Deux mois au top

Gare à l’exploit si le parcours lui convient et s’il est en rythme. A 36 ans, le triple champion du monde n’est pas mort!

Entendu à la télévision: « Mario De Clercq réalise peut-être la saison de trop ». Le champion du monde de cyclocross digère mal cette remarque. « Mais peut-être ai-je besoin d’un stimulant de ce genre pour élever mon niveau », admet-il.

« Ne serait-ce pas merveilleux s’il pouvait effectuer ses adieux avec un sacre mondial à Monopoli, début février 2003 », nous confie Patricia, Madame De Clercq. Mario lui-même ne fixe aucune date limite à sa carrière: « Je continue aussi longtemps que j’en ai envie ».

éa ne va pas comme ça devrait, pour le moment. Pourquoi?

Mario De Clercq : Il en a toujours été ainsi ces dernières années. En début de saison, je dois m’incliner face aux plus jeunes, qui disposent de plus d’explosivité. Chaque année de plus implique une perte de vitesse. Mais au fil de la saison, les jeunes perdent aussi leur tranchant. La fatigue pèse alors que je trouve mon rythme.

Vous ne vous faites donc aucun souci?

Non, ce n’est pas la peine. Je sais qu’un jour, je ne serai plus en mesure de gagner. J’ignore quand ce moment viendra: maintenant, l’année prochaine, dans deux saisons…

Un champion du monde doit se montrer. Vous l’avez toujours clamé.

Oui mais je comprends aussi qu’à mon, âge, je dois choisir mes moments. Je le ferai. Je serais stupide de démarrer la saison en force et de montrer mon maillot chaque semaine pour m’écrouler début décembre. Je sais ce dont mon corps est encore capable: il peut tenir deux mois par saison au plus haut niveau.

Vous êtes encore en mesure d’effectuer des adieux en beauté?

Certainement. On ne peut plus parler d’adieux en beauté quand on n’émarge plus au top-dix mondial mais je n’attendrai pas cet instant. A l’entraînement comme dans les courses, je sens ce dont je reste capable. Je suis convaincu que le moment d’abandonner le cyclisme n’est pas encore venu.

D’aucuns murmurent que vous réalisez peut-être la saison de trop. Qu’en pensez-vous?

Une seule personne l’a dit: un journaliste de VTM. Certaines personnes abusent de leur pouvoir pour jouer les oracles. Ce qu’il a dit m’a vraiment fait tiquer. J’ai terminé 19e de ce fameux cross mais quand on ne sait pas pourquoi -en fait, je suis tombé malade après la course du Koppenberg-, on ne doit pas raconter que j’effectue la saison de trop.

En septembre, vous avez même rempilé jusqu’en février 2004. N’avez-vous jamais douté de la justesse de votre décision?

Non car j’ai conclu un accord avec la direction et les sponsors, afin d’arrêter quand je le veux.

Jusqu’à présent, vous avez gagné deux courses cette saison, dont Berlin. C’est la quatrième fois que vous triomphez dans la capitale allemande. Qu’a cette course de particulier pour vous?

J’aime les surfaces dures et les circuits vallonnés, comme à Berlin. Je suis difficile à battre sur un parcours qui me convient. J’ai remporté trois des cinq derniers championnats du monde car ces tracés étaient taillés sur mesure pour moi.Le parcours de Monopoli

Faut-il compter avec vous à Monopoli, lors du prochain Mondial?

Ce parcours me convient à 100%.

Donc…

Donc, nous verrons bien!

Vous y pensez déjà?

Le troisième titre était une obsession. Un quatrième l’est nettement moins mais pourquoi l’ai-je quand même en tête? Justement parce que le parcours me plaît. Si je continue à courir, c’est pour être champion du monde une fois encore. Si j’ai l’opportunité de devenir champion de Belgique, je la saisirai mais ça n’a pas la même aura. En plus, il est tout aussi difficile de devenir champion de Belgique que champion du monde. Regardez le Mondial de Zolder, au début de l’année: il y avait trois Belges sur le podium.

En effet, à part Richard Groenendaal, le cyclocross est une affaire de Flamands. Ce fait n’entame-t-il pas la popularité de la discipline?

En Flandre, la discipline n’a jamais été aussi importante. Chaque week-end, quelque 10.000 personnes assistent à un cyclocross. Malheureusement, la reconnaissance internationale fait défaut. Je préférerais qu’il en soit autrement mais c’est pareil en motocross, avec Smets, Everts et Bervoets, non ?

L’UCI a établi un ordre de départ en cyclocross: chaque pays ne peut aligner qu’un coureur au premier rang. L’affaire fait beaucoup de bruit. Qu’en pensez-vous?

