaire pour devenir plus efficace. C’est tout bénéfice pour moi et pour l’équipe. J’ai compris que le foot moderne se jouait de plus en plus en une, deux, voire trois touches de balle. Je ne suis pas un dribbleur buteur. Un Cristiano Ronaldo arrive à faire la différence en dribblant jusqu’au but. Moi, je n’y parviens pas, alors je me concentre désormais sur une autre arme : mes passes décisives. J’ai l’instinct qui me permet de faire la bonne dernière passe au bon moment. C’est comme ça que je fais la différence, pas en enchaînant les crochets.

Question suivante : qui est Gerrit Laverge ?

Qui ça ? Jamais entendu parler. Un ancien joueur du Sporting ?

C’est l’entraîneur de Deinze.

Deinze ? C’est quoi, ce club ?

Votre prochain adversaire en Coupe de Belgique.

Ah bon ? Le tirage a déjà eu lieu ?

Oui, hier ! Et Deinze est une équipe de D2.

C’est dommage, on aurait bien voulu tomber sur l’Olympic… Un adversaire de D2, ça ne nous rappelle pas de bons souvenirs. L’année dernière, Hamme nous a éliminés. Nous avions commis une grosse erreur ce soir-là : nous avions voulu jouer à la baballe, en oubliant d’être efficaces. En Coupe, il faut jouer encore plus simple qu’en championnat parce qu’on n’a pas l’occasion de se racheter une semaine plus tard en cas de faux pas. Les joueurs de Hamme nous avaient abordés sans complexes et ils avaient une bonne petite équipe. Nous n’avions pas été bons dans nos têtes et ça nous avait coûté cher.

Vous êtes obligés de gagner la Coupe !

Ben oui, les objectifs du président sont clairs : le Sporting doit avoir un trophée au bout de la saison.

Vous pouvez aussi gagner le championnat, mais ça va être dur.

Rien n’est perdu, ça vient seulement de commencer et nous sommes bien classés.

Vous pensez que ce groupe a le potentiel pour être champion ?

Quand nous tirons tous sur la même corde, nous pouvons être très forts. Il faudra que tout le monde le comprenne, dans les petits matches comme dans les affiches. C’est bien parti : nous sommes allés gagner à Saint-Trond, qui perd rarement sur son terrain.

Bof… Saint-Trond est nul cette saison : 5 matches, pas un seul point.

Oui mais bon… Contre Malines et Mons, nous avons gagné sans bien jouer. C’est rassurant parce que ça veut dire que le jour où nous commencerons à être vraiment bons, nous ferons très mal. Je ne dis pas que nous avons le niveau du Real quand tout le monde est à 100 % mais il y a un beau potentiel dans ce noyau, c’est sûr. On y verra déjà plus clair après les matches qui s’annoncent contre Bruges et Anderlecht. Ces deux-là veulent être champions, comme notre président : ce seront de bons tests.

Vous avez 5 points de retard sur le leader après 5 journées : ça fait 34 points dans la vue en fin de saison…

(Il rigole). Le Standard ne va pas gagner tous ses matches. Il vient de donner une bonne gifle à tous ses concurrents pour le titre mais rien n’est fait, évidemment.

Nouvelle question : qui est le plus petit joueur du noyau de Charleroi ?

Rémi Sergio.

Exact. Vous n’êtes pas grand non plus : plus un avantage qu’un inconvénient ?

Un inconvénient, c’est sûr. On peut être très grand et adroit de ses pieds, comme Jan Koller. Par contre, un petit ne peut pas être bon dans le jeu aérien. Il m’arrive de prendre des ballons de la tête mais ça reste rare. Je n’ai jamais marqué de la tête, même pas chez les jeunes. Autrefois, j’évitais même d’aller au duel. Mais maintenant, on m’y oblige. J’ai déjà prouvé que cela ne me faisait pas peur : dans le match amical de cet été à Bucarest, j’y suis allé franchement, un adversaire m’a donné un coup de coude et je m’en suis sorti avec 9 points de suture sur le crâne.

