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Christophe Dessy, l’homme qui doit révéler les Witsel et Fellaini de Charleroi

En ramenant Christophe Dessy à ses premières amours carolos, Mehdi Bayat s’est offert un voyage dans le temps. Formateur réputé, baroudeur sans âge, l’homme derrière l’éclosion de toute une génération de Diables au Standard au début du siècle s’est aujourd’hui mis en tête de faire entrer le Sporting de Charleroi dans une nouvelle ère. Coûte que coûte. Quitte même à ce que Mehdi Bayat doive en passer par des séances de yoga.

Une maison en travaux. Et un architecte hyperactif. Qui dit s’endormir chaque soir « avec la valise à côté du lit ». L’expression d’un homme passionné, mais souvent de passage. Il y a neuf mois, au sortir d’une expérience de deux saisons à l’Olympique Lyonnais, Christophe Dessy décidait d’abandonner l’éclat de sa fonction dans l’un des meilleurs clubs formateurs au monde pour revenir en Belgique, cinq ans après son départ forcé du Standard de Liège. Plus précisément à Charleroi, et ce malgré sa réputation de club fossilisé et son école des jeunes sans relief.

À 55 ans, le Wavrien se satisfait désormais du défi immense qui consiste à faire du Sporting de Charleroi un club en phase avec ses aspirations nouvelles. Loin de « l’autre galaxie » découverte dans la foulée de Jean-MichelAulas du temps de son expérience lyonnaise, Christophe Dessy affirme pourtant plus que jamais « travailler en fonction des projets proposés, ne pas être carriériste. »

Homme d’influence assumé par contre, Dessy estimait n’en avoir jamais eu assez à Lyon, bien que sa double casquette de responsable de la préformation et du recrutement, laissait initialement présager le contraire. C’était visiblement sans compter sur les certitudes du septuple champion de France, qui contrairement au Standard de Liège dans une autre vie, n’avait pas attendu Christophe Dessy pour sortir des talents à la pelle.

« Lyon, c’était formidable, le sommet », traduit aujourd’hui Christophe Dessy dans l’intérieur fruste de son bureau carolo. « Là-bas, on fonctionne avec un budget de quasiment 650 millions d’euros. Quand tu sais que plus ou moins 10% sont consacrés à la formation et aux féminines, ça situe la grandeur du projet. »

TRANSDISCIPLINARITÉ, L’AJAX ET L’ÉTRANGER

Conscient qu’il n’aura jamais l’emprise souhaitée sur le fonctionnement de la formation de l’OL, Christophe Dessy se met à envisager la piste du regroupement familial après avoir vu capoter ses touches vers la deuxième division anglaise et un autre championnat plus exotique. C’est donc bien dans les allées du Mambourg qu’on retrouvera par hasard la trace de ce backpacker en training un après-midi du début du mois de mars dernier.

« Même s’il ne s’est pas éternisé, c’était quelqu’un de très attentif », se souvient néanmoins à l’époque un éducateur qui travaillait de concert avec « le Belge » entre août 2019 et le début de l’année 2021 à Lyon. « Son truc, c’était la transdisciplinarité. Avant de venir, il s’appuyait déjà beaucoup plus sur la motricité que sur la technicité. Il citait souvent ce qui se faisait à l’Ajax parmi ses référents. Et ce n’est qu’une palette de ce qu’il a amené ici. Après, on connaît l’exigence de nos métiers, on vit sur des strapontins. »

Christophe Dessy a beau dire que s’il n’avait pas quitté Nancy, son premier club, pour le Standard en 2004, il aurait peut-être réalisé toute sa carrière de formateur en Lorraine, on soupçonne notre homme de ne pas vraiment tenir en place. Il n’y a pas de mal à voir du pays. Christophe Dessy en a vu trois, divisant jusqu’ici sa carrière entre la France, la Tunisie et la Belgique, mais se refuse à croire que l’occasion ne lui sera pas encore donnée d’en voir d’autres, plus tard. « Je sais que je repartirai un jour à l’étranger », force-t-il d’ailleurs déjà en rêvant d’Espagne ou d’Angleterre. « C’est sûr et certain, mais ce ne sera pas pour tout de suite. Pour moi, on se forge à travers ses expériences. Ma curiosité, c’est l’intelligence en mouvement. Je ne dis pas que je suis intelligent, mais je suis quelqu’un de curieux. »

RELATION DISTENDUE ET PREMIÈRES PERCÉES

Christophe Dessy parle parfois comme un coach en développement personnel et ce n’est pas tout à fait surprenant. Dans les grandes lignes, c’est ce qu’il est devenu depuis 25 ans, après une modeste carrière de footballeur. Depuis, l’homme a pris du galon, gagné un accent français et vu fleurir ses premiers cheveux blancs.

Ça ne l’empêche pas d’encore se coltiner, à 55 ans, des entraînements matinaux avec les U10 dans le froid glacial de l’hiver naissant. « Je ne pense pas qu’on puisse former des joueurs derrière un ordinateur », plaide-t-il. « Ça passe par le terrain, toujours. » Ça passait déjà par là à ses débuts au Standard, en 2004. Quand l’Académie RobertLouis-Dreyfus n’était qu’un projet, mais que les terrains en schiste façon pétanque et brique pilée étaient une vérité à vous fâcher les chevilles et vous abîmer vos talents. De ce bourbier sortiront pourtant les noms bientôt prestigieux d’ AxelWitsel ou de MarouaneFellaini, des talents à l’émergence souvent attribuée à Dessy.

