Deux sexagénaires

Bernard Jeunejean

Nouvelles suspicions, récemment, concernant Lance Armstrong : et demain, c’est couru d’avance, d’autres suspicions à propos de X, Y ou Z… Depuis le temps que l’histoire de la compète à bicyclette est liée à l’histoire du dopage, depuis le temps que le cyclisme est hélas emblématique du sport dopé, il devrait s’avérer impossible d’encore s’enthousiasmer sans réserve. Tous les amoureux de la petite reine, même les plus gagas d’entre les benêts, devraient être incapables d’accueillir les plus grandes performances sans un minimum de circonspection, sans un irrépressible petit coup de blues : car tout est doute dans l’univers des victoires à vélo, au point que l’exaltation devrait y être concomitante de la tristesse, inséparable d’elle…

Eh bien non ! L’ homo supporterus ne fonctionne pas comme cela : quand la victoire est belle, tout est beau pour lui, tout redevient pur comme un peloton de colombes ! Ainsi chez nous (ce n’est que l’exemple du moment), la victoire de Tom Boonen a été accueillie dans un océan d’innocence vélocipédique retrouvée : neuf ans après Johan Museeuw(tiens, Museeuw…), enfin un Belge Arc-en-ciel ! Alleluia België ! Hosanna Belgique ! Proficiat Belgium !

Via cette popularité, immense et intacte, de la compétition cycliste, j’en arrive peu à peu à une conviction chagrine : à l’instant même de la victoire, nous tous, spectateurs sportifs, n’en avons finalement pas grand-chose à branler de l’intégrité physique du vainqueur, pourvu que ce vainqueur nous excite et nous agrée… Et quand il nous arrive de prendre du recul, le constat est pénible à vivre autant qu’une malformation de naissance, mais il s’impose : les stars du sport nous fourguent du bonheur oculaire, mais aussi une relation houleuse à l’éthique, une relation trouble à la santé…

Preuve par moi-même que tout est trouble : j’ai grandi dans le culte d’ Eddy Merckx, et n’ai jamais pu depuis, par rapport à lui, virer ma cuti ! Eddy était trop excitant quand il bouffait si proprement tout son monde y compris les Français, c’était le cannibalisme au niveau de l’Art ! Je confesse, ça me plaisait, comme me plut ensuite l’homme descendu de selle qu’il était devenu : et en juin dernier, j’ai vécu plaisamment le (fort) grand ramdam ertébéen accueillant Eddy pour fêter ses 60 ans. Et ça ne chamboulerait strictement rien ni à mon estime, ni à mon admiration, si l’on me menaçait demain d’analyser, vu qu’ils furent jadis congelés ( hé, hé !) tous les pipis d’Eddy voici trois décennies…

Je saute sur un second sexagénaire sportif qui fut mon idole, et vient lui aussi d’être fêté avec ramdam : le mois dernier, toute l’Allemagne, au moins de l’Ouest, a commémoré la soixantaine de Franz Beckenbauer ! Même Arte s’est fendu de deux documentaires au sein d’une soirée spéciale Kaiser : filmé dans son fauteuil, celui qu’on baptisa aussi Libero de charme, donna durant plus d’une heure, son avis sur l’amour, le pape, la mort, le Bayern, l’éducation, le communisme, Dieu, Gerd Müller, et autres grands sujets contemporains sur lesquels une autorité intellectuelle telle que Franz a forcément un avis autorisé ! Deux de ses profondes réflexions m’ont marqué.

La première lorsqu’il a dit qu’en finale du Mondial 74, sur le penalty accordé aux Hollandais, Johan Cruijff avait bien joué le coup. Et trois minutes plus tard dans le reportage, c’était au tour de Cruijff d’affirmer que le penalty ensuite accordé aux Allemands relevait d’une simulation. Inouï ! Donc, 30 ans après, à tête reposée, et en ayant revu cent fois les mêmes images, deux des plus célébrissimes spécialistes du foot continuent de camper sur des positions divergentes quant au règlement applicable alors : le foot est peut-être un peu moins shooté que le cyclisme, mais il est tordu/bordélique depuis l’Antiquité !

Beckenbauer a aussi révélé qu’il s’était planqué au libero parce qu’il avait de tout petits poumons ! En plus, (c’est lui qui le dit), sa passe longue de l’extérieur du pied droit, unique, inégalée, élégante et courbe (ça, c’est moi qui commente), il affirme l’avoir bêtement développée parce qu’il marchait comme un canard, et que cela s’était avéré plus facile que d’utiliser le pied gauche ! C’est fou, ça ! Cela casse un mythe !

Presque comme si Eddy avouait aujourd’hui qu’il est redevable de toute sa classe pédaleuse d’hier, toute sa technique, et tout son palmarès, à un perpétuel furoncle mal placé !l

bernard jeunejean

BECKENBAUER A DéVELOPPé SA PASSE DE L’EXTéRIEUR DU DROIT PARCE QU’IL MARCHAIT COMME UN CANARD

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