Des choix toujours malheureux

Nacer Chadli et Mehdi Carcela symbolisent les hésitations de footballeurs tiraillés entre les Diables Rouges et les Lions de l’Atlas.

Et un bol de harira, un ! Le harira est cette soupe marocaine traditionnelle dont les ingrédients sont tellement vitaminés que les musulmans se jettent dessus dès que sonne l’heure de la fin du jeûne, durant le ramadan.

Harira et footballeurs sur le point de se faire harakiri… : c’est un peu le résumé des derniers développements dans les dossiers de joueurs tiraillés entre la Belgique et le Maroc. S’ils en avaient fait un film, il aurait pu s’appeler : Je ne sais pas ce que je veux mais j’assume. Ou : Je jouerai longtemps avec vos pieds. Ou encore : Je change d’avis comme de vareuse. Une série B qui lasse, en tout cas.

Dans l’£il du cyclone : Mehdi Carcela, Nacer Chadli et même Yassine El Ghanassy. Trois hommes dans le viseur à la fois de l’Union belge et de la Fédération marocaine. Mais aucun d’eux n’a encore joué le moindre match officiel avec la sélection A d’un des deux pays. Sauf que, ce mercredi, Carcela est finalement sur le pont avec le Maroc face au Niger et Chadli débute avec la Belgique contre la Finlande.

Mais comme ce ne sont que des matches amicaux, on ne peut pas exclure de nouveaux renversements de situation dans les prochaines semaines. L’homme de Twente gardera la possibilité de jouer pour les Marocains et le petit format du Standard ne sera pas encore définitivement exclu de l’équipe belge… Questions pour des champions de la volte-face.

Qui a poussé Carcela dans une nouvelle combine ?

Le feuilleton Carcela, entre Diables et Lions a rythmé l’actualité de ces derniers jours davantage que ne l’a fait le joueur lors de ses récentes prestations. Si l’élégant gaucher du Standard est dans le trou sportivement depuis plusieurs semaines, le contexte autour de sa décision ultime quant à son futur en équipe nationale y est indiscutablement pour beaucoup.

Derrière des attitudes qui peuvent passer pour de la nonchalance, voire de l’indifférence, le jeune homme a beaucoup souffert des multiples pressions, rumeurs et sorties médiatiques entourant son cas. La dernière en date, révélée en début de semaine passée par Sud Presse, évoquait la procédure introduite devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) visant l’annulation d’un document signé en faveur de la Fédération marocaine qui l’ obligeait, aux yeux de la FIFA à évoluer sous les couleurs des Lions de l’Atlas.

Maître Jean-Louis Dupont, qui défend les intérêts du joueur, avait même déclaré à ce propos :  » Carcela n’avait pas l’intention de se lier au Maroc par ce document. Sa décision n’était pas encore prise à l’époque de la signature « . Contacté par nos soins, Maître Dupont a précisé :  » J’ai été consulté par Monsieur Carcela afin d’annuler une décision qui lui impose de choisir le Maroc alors qu’il n’avait encore jamais joué pour leur équipe nationale. L’appel devant le TAS visait à ce que Monsieur Carcela ait le choix de son équipe nationale. C’était un recours en interprétation, et cela n’avait absolument rien de contradictoire avec le fait qu’il choisisse le Maroc en définitive.  »

Tout cela pour qu’on apprenne vendredi dernier que Carcela retirait sa plainte au TAS et optait  » définitivement  » pour l’équipe marocaine ! Encore un tourbillon médiatique pour du beurre.

De sources sûres, la décision de Carcela en faveur du Maroc était bien arrêtée depuis l’été dernier. Comment dès lors expliquer la récente procédure d’arbitrage ? Le joueur aurait fait part à son entourage de certaines inquiétudes après avoir discuté avec un ex-international marocain. Celui-ci lui a confié les différents manquements et la désorganisation criante qui ont frappé la sélection marocaine ces dernières années. Des membres de l’entourage de Carcela, dont l’intérêt personnel et in extenso financier est de voir le joueur opter pour la vareuse des Diables, ont donc profité des hésitations de Carcela (que l’on sait peu habile en communication) pour créer à nouveau un flou qui devient irritant.

Au milieu d’un jeu de quilles dont il ne maîtrise pas toutes les règles, le Liégeois se sent clairement abandonné et perdu. Carcela a toujours eu le soutien des dirigeants marocains, ce qui n’est absolument pas le cas des homologues de l’Union belge. Jamais le joueur ne s’est vu invité par des membres de la Fédération belge à orienter son choix en faveur des Diables. Le seul contact téléphonique entre Carcela et un membre de notre fédé fut un appel téléphonique du joueur à Georges Leekens. Carcela a alors expliqué au coach des Diables que son choix était bel et bien effectué… En faveur du Maroc.