Ce qu’il qualifie 17 ans plus tard et par fausse modestie de « petites expériences » se transforme comme souvent dans la bouche de Mehdi Bayat en éloges soutenus. Celui-là le qualifiait de « pointure » à son arrivée, et reste convaincu aujourd’hui de l’apport de son nouveau directeur sportif de la formation. Impatient de rentabiliser le, puis les deux millions d’euros annuels, investi(s) dans le club, l’administrateur délégué du Sporting voyait au printemps dernier en Christophe Dessy un profil complémentaire à celui de son directeur général de l’école des jeunes, AlainDecuyper. Il ne s’est pas forcément trompé, mais on dit la relation entre les deux hommes pour le moins distendue.

Christophe Dessy:
Christophe Dessy: « Le Sporting a toujours eu de bons jeunes. Malheureusement, il ne les a jamais exploités. »© PHOTO BELGAIMAGE – VIRGINIE LEFOUR

Pour le savoir, il faudrait « prendre le tram ». Celui qu’on imagine ironiquement dans les coulisses carolos relier le bureau d’Alain Decuyper à celui de Christophe Dessy. On raconte une collaboration parfois compliquée entre deux hommes qui tireraient à la même corde, mais pas toujours dans le même sens. Dans son meilleur rôle, Mehdi Bayat tempère et rappelle que si Christophe Dessy est arrivé à Charleroi, c’est d’abord pour « épauler l’excellent travail de fond réalisé par Alain Decuyper depuis des années. »

Seulement neuf mois après son pot de bienvenue, difficile évidemment pour Dessy de s’attribuer seul les mérites de l’émergence récente de jeunes de l’école carolo en équipe première. De JacksonTchatchoua à MartinWasinski en passant par AnthonyDescotte ou FabioFerraro. « Je ne suis pas lié au fait que ces jeunes percent actuellement, même si j’en connais certains comme Jackson, que j’ai été chercher à treize ans à Ixelles. Mais évidemment, en six mois, on ne fait qu’installer des choses en rapport avec ses idées. On bâtit, on construit, on évolue, mais on reste sur la genèse d’un projet. »

MAÎTRE YOGI

Une gestation en plusieurs temps développée ces derniers mois derrière les murs de la Rue du Bois Planté et axée principalement sur l’émergence d’une cellule méthodologique appelée à travailler sur l’ADN structurel de la formation maison. « Un centre de recherche » ou « un pôle de réflexion » selon Dessy, censé offrir « une identité formatrice au club ».

Dans la pratique, ça signifie qu’on ne parle plus uniquement périodisation tactique ou jeu de position pour définir quel sera le footballeur du futur, mais qu’on y intègre désormais une réflexion plus psychologique, censée se tourner vers les neurosciences.

« Ça, de mon côté, je le dois à mon passage en France », détaille Dessy. « J’avais déjà connu ça à Guingamp, mais je l’ai pratiqué assidûment pendant près de deux ans à Lyon et je me suis rendu compte qu’au travers du yoga, de la cohérence cardiaque, le jeune à l’obligation de se centrer sur lui-même. C’est une réalité aujourd’hui: tout ce qui est en lien avec la méditation et l’hypnose amène des résultats exceptionnels. »

Tout juste achevé, le premier cycle de yoga avec les U13 aurait déjà trouvé son public. Normal pour Dessy qui ne voit pas le yoga comme « un truc de personnes âgées qui veulent faire de la gymnastique ». « Non, c’est quelque chose de très moderne, qui est centré sur le gamin pour qu’il apprenne à se connaître. Si on le fait à l’étranger et que ça fonctionne, il n’y a pas de raison qu’en Belgique, ça ne prenne pas. Il faut juste accepter de sortir de sa zone de confort. »

Des arguments qui ne laissent pas insensible l’aventureux EdwardStill. Le nouvel entraîneur carolo se satisfait autant des synergies régulières entre son équipe A et le centre de formation, favorisées notamment par l’organisation de rencontres amicales pendant les trêves internationales entre les meilleurs jeunes de l’académie et les professionnels restés en Belgique, que des prises d’initiatives novatrices entreprise par Christophe Dessy. « Si on veut faire grandir le club, on se doit de se montrer inventif », argumente Still. « Et c’est ce que fait très bien Christophe. En cherchant des solutions nous permettant d’être meilleurs, il nous permet de combler une partie de notre retard sur la concurrence. »

En plus du très tendance yoga, les jeunes de la formation carolo ont aussi redécouvert ces derniers mois le plus classique run & bike, le futsal ou même la boxe. Des activités extra foot censées préciser le processus de formation autour d’un projet commun, qui dit un peu plus du retard accumulé ces dernières années que du pas de géant réalisé depuis quelques mois. « Le Sporting a toujours eu de bons jeunes, mais malheureusement, il ne les a jamais exploités », analyse Dessy. « Je ne dis pas qu’on ne travaillait pas bien avant mon arrivée, mais je pense que les moyens consacrés par la direction n’étaient pas les mêmes. Aujourd’hui, on n’a de leçons à donner à personne, mais on a plus rien à envier aux autres non plus. »

Ça ne transparaît pas toujours, mais entre les lignes, Christophe Dessy vante beaucoup plus la prise de conscience de Mehdi Bayat que le seul impact de son arrivée sur la mutation carolo. « Rien qu’en termes de détection, aujourd’hui, on travaille avec dix scouts, c’est une folie. Le Sporting n’a jamais connu ça. On a un rayonnement sur le plan national, interprovincial, et provincial. C’est-à-dire qu’on voit des centaines de joueurs par week-end. C’était l’étape inévitable par laquelle il fallait passer si le club avait envie de grandir, de se structurer. » Et d’ouvrir ses chakras.

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