Question suivante : quel est le premier club français dans lequel Stéphane Pauwels a travaillé ?

Metz.

Non.

Lille, alors.

Oui. On vous y a cité quand vous étiez déjà au Sporting.

Ils sont venus me voir, mais avant d’engager un joueur, un club pareil le visionne dans une dizaine ou une quinzaine de matches et il faut être bon chaque fois. Comme j’alternais les très hauts et les très bas, je n’ai pas été retenu par Lille. D’autres clubs français se sont intéressés à moi : Sochaux, Lens,… Mais ce ne fut pas très concret non plus.

Vous rêvez d’un retour en France par la grande porte ?

Evidemment. Je suis Français et ambitieux, donc la Ligue 1 m’attire forcément. J’ai déjà goûté à la Ligue 2 avec Beauvais : une expérience exceptionnelle. Nous avions terminé à la cinquième place alors que c’était un tout petit club. Nous avons même lutté un moment pour la montée. Je n’ai pas encore 25 ans : tout reste donc possible pour moi.

Estimez-vous que vous avez le niveau pour la Ligue 1 ?

Si je dis que j’ai le niveau, ça paraîtra présomptueux. Mais je refuse de dire que je ne l’ai pas…

On passe à une autre question : quel footballeur belge a failli mourir sur un terrain la veille du crash de Lady Di ?

Je dois connaître, si vous me posez cette question-là. A tout hasard : Jacky Mathijssen ?

Oui. Il revient à Charleroi dans quelques jours avec Bruges. Quel accueil va-t-il recevoir ?

Je suis sûr que les supporters vont lui faire un accueil triomphal. Ils avaient une complicité incroyable avec lui. De notre côté, nous serons contents de le revoir mais surtout contents de le battre ! Il va mettre toute la gomme pour motiver ses joueurs à fond la caisse. C’est un compétiteur et il supporterait mal de perdre à Charleroi.

Parle-t-on encore de lui dans le vestiaire ?

Non. C’était une belle histoire mais la page est tournée.

A quelle place le Sporting a-t-il terminé dans le classement des assistances, la saison passée ?

Cinquième.

Tout à fait. Mais pourquoi les gens ne se déplacent-ils pas massivement depuis le début de cette saison ? Il n’y avait que 10.000 personnes pour le derby contre Mons alors que c’est un match qui attire généralement la toute grosse foule.

C’est difficile à comprendre. Les gens attendent peut-être que ce club soit très bon pendant plusieurs saisons d’affilée.

Comment avez-vous vécu les incidents entre le kop et Izzet Akgül, lors de la première journée ?

Très mal parce qu’Izzet est un vrai pote. Mais bon, je ne comprends pas qu’on arrête un match pour quelques insultes.

Qui a été élu Joueur du Siècle du Sporting ?

Aucune idée.

Georget Bertoncello. Il avait une patte gauche fantastique mais pas de pied droit. Ce n’est pas votre cas : on a parfois du mal à savoir si vous êtes gaucher ou droitier.

Dès mon plus jeune âge, je me suis dit : -Je suis droitier, OK, donc je vais travailler surtout le gauche. Cela me paraissait logique de chercher à améliorer mon mauvais pied. Le fait que mes deux idoles étaient des gauchers a aussi joué : Hristo Stoichkov et Diego Maradona. J’ai toujours eu plus de plaisir à regarder jouer des gauchers que des droitiers parce que je les trouve plus élégants. Je ne regrette pas d’avoir entraîné mon gauche pendant des heures et des heures car dans le foot moderne, avoir deux bons pieds est un atout important. Aujourd’hui, je me considère toujours comme un droitier mais je sais faire beaucoup de choses du gauche aussi, dont les crochets et les passes longues.

Autre question quiz : quel joueur belge est parti cet été dans le championnat d’Italie ?

Oh, facile : Anthony Vanden Borre.

Vous savez pourquoi je vous parle de lui ?