Ceux qui voulaient voir Carcela en Diable plutôt qu’en Lion se basaient sur ce raisonnement : il y aurait eu corruption dans le chef de la Fédération marocaine, qui aurait en quelque sorte  » acheté  » la signature de Carcela en lui accordant divers avantages en nature.

Pourquoi Chadli a subitement fait une croix sur le Maroc ?

Le 14 décembre dernier, Nacer Chadli (qui n’a jamais joué un seul match officiel pour une équipe belge ou marocaine) communiquait sur son site officiel :  » Je sais qu’ EricGerets veut que je fasse mon choix entre le Maroc et la Belgique avant la fin de l’année, mais je tiens à prendre ma décision en âme et conscience. J’ai besoin de temps de réflexion car j’hésite.  » En illustration de ce communiqué, Chadli… avec la vareuse marocaine, souvenir du match amical qu’il avait joué quelques semaines plus tôt avec les Lions de l’Atlas en Irlande du Nord.

Le 29 décembre, il confirmait ses hésitations :  » Contrairement à ce qui a été publié sur plusieurs sites, je n’ai toujours pas fait mon choix définitif. J’espère que les supporters comprennent que je ne veux rien exclure. « 

Et le 30 janvier, le couperet tombait, toujours sur le web :  » Exclusif. Pour les rencontres amicales, j’ai reçu deux invitations, pour le Maroc et la Belgique. Ça fait longtemps que je me trouve devant ce choix difficile, et j’y ai longuement réfléchi. J’ai eu un entretien positif avec Monsieur Leekens et j’ai décidé de jouer pour la Belgique. J’ai un bon sentiment quant à ma décision et je suis persuadé du projet des Diables Rouges. L’équipe du Maroc est et reste une bonne équipe, et le Maroc reste un pays que j’aime beaucoup, mais j’ai grandi en Belgique et je me sens belge. Ce qui n’empêche que j’emporterai mes racines marocaines partout où j’irai. Aussi, j’espère que les supporters marocains continueront à suivre ma carrière et continueront à me soutenir. « 

Ce soutien marocain inconditionnel et perpétuel, c’est moins sûr. Sur www.nacerchadli.be, on peut réagir, placer ses commentaires. Karim écrit :  » Vous le regretterez toute votre vie « . Jalal poste :  » Si tu ne changes pas d’avis, crois-moi, tu vas souffrir toute ta vie « .

Allô Nacer ? L’ailier de Twente nous explique son choix :  » J’étais en pleine réflexion depuis plusieurs mois, et à partir du moment où j’étais présélectionné en même temps par les deux pays, il fallait que je tranche. J’ai choisi la Belgique d’abord pour des raisons purement sportives : je connais plusieurs joueurs du noyau et je trouve qu’il y a plus de talent chez les Diables que dans l’équipe du Maroc. C’est surtout ça qui a fait pencher la balance. Si je joue pour une sélection, c’est avec l’ambition de gagner beaucoup de matches et d’aller loin. « 

Le simple choix du c£ur serait donc passé au second plan dans le cas de Nacer Chadli :  » Ce sont évidemment deux pays que j’aime. J’ai écouté mon entourage. Mes deux parents sont marocains, et bien sûr, il y avait autour de moi des gens qui me conseillaient d’opter pour le Maroc. Il y en a aussi qui me disaient de choisir la Belgique. Mais au final, on respecte ma décision. Comme tout le monde, les dirigeants de la Fédération marocaine et Gerets ont appris mon choix via mon site Internet.  » Un Gerets qui comptait fermement sur lui après lui avoir offert sa première sélection en Irlande du Nord.  » Je tiens à le remercier « , dit Chadli.  » Mais il savait que ma venue à ce match ne signifiait pas que j’avais tranché en faveur du Maroc. Je ne lui ai rien caché. Et quand nous nous étions quittés, il m’avait dit : -Réfléchis bien.  »

Chadli s’attend à des réactions négatives au pays de ses parents :  » Quand nous sommes allés en Irlande du Nord, j’ai bien senti qu’on cherchait à me mettre la pression. Par exemple, plusieurs journalistes n’arrêtaient pas de me demander pourquoi je n’avais toujours pas décidé. Je sais que beaucoup de Marocains sont déçus, on ne tolère pas mon choix et des insultes sur mon site me touchent. Qu’ils sachent que même si je ne joue jamais pour le Maroc, je resterai toujours marocain. C’est cette éducation-là que j’ai reçue, pas une éducation européenne. « 

Pourquoi El Ghanassy remet son choix belge en question ?

