Derrière les Zèbres, c’est la savane

Entre un glorieux ancien, l’Olympic, un autre créé de bric et de broc, le RCCF, un promotionnaire en grande forme, Châtelet, et des ambitieux provinciaux, Ransart et Gosselies, un petit tour d’horizon du football au pays de Charleroi.

Les voitures sont éparpillées un peu partout. Les plus téméraires débordent sur la chaussée ; les autres ont préféré le parking du cimetière voisin. Le stade des Fiestaux de Couillet vaut à lui seul le détour. On dirait un bâtiment scolaire avec une pelouse en son centre. A l’intérieur de l’enceinte et le long du terrain, des enfants s’égaillent sur une plaine de jeux pendant que les parents s’égosillent en poussant leurs couleurs. Le club de tennis de table a pris possession d’une des ailes. L’autre sert de vestiaire aux joueurs de foot.

Après des années d’errance, l’émanation du FC Couillet, club qui avait atteint la 3e division, il y a une dizaine d’années, est revenu au bercail. Il a changé de nom, au point que de nombreuses personnes s’y perdent. Aujourd’hui, il s’appelle le RCCF pour Racing Couillet Charleroi Fleurus. La Nouvelle Gazette, l’organe de presse principal sur Charleroi a ajouté un C pour Racing Club Couillet Charleroi Fleurus. Allez savoir pourquoi.

Ce jour-là, si la foule s’est déplacée aux Fiestaux, ce n’est pourtant pas pour admirer les Rhinocéros, nom donné à cette équipe fondée en juillet sur les cendres du FC Charleroi, mais parce que l’hôte du jour n’était autre que le vénérable Olympic. Pour cette première provinciale du Hainaut, la présence de l’Olympic constitue une aubaine.

Ransart, Courcelles, Gosselies et le RCCF font leur recette sur ce match. Car, P1 ou pas, l’Olympic garde ses fidèles. Ceux-ci vieillissent mais ils tiennent bon.  » Je me demande même s’il n’y a pas plus de monde que l’année passée en Promotion « , explique le coach de l’Olympic, ancien joueur et entraîneur (fugace) du Sporting, Tibor Balog.

 » Comme il y a beaucoup de derbies, cela attire du monde. L’année passée, on jouait Harelbeke ou Ingelmunster et malgré leur passé en D1 ou D2, ces clubs n’attiraient pas grand monde et ne venaient qu’avec 30 ou 50 personnes. Juste la famille des joueurs. Cette année, Ransart ou Gosselies amènent 100 personnes. Lors des derbies, il y a bien 1000 personnes à la Neuville. C’est pas mal pour une P1, non ?  »

Les Dogues ont retrouvé leur mordant

Car, oui, pour la première fois depuis 1926, l’Olympic a quitté les séries nationales. Et ce, malgré une sixième place en Promotion la saison passée. La faute à des dettes antérieures non payées par le nouveau président, Adem Sahin.  » On a payé les pots cassés de l’ancienne direction et je trouve le jugement sévère puisque l’on a été puni deux fois « , ajoute Balog. En plus de la rétrogradation en P1, l’Olympic a dû commencer le championnat avec 9 points de pénalité.  » Aucun club n’arrive à monter avec neuf points de pénalité « , rage-t-il encore.  » Lors du premier tour, la pression était énorme car à chaque match, on devait gagner pour résorber notre retard.  »

Le président abonde dans le même sens.  » J’aurais préféré qu’on me dise de descendre en P1 directement à la reprise du club car j’aurais su alors d’où je commençais « , explique Sahin.  » Mais pas un an après ! On avait préparé une équipe pour la D3 et voilà qu’on nous rétrograde en P1.  » Il a alors fallu convaincre les joueurs et les sponsors de rester. Si les joueurs ont accepté de sacrifier un an, les sponsors ont préféré s’abstenir. Une dizaine d’entre eux ont quitté le navire.

 » On ne peut pas encore dire qu’ils sont partis ; ils ont suspendu leurs activités l’espace d’un an, préférant attendre de voir comment l’équipe allait se comporter en P1.  » Et sans doute reviendront-ils en juin car l’Olympic a réussi à résorber ces 9 points de retard et trône en tête de cette P1.  » Le sentiment de revanche qui nous a habités nous a sans doute permis de reprendre ces 9 points « , conclut Sahin.

Ce jour-là, aux Fiestaux, c’est le RCCF qui paie l’addition. Quatre buts marqués en deuxième mi-temps scellent le derby en faveur des Dogues. Dans les tribunes, ça fleure bon l’ambiance de kermesse.  » Cadre, hein gamin, qu’est-ce que c’est qu’ça « , entend-on. La Jupiler est à 1,5 euros et les cônes bonbons à 3 euros. Le journaliste et le caméraman de Télésambre, la télévision locale, ont dû improviser une tribune et déplacer une table pour y poser une chaise et la caméra afin d’avoir une vue surélevée. Le système D. Une fois la seule tribune remplie, les gens ont pris place sur les pourtours ou sur les murets.

Ça sent le football d’en bas, qui tente de survivre. Si, à domicile, les Dogues ont encore l’illusion de faire partie de l’élite, chaque déplacement leur rappelle qu’ils ont quitté les séries nationales. N’a pas la Neuville qui veut !  » On ne se sent pas vraiment à notre place ici « , reconnaît Sahin.  » D’autant plus que nous visons la D3. Pour moi, on demeure le deuxième club carolo. Nos infrastructures, notre passé, nos supporters, notre école de jeunes, tout cela plaide en notre faveur. On a des business seats alors qu’on évolue en P1 !  »

De fusion en fusion

Outre le Sporting Charleroi, et si on considère Solre-sur-Sambre comme un club de la vallée de la Sambre proche de la frontière française et pas de la région de Charleroi, Châtelet (voir cadre) est donc le seul club carolo en série nationale. Faut-il s’en inquiéter ? Oui et non. Il y a encore quelques années, l’Olympic était en D3 (avec deux intrusions en D2) ; Heppignies-Lambusart et Couillet également. Depuis lors, les Dogues sont descendus et les deux derniers cités ont périclité.

