Des Zèbres aux Wolves

Les deux Carolos, malgré une saison moyenne, sont passés de la D1 belge à l’élite anglaise. Comment et pourquoi se retrouvent-ils à Wolverhampton ?

En ces temps de crise financière, le football prend parfois des chemins contraires à toute logique. C’est le site de Wolverhampton qui l’indique : le club de la banlieue de Birmingham est pleinement satisfait de ses deux recrues hivernales qui vont l’aider à sortir de la zone rouge de relégation.

 » Ils ont définitivement renforcé l’équipe « , explique Mick McCarthy, l’ancien sélectionneur de l’Eire, aujourd’hui à la tête des Wolves.  » Je suis satisfait avec l’équipe que j’ai. Les deux nouveaux vont apporter un plus. Sur ce que j’ai vu à l’entraînement et lors des matches, ils vont être terribles pour nous.  » Voilà pour l’éloge. Le nom de ces deux transferts ? Des joueurs expérimentés de la Premier League ? Non. Des cracks étrangers ? Non. Deux éléments du Sporting de Charleroi, Adlène Guédioura et l’international Espoir belge Geoffrey Mujangi Bia

Cela fait plusieurs mois que les noms de ces deux joueurs ont été placés sur le calepin des recruteurs. Charleroi a tout fait pour les mettre en valeur, en les protégeant. Cela a commencé avec Bia, sans doute le seul joueur du noyau actuel à pouvoir plier un match à lui tout seul. Son seul défaut, depuis ses débuts professionnels, consistait à trop souvent vouloir faire la différence en solo.

Tant Thierry Siquet que John Collins lui ont appris à gommer les déchets de son jeu, à devenir plus efficace et davantage collectif. Quitte à le mettre sur le banc quand le jeune médian planait ou à le ménager vu son âge (20 ans). Ce qui ne plaisait pas du tout à la direction, soucieuse de vouloir monnayer au plus vite le talent brut de son international Espoir. Dans tous les grands clubs du monde ( Eden Hazard à Lille est l’exemple parfait), les jeunes pétris de talent sont cependant couvés, formés et ménagés. A Charleroi, ils sont surexposés.

Cela n’a certainement pas aidé l’éclosion de Bia, parfois obligé de prester à moitié blessé. Ces complications musculaires et un certain relâchement l’ont conduit naturellement sur le banc. Et des divergences de vue ont compliqué sa relation avec les dirigeants.

Guédioura, lui, est arrivé en janvier dernier après quelques problèmes relationnels avec Hein Van Haezebrouck à Courtrai. Ses premières prestations furent particulièrement remarquées. Son abattage, sa générosité et sa frappe furent autant d’atouts pour un Sporting en pleine déliquescence. Collins ne tarissait pas d’éloges à son sujet, le bombardant capitaine dès son premier match et n’hésitant pas à déclarer qu’il s’agissait du seul joueur capable d’évoluer en Angleterre. Le mot était lancé. Il allait servir de bombe car ce fut le début du déclin pour le Français. Que ce soit sous la houlette de Stéphane Demol ou de Tommy Craig, jamais Guédioura ne retrouva le niveau de ses premières prestations. La direction le protégea malgré plusieurs écarts de conduite mais sa cote baissa en flèche tant dans le vestiaire que dans les médias.

Les mêmes agents qu’Owen et Gerrard

Et pourtant, les deux joueurs n’ont jamais cessé d’alimenter les conversations des scouts étrangers. Pourquoi et comment les deux joueurs ont-ils pu se retrouver dans l’usine à rêve ?  » Vous croyez vraiment que ce genre de détails intéressent vos lecteurs. Je ne pense pas « , explique mystérieusement le manager de Guédioura, John Bico, qui s’est démené en coulisses pour extraire son joueur du bourbier carolo.

Pourtant, tout part de l’agence Wasserman, très active sur le marché anglais. Celle-ci détient notamment dans son portefeuille Michael Owen et Steven Gerrard et a mis en relation Wolverhampton et la direction de Charleroi. Par après, les discussions se sont conclues entre Mogi Bayat et le Chief Executive de Wolverhampton, Jez Moxey.