Yassine El Ghanassy n’a pas été repris pour le match contre la Finlande et il en bave :  » Je suis très déçu, pourquoi le cacher ? J’en conclus que je dois continuer à travailler si je veux avoir la confiance de Georges Leekens. « 

L’artiste de Gand peut encore jouer pour les deux pays, mais réglementairement, il est plus proche de la Belgique que du Maroc car il a déjà joué des matches officiels avec des sélections de jeunes Belges, et s’il voulait maintenant opter pour le Maroc, il devrait passer par une procédure FIFA – avant le 12 juillet prochain, cap de ses 21 ans. Il a fait le déplacement avec les Diables au Kazakhstan en fin d’année 2010 mais fut finalement relégué dans la tribune :  » Ce soir-là aussi, j’ai été très déçu. Mais je pouvais comprendre la décision du coach car ce n’était que ma première sélection. « 

Des coups sur la tête qui pourraient l’inciter à claquer la porte de l’Union belge pour aller respirer l’air de la Fédération Royale Marocaine de Football ?  » L’équipe belge reste ma priorité, je n’ai pas changé d’avis. Mais il faut voir ce que l’avenir va me réserver. Ici, il y a un coach qui ne semble pas trop compter sur moi pour le moment. Au Maroc, il y a Eric Gerets : je suis tombé sous son charme. Il est venu vers moi à la soirée du Soulier d’Or, nous avons parlé un long moment. J’étais déjà surpris qu’il me connaisse. Je suis frappé par son parcours d’entraîneur et séduit par le projet qu’il lance avec la Fédération marocaine. « 

El Ghanassy n’exclut donc pas de revenir sur sa décision (en faveur des Diables) qui avait été facilitée par une mauvaise expérience au Maroc :  » J’y étais allé pour un match avec les Juniors et ça reste un mauvais souvenir. Je n’étais pas à l’aise et l’organisation était catastrophique. « 

Que fait l’Union belge pour convaincre les sceptiques ?

 » La gestion de la problématique liée au choix de l’équipe nationale est du ressort de la commission technique « , explique David Delferière, vice-président de l’Union belge.  » Logique, dans la mesure où, au sein de cet organe, on retrouve à la fois des dirigeants rompus à des négociations avec les joueurs à l’image d’ HermanWijnants à Westerlo ou Johan Timmermans au FC Malines, ou des (ex-)coaches parfaitement au courant des richesses en profondeur de notre football, comme MichelSablon ou Bob Browaeys. Il ne faut pas oublier que certains joueurs, confrontés au fameux dilemme Belgique ou Maroc, par exemple, ont transité par nos sélections nationales de jeunes. Il est donc normal qu’ils aient été sensibilisés ensuite pour jouer chez les Diables Rouges. Les cas les plus représentatifs ont été, dans ce cadre-là, Yassine El Ghanassy, Mehdi Carcela et Nacer Chadli.  »

 » L’approche a été différente pour chacun d’entre eux « , observe Georges Leekens.  » El Ghanassy n’a pas dû être véritablement poussé. Malgré les insistances de la fédé marocaine, il a été plus réceptif au contexte général des Diables Rouges. Carcela, lui, a toujours été plus tiraillé. J’ai pris langue avec lui lors de rassemblements avec les A ou les Espoirs en lui faisant comprendre qu’il était évidemment le bienvenu chez nous mais que je ne pouvais rien lui promettre. Je lui ai dit que la balle était dans son camp et qu’il devait trancher en âme et conscience. J’ai pu me rendre compte dans l’intervalle qu’opter pour un des deux pays n’était pas une mince affaire pour lui. Avec Chadli, le topo n’était pas tout à fait le même. Contrairement aux deux autres, qui faisaient déjà partie du giron au moment où j’ai repris les rênes, celui-ci n’avait pas encore fait le pas. Avec la bénédiction de Philippe Collin, que je tiens toujours au courant de tous mes faits et gestes, j’ai pris l’initiative de rencontrer le joueur pendant la trêve hivernale à Bruxelles. Mon discours n’a pas été différent de celui que j’ai tenu pour les deux autres, en ce sens que tous sont les bienvenus pour moi mais que je ne vais pas non plus leur faire une fleur. C’est sur le terrain qu’une place se mérite et non suite à une entrevue avec le sélectionneur.  »

Comment réagit la fédé marocaine aux atermoiements de Chadli et Carcela ?

