« Deux bananes, c’est nul. Nous voulons la plantation »

Le phénomène des transferts de africains de Lokeren, c’est surtout la piste européenne d’Abidjan… A la découverte de Monsieur Raoul.

Patrice Zéré, Youla Souleymane, Bangoura Sambegou, Olufade Adekanmi, Coulibali Mamadou: tous connaissent Alfred Raoul. Il n’est pas leur manager mais leur conseiller et leur grand frère. Alfred Raoul insiste: il ne travaille pas pour son compte. Il facture tout à Abidjan, le club de Côte d’Ivoire avec lequel Lokeren travaille. Le tout dans la plus parfaite légalité, comme Lokeren et les différents consulats peuvent en témoigner. Il se décrit comme le catalysateur entre le Sporting Lokeren et le Satellite Football Club d’Abidjan.

Alfred Raoul était directeur commercial d’une société française qui vend des postes TV, Quadriga France. Il a découvert le football par l’intermédiaire de Patrice Zéré, avec lequel il était ami quand celui-ci jouait à Harelbeke. Raoul s’est occupé des finances de Zéré en Afrique. Raoul : « Ici, les joueurs africains sont au paradis mais ils ne savent pas comment placer leur argent ».

Raoul, qui vit à Paris, a donc fondé ce qu’il appelle « notre société ». Raoul: « Nous insistons pour qu’ils placent leur argent. Nous avons conseillé Youla quand il a acheté une maison à ses parents. Sambegou a également acheté une maison et Zéré a préféré des immeubles à appartements. Nous faisons vraiment quelque chose pour eux. Nous les mettons aussi en rapport avec un avocat car un bon joueur n’a pas besoin de manager. Il doit être bien entouré. Un Africain qui quitte son pays et qui ne connaît pas l’Europe découvre toutes ces merveilleuses choses. Si on ne canalise pas ses désirs… Mais un manager se contente de prendre 10%. Moi, si un joueur gagne un franc, je lui dis de placer la moitié sur un compte. S’il gagne 10 francs, il doit acheter une maison maintenant. Pas demain.

En tant que dirigeants de clubs africains, nous devons suivre nos joueurs. En fin de carrière, ils viennent nous trouver. S’ils ont les mains vides, leurs parents nous tapent sur les doigts. Car ils nous confient l’enfant pour l’Europe. Si Patrice Zéré achève sa carrière aujourd’hui, il peut rentrer en Afrique sans souci et Monsieur Raoul sera un grand Monsieur car il lui a trouvé un club européen et a assuré son avenir. Zéré aura une assise financière digne en Côte d’Ivoire. C’est notre mission.

Si vous demandez qui il est en Côte d’Ivoire, on vous expliquera où il habite. Il possède un immeuble et une maison. Je veux réaliser la même chose avec Sambegou, Youla, Olufade et ceux qui les suivront. Youla est déjà une grande vedette en Guinée et en Côte d’Ivoire. Après quelques mois à Anderlecht, il pouvait déjà offrir une maison à ses parents. Parce qu’il est bien conseillé. J’ai pris contact avec le Satellite Abidjan quand Youla y jouait. J’ai dit au président qu’au lieu de prendre 40 ou 60 millions, il devrait s’adjoindre un partenaire solide qui l’aide à devenir un club reconnu. Je l’ai mis en rapport avec Lokeren. Je me souviens avoir dit au président, monsieur Diabi Souleymane que cette collaboration pouvait lui fournir un deuxième Youla et rendre son club célèbre. J’avais raison puisqu’Olufade est le deuxième Youla ».

Raoul dit avoir présenté son projet à beaucoup de clubs. Seuls Lokeren et Willy Verhoost ont mordu à l’hameçon.

« Chapeau à Monsieur Verhoost. Au début, il était réservé mais j’ai pu le convaincre grâce à Youla. C’est moi qui lui ai présenté un projet au moment du transfert de Zéré. Il a compris ce que représentait l’Afrique et nous avons commencé à travailler ensemble. Il n’est pas le seul dirigeant à sillonner l’Afrique. Robert Raes, de Genk, le fait aussi. Il a ramené Zokora. Il y a des millions de joueurs et il y a de la place pour tous les clubs ».

