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Deux lectures du jeu

Il fut un temps, heureusement révolu, où l’intelligentsia honnissait le sport de compétition, et le foot en particulier. Le champion olympique du genre s’appelait Jean-Marie-Brohm et a multiplié les bouquins culpabilisateurs, à deux doigts de faire se flinguer tout footeux curieux mais fragile ! Il est donc ravigotant, pour un déjà vieux comme moi, de constater que les choses ont changé du côté des bouquins qu’on dit pondus par des malins. Bien sûr qu’aujourd’hui, certains nous défoncent encore et n’ont pas toujours tort : le football n’est quand même pas l’activité la plus pure au monde ! Mais d’autres intellos couchent sur papier leur amour du foot, et ça fait du bien.

Daniel Cohn-Benditen est un (1) . La jeune star de mai 68 fut un gamin intensément footeux, et l’homme qu’il est devenu ne l’a jamais renié :  » Le foot, au fond, c’est de la gourmandise : on aime toute sa vie ce dont on s’est régalé enfant. (…) C’est la possibilité de mobiliser collectivement une émotion, pour quelqu’un, pour quelque chose.  » Et c’est passionnant de découvrir qu’un intellectuel dit de gauche, allemand autant que français, confesse un comportement irrationnel en matière de foot, tout comme un surprenant antigermanisme primaire : celui de Cohn-Bendit est né de l’admiration pour les Hongrois vaincus de 1954 (dont il n’a jamais que lu les exploits dans L’Équipe ! ), ancré par l’échec des Verts stéphanois face au Bayern des seventies, consacré par l’imposture de 1974 face aux Néerlandais, exacerbé par le scandale de Séville en 1982…

Dany-le-rouge (d’hier) n’échappe évidemment pas à l’analyse politique, stigmatisant le foot-business ( Paul Pogba gagne 50 fois ce que gagnait Michel Platini ! ) …mais tout en l’excusant parce qu’un artiste nous file un plaisir excluant à son endroit le jugement financier ! Il nous dit aussi que les ingrédients du hooliganisme se nomment bière, extrême droite …et testostérone mal maîtrisée. Il regrette condescendance et machisme entourant le foot féminin. Enfin, à chacun ses stéréotypes, et DCB a les siens qui ne sont pas les miens : il oppose un foot défensif évidemment de droite et aliénant (summum selon lui : Italie 1982,  » art de la violence  » ! ), et un foot offensif évidemment de gauche (Ajax, Brésil, Barça…). Il dit même une grosse connerie qui l’arrange, en affirmant d’ Axel Witsel qu’une fois qu’il s’est taillé en Chine,  » on ne l’a plus revu en équipe nationale  » ! N’empêche, c’est un bon bouquin, rempli d’amour du foot.

Eric Naulleau en est un autre (2). Éditeur et intello prisé par les télés françaises, Naulleau fut de longues années pratiquant amateur du dimanche, ce qu’il rappelle par une intro joliment écrite (« Le bruit si caractéristique des crampons sur le carrelage, madeleine sonore « ). S’ensuivent 11 chapitres pour décliner 11 grands matches qui ont marqué l’histoire de ce foot qui sait  » procurer 4 grands plaisirs : jouer, regarder, en parler, écrire.  » On pourrait en ajouter un 5e, lire, car Naulleau a beaucoup lu, son bouquin est aussi une mine de références livresques pour quiconque s’intéresse au foot écrit… Son parallèle amoureux est d’ailleurs séduisant, entre littérature et football : tous deux débuteraient au moment précis où ils se détachent de l’utilitaire, informer pour l’une, gagner pour l’autre.

Naulleau reste un polémiste et les 11 matches sont revisités dans leur contexte politique, mais moins qu’attendu : l’accent est plutôt mis sur l’aléatoire du foot, et la rondeur du ballon en est le symbole. Aléatoire coloré de magouilles, favoritisme, dopage : le foot en émerge avec bon nombre de vainqueurs… qui ne méritaient pas plus de l’être que leur vaincu du jour ! Lucidité qui ne fait pas de Naulleau un détracteur du ballon rond, mais un passionné : partant des mains coupables de Diego Maradona en 1986 ou de Thierry Henry en 2009, il débouche par exemple sur une analyse fine de la faute de main sifflable ou pas, ce qui ne manque pas d’actualité !

(1) Sous les crampons …la plage, R.Laffont, 2018

(2) Quand la coupe déborde, Stock, 2018

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