Khalid Laraichi, le secrétaire général de la Fédération marocaine, reconnaît qu’il a connu une semaine rocambolesque et stressante :  » J’ai été très surpris quand nous avons reçu le courrier du TAS nous informant que Carcela introduisait un appel. Nous l’avons immédiatement appelé, nous l’avons eu plusieurs fois en ligne pendant la semaine. Des gens de son entourage l’ont sûrement encouragé à revenir sur son choix en faveur du Maroc, quand ils ont appris qu’il était sélectionné pour notre match contre le Niger.  »

Son entourage ? Ses parents ? Ses amis ? Sa famille ?  » Non, tous ces gens-là, au contraire, l’ont certainement incité à opter pour l’équipe marocaine. « 

Qui, alors ? Le Standard ?  » Je ne connais pas les dirigeants de ce club mais ils ont sûrement joué un rôle dans ce dossier. Mais bon, c’est maintenant de l’histoire ancienne et je pars du principe que Mehdi Carcela est définitivement marocain. « 

Laraichi ne s’explique pas le silence pesant du joueur par contre :  » J’ignore pourquoi il refuse de s’exprimer.  » Et revient sur les doutes de Carcela à propos de l’organisation de la fédé marocaine :  » C’est clair que notre Fédération a été dans le creux de la vague mais tout change depuis un an, nous procédons à une restructuration complète. Il ne doit plus se faire de soucis à ce niveau-là. « 

Le secrétaire général avoue sa déception dans le dossier Chadli mais est beau joueur :  » Nous respectons totalement sa décision, c’était son droit le plus strict de préférer finalement la Belgique, Chadli est un homme libre. Mais nous sommes déçus, évidemment. Nous avons fait tout ce que nous pouvions faire et nous lui avons tenu le même discours qu’à tous les joueurs ayant le choix entre deux pays. Nous agitons notre drapeau, nous faisons jouer les sentiments marocains. Après cela, ils choisissent en âme et conscience. « 

Il reste maintenant à finaliser le cas El Ghanassy. Laraichi :  » Bien sûr que nous pourrions entreprendre prochainement des démarches pour l’attirer chez nous à partir du moment où le coach souhaiterait le convoquer… « 

Comment Gerets voit la perte de Chadli et la soupe Carcela ?

Au bout du fil, on a un Eric Gerets qui semble plutôt abattu par les derniers événements.  » Evidemment, je suis déçu que Chadli ait finalement choisi la Belgique. Il a joué un match avec moi, il a été bon, j’ai directement vu qu’il avait le gabarit et la classe pour jouer un rôle important dans n’importe quelle équipe nationale. Mais c’est la vie, il faut respecter son choix. Je suis sûr que cette décision a été très difficile. Je n’étais d’ailleurs sûr de rien quand il est venu jouer pour le Maroc en Irlande du Nord. Le fait que ça traînait depuis plusieurs mois me rendait sceptique, j’avais compris qu’on avait autant de chances de le perdre que de l’avoir définitivement chez nous. Pour moi, c’était du 50/50. Ma seule petite consolation, c’est qu’il jouera finalement pour mon pays…  »

Gerets ne veut pas trop commenter l’affaire Carcela.  » Je suis surpris qu’il se soit adressé au TAS. Malgré les dernières péripéties, il est toujours le bienvenu dans mon équipe. Mais il doit comprendre qu’il aura de la concurrence et que sa mentalité est à améliorer. Il doit mûrir et savoir qu’il ne suffit pas de se donner à 80 %, de réussir une action importante et éventuellement de marquer un but. Il faut autre chose, surtout dans une équipe nationale. La fierté de porter le maillot, par exemple. « 

Le coach des Lions de l’Atlas conclut par un mot sur le cas El Ghanassy.  » Ça vaut peut-être la peine de rouvrir le dossier… « 

PAR PIERRE BILIC, THOMAS BRICMONT, PIERRE DANVOYE ET BRUNO GOVERS

 » J’ai choisi la Belgique d’abord pour des raisons sportives : il y a plus de talent chez les Diables.  » (Chadli)

Des membres de l’entourage de Carcela, dont l’intérêt financier était de le voir opter pour les Diables, ont profité de ses hésitations pour créer à nouveau un flou.

 » La direction du Standard a sûrement joué un rôle dans la décision de Carcela de saisir le TAS.  » (le secrétaire général de la fédé marocaine)

 » Ils sont tous bienvenus mais je ne vais pas non plus leur faire une fleur.  » (Leekens)

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