Oui, je crois. On avait eu un petit accrochage dans le Charleroi-Anderlecht du début de saison dernière. Mais Vanden Borre est un gars que j’apprécie et un très bon footballeur. Il y a un vrai respect mutuel entre nous. Mais il y avait un esprit un peu guerrier dans ce match, et dans des cas pareils, on peut déraper. Vanden Borre a poussé mon pote Fabien Camus, ça m’a choqué. Je ne supporte pas qu’on s’en prenne à mes copains. Et c’est pour ça que j’ai eu des mots peut-être un peu durs pour Vanden Borre.

 » Je b… ta mère « , c’est très dur !

J’ai dit ça, moi ? Jamais. Je vous le promets.

Que lui avez-vous dit, alors ?

Je ne sais plus exactement mais rien qui concernait sa mère. Qui a dit que je lui avais lâché un truc pareil ?

Des gens d’Anderlecht. Vous avez l’impression d’être un autre homme dès que vous montez sur un terrain ?

Certainement. Quand il y a quelque chose qui ne me plaît pas, comme une faute non sanctionnée par l’arbitre ou un coup de sifflet non justifié, je peux sortir de mes gonds, devenir carrément un peu fou.

Combien de matches (partiels ou entiers) avez-vous disputés en championnat la saison dernière ?

Pas énormément de matches entiers. J’étais le plus souvent le banc au premier tour, et au deuxième, j’ai souvent commencé mais je suis régulièrement sorti à quelques minutes de la fin. Je dirais 28.

Non : 30.

Tout ça ? Waouw !

Jusqu’au recul de Majid Oulmers au back gauche, en janvier, vous étiez souvent la cinquième roue de la charrette de l’entrejeu. Il n’y avait que quatre places : pas de bol pour vous !

J’ai mal vécu cette période. Le foot est avant tout un jeu, un plaisir, et quand on est sur le banc, on ne s’amuse évidemment pas. Chaque fois que Mathijssen m’annonçait que je serais réserviste pour le match suivant, ça passait mal. Espérer qu’on va commencer puis apprendre qu’on n’est finalement que réserviste, c’est ce qu’il y a de plus dur pour un footballeur. Il faut savoir prendre sur soi, relativiser, penser à l’équipe, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. J’avais beau essayer de me convaincre que le coach devait avoir de bonnes raisons de faire ces choix-là, que les titulaires étaient sans doute plus forts que moi, mais je ramais.

Votre avis sur le recul d’Oulmers au back ?

En tant qu’entraîneur, c’est une décision que je n’aurais jamais osé prendre. Je n’y aurais même jamais pensé. Majid est un vrai milieu offensif de formation. C’est carrément le joueur le plus talentueux du groupe. Il pourrait être brillant à tous les postes de champ. Il fait des matches de fou au back gauche. Et regardez les statistiques : depuis janvier, il a joué 15 matches à cette place-là, le Sporting en a gagné 11 et a fait 4 nuls ! C’est notre porte-bonheur, on ne perd jamais quand il joue derrière. Cette décision de Mathijssen a aussi été du bonus pour moi, vu que ça m’a permis de revenir dans l’équipe de base. Mais il n’est pas normal que je doive attendre des trucs pareils pour retrouver ma place. Je dois être assez bon pour m’imposer dans la ligne médiane, quels que soient mes concurrents. Je suis conscient de mes qualités et je sais que je peux y arriver. Je pense aussi souvent à Majid, qui ne doit pas être hyper heureux dans son nouveau rôle. Il s’y sent bridé.

Le nouvel entraîneur reproduit l’expérience depuis la troisième journée. Il a essayé autre chose au back pour les deux premiers matches mais cela n’a pas été concluant. Vous avez ensuite enchaîné 3 victoires : on peut donc s’attendre à ce qu’Oulmers continue à l’arrière gauche, et donc votre place dans le milieu n’est pas menacée !

Ouais, c’est vrai, mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir une pensée pour mon pote qui ne joue pas à la place qu’il aime. Je profite de la redistribution des rôles, l’équipe aussi, mais il y a un perdant dans l’histoire.

Question suivante : dans quel club français Grégory Dufer a-t-il évolué ?