C’est un scandale car ça augmente aussi les risques de chutes. Un Espagnol ou un Américain qui se retrouve sur la première ligne n’a pas assez d’expérience ni d’habileté et il constitue un danger pour les jeunes qui peuvent également démarrer en première ligne, tandis que ceux qui sont derrière doivent prendre plus de risques pour remonter. éa n’a aucun sens. éa ne changera pratiquement rien au résultat final. En tout cas, ça n’entamera pas la suprématie belge.

Comme d’autres saisons en octobre et en novembre, Sven Nijs semble trop fort pour ses concurrents. Pourquoi sa domination fond-elle au moment des championnats, au point même qu’il lui arrive d’être trop court?

Selon moi, c’est dû à son biorythme. Chaque fleur a sa période de floraison. Je suis convaincu qu’un jour, Sven Nijs parviendra à tenir toute une saison. La plupart des coureurs n’atteignent la plénitude de leurs moyens qu’à 30 ans.

Beaucoup de gens considèrent Nijs comme le coureur le plus talentueux. Ce n’est pas l’avis de Marc Janssens, qui estime qu’en fait, il ne vit que pour son sport. Qu’en pensez-vous?

Un sportif doué qui ne consent pas d’effort n’arrivera à rien. Parfois, une bonne dose de caractère vous permet de réaliser une plus belle carrière que le talent. Nijs vit à 200% pour son métier et c’est son principal atout. Si on ne prend en compte que le talent, Bart Wellens a peut-être plus de possibilités que Nijs mais ce n’est pas pour ça qu’il est ou deviendra un meilleur coureur.A-t-il dû choisir?

Votre carrière en cyclocross n’a commencé qu’en 1996. Vous avez été limogé par Lotto suite à votre abandon dans l’étape du Tour menant à La Plagne, une journée au cours de laquelle vous ne vous êtes pas vraiment donné à fond, à l’instar de Sammie Moreels, Herman Frison, Rudy Verdonck et Peter De Clercq. Dans une certaine mesure, cette affaire ne vous a-t-elle pas obligé à vous focaliser sur le cyclocross?

En avril, deux bons mois avant le Tour, je m’étais décidé à courir le championnat national de cyclocross d’Overijse, avec l’ambition de monter sur le podium. Je voulais combiner la route et le cross. Ce qui s’est passé à La Plagne a eu des conséquences claires sur la suite de ma carrière. Roger De Vlaeminck m’a poussé davantage encore dans cette direction et tout s’est précipité.

Vous avez déclaré, un jour: « Je vaux Peter Van Petegem ». Dans ces conditions, pourquoi n’avez-vous pas réussi votre carrière sur route?

Je ne dis pas que j’aurais gagné autant que Peter Van Petegem, qui compte notamment trois Circuits Het Volk et le Tour des Flandres à son palmarès, mais si j’avais su comment un sportif doit vivre pour son métier vers 24 ou 25 ans, je pense que j’aurais été plus loin sur la route. J’admets avoir été dilettante. Je manquais également d’assurance. On n’en acquiert qu’au fil des victoires, lorsqu’on voit que les autres s’inclinent devant vous, en se disant: il est quand même trop fort. C’est comme ça que ça marche, sur la route comme ailleurs.

Votre carrière en cyclocross est relativement courte mais elle vous a valu trois titres mondiaux, deux belges, une victoire finale en Coupe du Monde et diverses épreuves du Superprestige et de la Coupe du Monde. Ne regrettez-vous pas d’avoir tardé à faire le saut?

J’aurais dû combiner les deux beaucoup plus tôt mais chez Raas et Lotto on me payait pour rouler sur route et je n’avais pas assez de personnalité pour imposer ma volonté de courir des cyclocross en hiver. En plus, j’avais une famille, deux enfants, et je gagnais bien ma vie sur route. En fin de compte, c’est pour ça qu’on travaille. Après coup, je me dis que je suis passé à côté de beaucoup de choses…

Une autre de vos déclarations: « Tout bon cyclocrossman peut devenir un bon coureur sur route. L’inverse n’est pas vrai ». Pourquoi?

Un bon crossman possède suffisamment d’explosivité pour atteindre la vitesse requise sur route. Il faut beaucoup de caractère pour s’astreindre à des entraînements de 200 kilomètres, je dois le dire. Un bon coureur sur route a la vitesse requise mais pas l’habileté nécessaire en cross.

Vous avez rappelé que Roger De Vlaeminck vous a poussé vers le cyclocross. Quelle importance a-t-il eue pour vous?