 » Ian Evans, scout de Wolverhampton, est particulièrement fan de Guédioura « , explique Jaouad Boukhari de l’agence Wasserman.  » Il l’a vu six fois et l’avait déjà suivi à Courtrai. Pour lui, il a le profil, au niveau de l’engagement et de l’impact physique, pour évoluer en Angleterre. Ils sont particulièrement friands là-bas de box to box, ces joueurs capables de courir d’un rectangle à un autre, avec un volume de jeu leur permettant de défendre et d’attaquer.  »

Or, comme Evans travaille depuis plus de 15 ans avec Mick McCarthy et Dave Bowman (chef de la cellule de recrutement des Wolves)… Le trio exerçait déjà ensemble à Milwall, Sunderland et lors de la Coupe du Monde 2002 aux Etats-Unis lorsque McCarthy était en charge de la sélection d’Irlande et Evans connaît très bien les besoins de son entraîneur.  » Quand Evans dit qu’il faut prendre un joueur, McCarthy le prend. Sans toujours le voir jouer « , ajoute Boukhari.

Tommy Craig a tuyauté Mick McCarthy

Le deal a également pu avancer grâce aux bons contacts qui lient McCarthy et Tommy Craig. Ce dernier, lors d’une conversation téléphonique avec McCarthy, n’a pas manqué de soulever les qualités de ses deux joueurs. C’est lors d’une visite au stade du Pays de Charleroi qu’Evans a noté également le nom de Mujangi Bia.

 » Il semblait un peu moins séduit par Bia « , explique un proche du dossier. Et c’est pour cette raison qu’il a préféré le mettre en test une semaine.

 » Il a été impressionnant « , dit Moxey.  » McCarthy m’a dit que s’il était capable de répéter les prestations fournies à l’entraînement, Wolverhampton avait pêché un grand joueur. « 

Il ne restait plus qu’à rentrer en contact avec un Charleroi tout content de voir de l’intérêt étranger (et anglais en plus, ce qui signifie que les prix ont tendance à augmenter) pour deux joueurs loin de leur meilleur niveau. Oui, mais l’eldorado anglais n’est plus ce qu’il était. Et l’a-t-il déjà été pour Wolverhampton ?

 » Les Wolves n’ont jamais été dépensiers « , explique Mark Woodward, journaliste au Birmingham Mail.  » A la limite, ils l’étaient plus en Championship. Cependant, ils devaient apporter du sang frais pour pouvoir jouer le maintien jusqu’au bout. Comme partout dans les clubs du ventre mou du championnat anglais, le prêt payant est en train de se généraliser et ils ont attendu la fin du mercato avant de proposer cette solution à Charleroi.  »

200.000 euros par joueur

Ils ont également attendu que d’autres pistes se ferment avant de proposer ce double prêt au Sporting.  » Je suis content de l’arrivée des deux joueurs de Charleroi mais ce fut cependant un mois frustrant « , a d’ailleurs déclaré Moxey à la presse anglaise avant de nous confier :  » Mais on croit beaucoup en eux. Guédioura est appelé à prester tout de suite alors que Mujangi Bia est encore jeune. C’est davantage un pari sur l’avenir. « 

A Charleroi, cette solution permet de rentrer de l’argent frais (puisque le prêt est payant, aux alentours de 200.000 euros par joueur) mais cela n’agrée pas totalement les Bayat qui misaient beaucoup sur la vente de ces deux éléments. Or, leur valeur a fortement chuté ces six derniers mois. La seule solution pour les vendre à prix fort est donc de les exposer… ailleurs qu’à Charleroi. Et dans cette optique, il n’y a pas meilleure vitrine que la Premier League.

 » Wolverhampton ne prend aucun risque « , ajoute Woodward.  » Si les deux joueurs ont le niveau, c’est un renfort quasiment gratuit et s’ils ne l’ont pas, ils retournent en Belgique au bout de six mois. « 

 » Les Bayat l’ont joué finement « , explique un connaisseur du marché anglais.  » Ils savent très bien que leurs diamants perdent de la valeur marchande en restant à Charleroi. Au pire, les joueurs ne disputent pas une minute de jeu à Wolverhampton et ils reviennent à la case départ. Mais ce n’est déjà pas le cas puisqu’ils ont déjà eu l’occasion de fouler les pelouses anglaises ! A la fin de la saison, même si Wolverhampton ne lève pas l’option d’achat, un autre club pourrait être intéressé en voyant, sur leur CV, le nombre de minutes jouées dans les Iles. « 

 » Guédioura n’aura pas la même influence dans le vestiaire « 

Si les qualités intrinsèques de Guédioura et de Mujangi Bia n’ont jamais été remises en question, il leur a manqué la régularité et parfois une saine mentalité.