A Caen, bien sûr.

Le Sporting n’a plus fait le forcing cet été pour le faire revenir. Idem pour Walter Baseggio, dont votre entraîneur a même dit qu’il n’en avait pas besoin parce qu’il avait déjà assez de talent dans son entrejeu. Cette ligne médiane est-elle vraiment la meilleure de Belgique, comme on l’a parfois dit la saison dernière ?

Il y a du talent là-dedans. De là à dire que c’est le meilleur entrejeu du pays, il ne faut quand même pas exagérer. Ce serait en tout cas un peu prétentieux si je l’affirmais moi-même.

Cet entrejeu a des qualités techniques folles, mais y a-t-il d’autres explications à son très bon niveau ?

L’amitié, la convivialité, le respect mutuel. Nous nous entendons aussi bien dans la vie que sur le terrain. Cet entrejeu, c’est un quatuor de bons potes.

Quels autres clubs de D1 ont un entrejeu bien au-dessus de la moyenne ?

Celui du Standard n’est pas mal du tout. Marouane Fellaini travaille et marque. Axel Witsel éclate complètement. Steven Defour continue sur sa lancée. Et Salim Toama est une vraie découverte. C’est difficile de comparer le milieu du Standard et celui de Charleroi. Je trouve que j’ai pas mal de points communs avec Defour, mais pour le reste, je vois surtout des différences. Fellaini est par exemple beaucoup plus offensif que Cristian Leiva, qui est obligé de se limiter presque exclusivement à un boulot défensif vu qu’il a autour de lui trois autres médians (Fabien Camus, Tim Smolders et moi) qui pensent toujours vers l’avant, en plus d’Oulmers qui continue à rechercher le but adverse malgré son recul au back. Avoir un gars comme Leiva dans notre ligne médiane est une vraie obligation pour nous, pour l’équilibre de toute l’équipe.

Dernière question : qui est actuellement en tête du classement des assists ?

Christophe Grégoire.

Non, c’est Salim Toama. Il en a donné 4 lors des 5 premières journées.

Moi, j’en suis à 3 en 350 minutes de jeu, soit l’équivalent de moins de 4 matches complets. C’est bien aussi, hein !

Les assists, c’est votre marque de fabrique. Lors de votre dernière saison au Racing de Paris, juste avant de venir en Belgique, vous en aviez donné 17 !

Faire marquer les potes, j’adore. Mais si je veux partir dans un plus grand club, il faudra que je marque plus car on regarde d’abord ceux qui mettent des ballons au fond. Un joueur réputé offensif qui trouve peu le chemin du goal a peu de chances de frapper les esprits des recruteurs. Ils s’intéressent beaucoup aux stats et les miennes en termes de buts sont clairement insuffisantes.

Vous avez joué 93 matches depuis votre arrivée à Charleroi : 18 assists et 5 buts. C’est vrai que vous marquez très peu : comment l’expliquez-vous ?

Seulement 5 buts ? Pfffttt… C’est grave, je pensais que j’en avais au moins 6 ou 7. L’explication, c’est que je ne tente pas suffisamment ma chance, tout simplement. Peut-être par manque de confiance en moi. Le coach m’encourage à essayer plus souvent, il me dit que j’ai une frappe dangereuse, mais je n’arrive toujours pas à mettre tout ça en pratique.

Camus et Smolders osent et marquent : avez-vous moins de culot ?

Camus est conscient de ses qualités de frappeur et il n’a pas peur d’essayer, c’est vrai. Smolders a l’art de se placer au bon endroit, au bon moment. Il faut que je m’inspire de ce qu’ils font.

18 assists en 93 matches, c’est bien, mais c’est toujours nettement moins que votre moyenne au Racing de Paris…

Oui, mais la différence, c’est que je jouais en CFA, donc en quatrième division, avec Paris. Alors que Charleroi, c’est quand même la D1. (Il sourit). Je suis fier de mes chiffres en Belgique. C’est fini ? Pas mal mon quiz, hein…

par pierre danvoye – photos : reporters / mossiat

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