Beaucoup, justement parce qu’il m’a fait prendre la décision de choisir le cross. Il m’a offert sa confiance et, fait non négligeable, il a su convaincre les sponsors. Je suis maintenant plus proche d’Eric De Vlaeminck, avec lequel j’organise mes entraînements au Kluisberg. J’écoute attentivement ses conseils.

On a raconté que vous aviez gagné Berlin, la saison passée, en coupant une partie du parcours. Est-ce typique de Mario De Clercq ?

Je suis resté sur le circuit. On avait fait un zigzag avec les rubans pour contourner un buisson mais on pouvait aussi passer à travers sans couper. L’année précédente, Groenendaal avait déjà essayé de me passer comme ça. Il n’était pas là, cette fois, mais je m’en suis souvenu. J’ai attendu le dernier tour pour utiliser le truc. C’est une question d’attention, pas de malhonnêteté. Beaucoup de coureurs s’échauffent sur le circuit sans le reconnaître. C’est quoi, une reconnaissance de parcours? Repérer les trous, une pierre, voir si la piste est plus praticable à gauche ou à droite. Il faut être attentif.Un tricheur ou un malin?

Votre concurrent Erwin Vervecken a également déclaré: « La différence entre Mario De Clercq et moi-même, c’est qu’il a nettement moins le sens des normes. Tout le monde a déjà eu des problèmes avec lui ». Votre réaction?

(Il réfléchit). Le Mario de la course n’est pas le Mario d’après. A vélo, je ne prête attention à personne. Le cyclocross est un sport individuel. Il faut être comme ça. Si on est trop brave, on n’arrive à rien.

Quand même, lorsqu’il y a du grabuge, vous n’êtes jamais très loin. Le dernier exemple en date est le dernier championnat de Belgique, à Coxyde. Vous auriez pu être disqualifié, non?

Je persiste et je signe: j’ai réalisé un sprint intelligent. Je n’ai pas gêné Vervecken, je l’ai coincé. Il y a une fameuse différence. Il devait passer de l’autre côté mais il ne l’a pas fait.

Votre « caractère capricieux » en course est-il dû au fait qu’au début de votre carrière en cyclocross, vous n’avez pas été accepté par vos collègues?

Quand même. J’ai dû me battre pour faire mon trou. En Belgique, il y a cinq coureurs qui gagnent bien leur vie. Je voulais en être et je devais donc prendre la place de quelqu’un. J’étais de trop. Ce n’est pas comme ça qu’on se fait des amis.

Vous avez travaillé comme mécanicien chargé de l’entretien dans une usine, pendant six ans. Est-ce là que vous avez puisé votre détermination, votre motivation, votre caractère? Les autres coureurs l’affirment en choeur: lâcher De Clercq est extrêmement difficile.

C’est en tout cas une des principales raisons de ma longévité sportive. Je sais ce que travailler veut dire: pour 1.125 euros par mois, je devais trimer 40 heures par semaine à l’usine. J’admire les gens qui font ça de 20 à 55 ans, voire plus longtemps encore.

Voir une pie le jour du cross porte malheur, en voir deux porte chance. Etes-vous toujours superstitieux?

Ceux qui le sont, sont également un peu croyants. Lorsque j’en ai le temps, il m’arrive d’aller à l’église. Je ne dis pas que je vais à la messe mais je vais à l’église (il rit). Je porte également une médaille. Il faut maintenir les habitudes qui vous font du bien.

Eric De Vlaeminck vous considère comme son successeur idéal au poste de sélectionneur. Y pensez-vous?

Eric De Vlaeminck a dit ça parce que nous avons la même vision du parcours, des cross et de la préparation sur route. Je ne sais pas ce qu’il en adviendra. La décision appartient à la Fédération. Rudy De Bie est actuellement sélectionneur… Nous verrons bien. Je suis sous contrat chez Palmans jusqu’en février 2004. Et combien de temps vais-je encore rouler? Peut-être deux ans, un an,voire deux mois. Il y a deux ans, je m’étais fixé une date limite: j’allais arrêter après Zolder. Je n’y suis pas parvenu. Alors, j’ai dit que je continuerais aussi longtemps que j’en aurais envie, sans plus me fixer de limite.

Avez-vous peur de traverser un passage à vide?

Non. Pas avec deux enfants. Je pourrai consacrer plus de temps à ma famille.

Votre fils Angelo joue au football mais s’intéresse aussi au cyclisme. C’est son avenir?

Je l’espère, tout comme lui. Mais je ne trouve pas qu’on doive obliger les jeunes de neuf ou dix ans à suivre des cours pour obtenir l’autorisation de courir des cyclocross.

Roel Van den Broeck

« Si je continue à rouler, c’est pour être encore une fois champion du monde »

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