Tout se passe-t-il vraiment comme Raoul souhaite le présenter? Il semble qu’Oroya, le club d’origine de Youla à Conakry, en Guinée, n’ait pas reçu l’argent dû pour son transfert. Raoul nie :  » René Taelman a aidé le Satellite Abidjan en y amenant Youla. Oroya n’avait rien demandé. Je m’occupe des transferts au sein du club. J’introduis une demande de certificat auprès de la fédération guinéenne. Pour moi, une fois le certificat international délivré, le joueur est qualifié. Youla a joué trois mois à Abidjan. Il a éclaté et le président du club m’a demandé de le transférer à Lokeren. Quand Youla a rejoint Anderlecht, Oroya s’est dit: -Ah, il doit y avoir de l’argent à prendre, il nous faut quelque chose. J’ai rencontré le ministre de la Jeunesse et du Sport à Conakry. Lui, la plus haute autorité en la matière, m’a dit: -Monsieur Raoul, pas de problème, Oroya aurait dû se manifester quand le joueur a rejoint Satellite. Oroya s’y est pris avec amateurisme.

Compte tenu du fait qu’en Afrique, on règle souvent les choses à… l’africaine, j’ai proposé au président d’Abidjan, Diabi Koko Souleymane, de faire un geste. Nous avons écrit à Oroya qu’il recevrait quelque chose dès que Youla nous rapporterait. Nous avons déjà envoyé un chargement de ballons et de vareuses. Une affaire guinéo-guinéenne. Nous n’avons aucune obligation mais… nous sommes en avance sur le nouveau règlement des transferts de la FIFA, qui protège les clubs formateurs. Nous proposons un accord même quand tout s’est déroulé selon les règles.

J’ai aidé la femme de Sambegou Bangoura à le rejoindre grâce au regroupement des familles. Je connais le consul de l’ambassade de Belgique en Côte d’Ivoire et il me connaît. Il sait que je ne me livre pas à la traite des Noirs. Il sait que si un joueur part, il rejoint vraiment un club et qu’il sera suivi. La preuve: une photo d’équipe de Lokeren est affichée au consulat ».

Qu’advient-il de l’argent que perçoit Satellite Abidjan pour ses joueurs? Raoul dit qu’il veut améliorer ses installations pour détrôner ASEC Abidjan, qui a dix ans d’avance sur Satellite. Valère Billen, devenu son entraîneur, doit l’y aider.

Raoul: « Nous avons besoin d’entraîneurs, de ballons, de matériel. Lokeren nous aide. Si nous devenons un grand club de notre championnat national, les joueurs se présenteront spontanément chez nous. Le Satellite Football Club d’Abidjan est la pièce maîtresse du système. Notre projet suivant est une école de formation. J’invite les clubs européens à nous aider car ils seront récompensés de leurs efforts. L’Afrique recèle des millions de joueurs qui ont autant de talent que George Weah ou Marcel Desailly. Mais il faut disposer d’une bonne organisation pour les préparer. L’objectif est d’amener les meilleurs Africains en Europe, pas de les fourguer par dizaines pour les retrouver au Delhaize après. Non, sortir un joueur par an suffit. Il ne faut pas plumer l’Afrique. Il y a des entraîneurs africains mais on a besoin d’un solide partenaire européen. C’est la clef du succès. Cette alchimie produit les meilleurs joueurs. Du monde. On ne se trompe pas en embauchant un professionnel comme Valère Billen. Il sait ce que jouer en Europe représente. On peut faire des miracles en Afrique avec un peu d’argent ».

Mais pas avec deux bananes, comme l’avait un jour déclaré Roger Lambrecht dans une interview… Monsieur Raoul : « Il faut cesser de dire, comme je l’entends sans arrêt, qu’un Africain est content quand on lui offre deux bananes. Je suis Africain mais si vous me donnez deux bananes, je serai déçu. Je ne les prendrai pas, je demanderai toute la plantation! De nos jours, deux bananes ne suffisent plus. Je ne sais pas dans quel contexte Roger Lambrecht a fait cette déclaration mais je travaille avec lui depuis deux ou trois ans et s’il était raciste, nous n’aurions pas collaboré aussi longtemps. Pensez-vous que moi, Monsieur Raoul, je me ferais complice d’une traite d’êtres humains? Qu’on nous laisse travailler et le football belge s’en portera bien. Avant l’arrivée d’Olufade, Lokeren ne tournait pas et le voilà en Intertoto. Tous les clubs belges ont leur place en Afrique. Celle-ci recèle beaucoup de joueurs de qualité qui pourraient aider énormément de clubs. La Côte d’Ivoire est le poumon de l’Afrique. Il faut une bonne organisation sur place. Nous l’avons. Au début, on disait que c’était du bluff, mais nous disposons de toute une organisation » .

Raoul de Groote

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