Deux têtes et deux une-deux !

Mercredi dernier, j’ai suivi à la télé, avec mon gamin qui n’en est plus un, le Standard-Malines de Coupe de Belgique. Laquelle s’appelle Cofidis Cup, ça je le sais, mais je me rends compte en écrivant que j’ignore ce qu’est Cofidis : une banque, une fabrique de pneus de vélo, une chaîne d’alimentation ? Mystère, et tant mieux si ça le reste : j’ai comme l’impression fière d’être vacciné de pub en méconnaissant cela… D’accord, j’avoue savoir par contre ce qu’est la Ligue Jupiler, je suis de ce côté moins vacciné et les supporters savent pourquoi : ce qui ne m’empêche pas de trouver navrant que le sport n°1 fricote chez nous, officiellement et dans l’allégresse générale, avec un bazar qui peut rendre bitu.

Bon. Donc, le gamin revenu chez son vieux allume la télé, mais je coupe le son comme souvent et je mets dans mon lecteur le nouveau CD de Bernard Lavilliers. Le fils râle, il veut du commentaire, moi pas, je suis chez moi et je suis le chef, je tiens bon. Vers la demi-heure, sur un centre venu de la droite, Mémé Tchité place son heading dans les nuages, et je commente le loupé en disant :  » Faut croire qu’il n’a pas de tête gauche !  » Ma progéniture me regarde apitoyée, tout dans son regard dit que je perds la boule :  » Papa, je te rappelle que le footballeur, effectivement doté de deux pieds, et même de deux yeux, je te le concède, est cependant monocéphale…  »

La mi-temps s’est achevée sur mon explication :  » Quand on veut frapper du front et vers le but une balle venue de côté « , ai-je argumenté,  » faut forcément faire pivoter les muscles du cou. Et selon que tu es gaucher ou droitier, tu pivotes plus naturellement d’un côté, tu demeures plus raide de l’autre. Seul l’entraînement te permettra d’avoir deux têtes.  » J’avais l’impression de parachever sa formation théorique, mais la moue qu’il m’a faite restait dubitative :  » En tout cas, en seconde mi-temps, tu mets le son ou je me tire. On ne sait toujours pas qui est ce gars devant la défense aux côtés d’ Arnor Angeli, c’est énervant…  »

J’ai capitulé. Rodrigo Beenkens et Marc Wilmots ont remplacé Nanar le Stéphanois. Le néophyte rouche s’appelait Henry Eninful, enchanté, bienvenue en gare de triage, vous n’êtes jamais que le 30e aligné de la saison ! Vint le moment d’une action Tchité-Carcela-Tchité-Carcela pour pénétrer le rectangle malinois. En commentant ce mouvement sophistiqué louable (qui rappelait le Barça, mais comme un tracteur rappelle une Formule 1), Willie s’emmêla un peu les pinceaux dans la bouche en parlant de deux doubles une-deux : pas grave, ce fut même bienvenu vu que le match s’enlisait, ça nous a permis de l’achever en polémiquant !

Car j’ai d’abord dit que ce n’était même pas un double une-deux, et mon rejeton a dit que si ! J’ai contesté sur base arithmétique primaire : si UN une-deux consistait en deux passes, DEUX une-deux nécessitaient fatalement quatre passes ! Il a ricané, c’est un scientifique : en argumentant que, quand Mehdi Carcela touche une première fois le ballon venu de Tchité, il ponctue le premier une-deux EN MÊME TEMPS qu’il en amorce un second ! Et donc, un simple une-deux fait deux passes, un double une-deux fait trois passes, un triple une-deux fait quatre passes, et ainsi de suite sauf que ça n’arrive jamais. J’ai râlé en silence en méditant sa démonstration, je crois bien qu’elle était exacte…

Réginal Goreux étant entré au jeu, Carcela jouait alors plus haut et plus axial. Pour me sortir de mon mutisme, le gamin m’a demandé si je trouvais Mehdi meilleur en dix ou en neuf et demi. J’ai répondu blasé que c’était de la couillonnade de jargon à la con, et qu’un dix n’était jamais qu’un neuf et demi qui n’arrivait pas à planter lui-même des buts.  » T’as raison, Pa ! « , qu’il a rigolé…

PAR BERNARD JEUNEJEAN

Mémé Tchité place son heading dans les nuages. Faut croire qu’il n’a pas de tête gauche !

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