Deux frères

A la fin du mois dernier, en regardant se congratuler, à New Delhi, Hu Jintao et son hôte, Manmohan Singh, le Premier ministre indien, on ne pouvait s’empêcher de penser à Charles Quint confiant à propos de François Ier :  » Mon frère François et moi, nous nous entendons très bien : tous les deux nous voulons Venise !  »

Si cette citation a largement servi aux professeurs de sciences politiques dans les années 1970, il s’agissait alors d’ausculter les relations américano-soviétiques. Aujourd’hui, les deux géants en lice pour le leadership mondial sont l’Inde et la Chine : 2,4 milliards d’habitants à eux deux, presque 40 % de la population mondiale. Deux énormes machines lancées à pleine vitesse, deux taux de croissance parmi les plus élevés du monde : + 10 % pour Pékin, + 8 % pour New Delhi. Si la Chine est donnée gagnante de ce match du siècle, le dragon totalitaire contre la plus grande démocratie du monde, c’est d’abord parce qu’elle est partie la première ; en 1979, Deng Xiaoping donne le top départ de l’économie de marché :  » Qu’importe que le chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape des souris.  » L’Inde attendra douze ans de plus. Résultat, la Chine est déjà la 4e économie mondiale, l’Inde n’est que la 11e.

A chacun ses points forts. La Chine, grâce à une planification douloureuse, bénéficie d’infrastructures modernes, de ports géants, etc. L’Inde, moins bien organisée mais riche de capitalistes de choc, peut tabler sur sa population : elle sera la plus nombreuse et la plus jeune du monde d’ici à 2015, alors que la Chine, elle, sera vieille avant d’être riche. Les deux voisins paraissent complémentaires : la Chine est l’atelier du monde, mais l’Inde est son bureau, plus gros exportateur mondial avec l’Irlande de services informatiques.

Hélas ! cette division du travail semble condamnée. D’un côté comme de l’autre du Tibet, il faut trouver 15 millions d’emplois chaque année, et le high-tech indien n’occupe guère que 1 million de personnes. L’Inde va donc forcément concurrencer son voisin sur l’industrie :  » Tous deux s’engagent tête baissée dans l’automobile « , note le consultant Thierry Apoteker. Quant aux dizaines de milliers d’ingénieurs chinois formés chaque année, ils vont forcément monter en gamme et explorer le monde du soft. Clash donc à prévoir. Et sans doute la fin d’une belle amitié naissante. l

chronique sabine delanglade

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