 » Guédioura est un compétiteur de haut niveau « , juge Bokhari.  » Malgré le fait qu’il n’a joué qu’à Sedan, on voit qu’il peut s’imposer. « 

 » J’ai lu beaucoup de choses sur lui mais je n’ai vu aucun problème de mentalité… sur le terrain. C’est un battant « , ajoute Evans.

 » Vous savez, je ne crois pas qu’il aura autant d’influence dans le vestiaire de Wolverhampton que dans celui de Courtrai ou de Charleroi « , explique Woodward.  » Wolverhampton n’a pas trop tenu compte de ses antécédents tout simplement parce que c’est un prêt. Si le club avait déboursé 5 millions d’euros, là il aurait fait une enquête approfondie. Si le joueur dérape, il sera renvoyé en juin à Charleroi « , ajoute un proche du dossier

Les avis sont plus dubitatifs concernant Mujangi Bia. Va-t-il réussir à devenir plus régulier ?  » Il avait envie de changer d’air « , explique un de ses amis.  » Cela faisait trois ans qu’il était à Charleroi et il avait l’impression de ne pas progresser. Ses rapports avec la direction se sont améliorés et le deal a pu se conclure. A Wolverhampton, tout le monde a été surpris par sa faculté d’adaptation. « 

Pour le moment tout lui sourit, des bribes de matches en Cup et en championnat avant une première titularisation lors du replay (perdu) de Cup à Crystal Palace.

 » Sa régularité nous posait problème « , explique un scout concurrent.  » Il fallait absolument qu’il s’exprime lors de 10 matches d’affilée avant qu’on le branche vers le marché anglais. Cela m’étonne que Wolverhampton s’intéresse à lui maintenant. « 

 » Pour le moment, on est satisfait de leur apport mais il est encore un peu tôt pour faire le bilan « , dit Moxey, invité d’honneur des Bayat lors de Charleroi-Standard (un geste de bonne collaboration puisque c’est Mogi Bayat qui s’était chaque fois déplacé à Birmingham pour les négociations).

Mujangi Bia s’en rend compte et sait déjà qu’il reçoit une chance unique de lancer sa carrière. En juin, on saura si les deux éléments ont relevé le défi. En cas de réponse positive à cette question, Charleroi touchera 1,2 million et 2 millions d’euros, le prix des levées d’option respectives de Guédioura et de Bia.

Quel impact sur la saison de Charleroi ?

Si les deux transactions sont positives pour les joueurs et pour les finances du Sporting, elles le sont beaucoup moins si on regarde l’aspect sportif. Après la saignée estivale (cinq titulaires en moins), le Mambourg continue à perdre ses forces vives. Même si Adlène Guédioura n’avait pas retrouvé son niveau des premiers mois de l’année 2009, il restait un pion incontournable et un élément important dans les matches physiques qui attendent les équipes qui luttent pour leur maintien. Quant à Mujangi Bia, même utilisé dans un rôle de joker, il était le seul élément capable de faire la différence sur une action individuelle. Charleroi perd donc du corps, là où les autres formations de bas de classement en ont retrouvé.

 » Evidemment qu’il s’agissait de bons joueurs « , explique laconiquement Tommy Craig,  » mais mon équipe reste compétitive. Cela ne change rien du tout à la qualité de mon noyau.  »

La leçon a été bien retenue. Le mois qui vient nous dira si Craig a raison ou s’il essayait de se convaincre lui-même. La prestation des Zèbres contre le Standard a déjà montré que l’Ecossais n’était peut-être pas de mauvaise foi…

par stéphane vande velde – photos: reporters

Les Bayat l’ont joué finement. Ils savent très bien que ces deux joueurs auraient perdu de la valeur à Charleroi.

« La levée d’option de Guédioura coûtera à Wolverhampton 1,2 million ; celle de Bia 2 millions. »

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