Le Trou-à-la-vigne, le stade d’Heppignies, dégageait une véritable ambiance. Petit à petit, le club avait gravi les échelons au point de devenir une valeur sûre de D3. Mais l’homme fort du club, Pascal Lenoble,a finalement jeté le gant et le club a fusionné avec le FC Charleroi.  » Plus on montait, moins on avait de public « , explique Lenoble.  » La ville de Fleurus n’a jamais suivi. On s’est rendu compte au fil des ans que ce n’était pas une ville de foot mais une ville de basket. On se sentait donc de plus en plus seul.

La motivation partait et notre super école des jeunes commençait à péricliter. Moi, j’estimais que je commençais à perdre mon temps. Cela faisait 25 ans que j’étais là et personne ne préparait l’après-Lenoble. Quand je suis parti, je m’attendais à ce que ça tourne moins bien mais pas à ce que ça disparaisse. La crise a tué le sponsoring. Il n’y a rien à faire : les frais de représentation et de sponsoring sont les premiers qu’une entreprise supprime en cas de crise.  »

Aujourd’hui, le matricule d’Heppignies a été repris par le FC Charleroi puis par… les Francs Borains qui ont eux-mêmes donné le leur à Seraing. Quant à Seraing, il a laissé le sien au club carolo désireux de se former sur les cendres du FC Charleroi. C’est ainsi qu’est né le RCCF, qui regroupe quelques anciens joueurs de feu le FC Charleroi (le club qui prenait raclée sur raclée en Promotion la saison passée) et quelques prêts de l’Olympic. C’est là qu’on retrouve notamment Jonathan Bourdon dans les buts.

Ce qui nous ramène de nouveau aux Fiestaux, ce dimanche 22 février. Alors que les tribunes sont remplies, un homme brille par son absence. Roberto Leone, figure emblématique du foot carolo et couilletois des 20 dernières années, a aussi jeté le gant. C’est lui qui avait déménagé Couillet à la Neuville, puis à La Louvière avant de revenir à Charleroi, de l’appeler FC Charleroi, de le fusionner avec Heppignies, et de créer un autre FC Charleroi fait de bric et de broc la saison passée.

 » J’ai jeté l’éponge car j’étais entouré de plus en plus de gens qui voulaient faire de l’argent et moi, ça ne m’intéressait pas « , explique-t-il.  » On voulait aider nos jeunes à monter le plus haut possible, leur donner une chance de faire du foot leur métier. C’est pour cette raison qu’on s’était également rapproché du Sporting. Je voyais mon club non pas comme un concurrent du Sporting mais comme un complément idéal. On m’a reproché mes déménagements à la Neuville et à La Louvière mais je n’avais pas le choix.

Des Rhinos à la place de Lions

Quand on a racheté le matricule d’Heppignies, on y a tous cru. Mais on s’est essoufflé. Cela coûtait trop cher. Au bout du compte, j’ai perdu beaucoup d’énergie, de temps et d’argent. Lorsque Couillet était en D3, je fermais les robinets pour éviter le gaspillage. On me disait alors – Président, vous n’êtes pas ambitieux. Je répondais – Non. Aujourd’hui, tous les clubs de D3 sont en difficultés financières. Il n’y a pas une semaine sans qu’on me sollicite.  »

Lenoble et Leone montrent toute la difficulté pour monter un club qui tienne la route, dans une région sinistrée.  » C’est difficile de faire vivre un club dans la même ville que le Sporting. On frappait aux mêmes portes, on chassait les mêmes sponsors. Or, nous n’étions que des bénévoles. On ne travaillait que le soir ! « , raconte Leone.

Aujourd’hui, Leone n’est plus là et une nouvelle direction s’est lancée dans le challenge du RCCF. En espérant que la pub pour un vide-grenier le long du terrain des Fiestaux ne soit pas une métaphore pour ce club qui doit avant tout se chercher une identité. En attendant, ils ont déjà trouvé leur nouveau surnom.

 » Avant, c’étaient les Lions, maintenant les Rhinocéros. Apparemment, ils ont envie de rester dans la savane « , nous lâche un confrère de La Nouvelle Gazette. Les fans d’Heppignies ne se reconnaissent pas dans ce club et ce sont les anciens Couilletois qui sont revenus au stade. Mais pas de quoi faire tourner la boutique.

Que ce soit Heppignies ou Couillet dans le temps, le public n’a jamais vraiment suivi. C’est ce qui guette le RCCF, tout comme Ransart et Gosselies, deux clubs de P1, qui se verraient bien un peu plus haut. Surtout Gosselies.  » Prenez Pascal Robert à Ransart ou Jésus Roman à Tamines (proche de Charleroi mais dans la région de Namur, ndlr). Ces clubs dépendant trop d’une personne « , analyse Lenoble.  » Ça tourne devant 120-150 personnes. Pour s’en sortir, ils sont toujours obligés d’organiser des soupers, des barbecues ou des tombolas. A la longue, ça fatigue. Pourtant, sans ça, les clubs s’essoufflent.  »

Cette année, la liesse populaire provoquée à chaque déplacement de l’Olympic cache un peu la misère de ces clubs. Dans les derbies, la buvette tourne mais ce n’est qu’illusion.  » Les petits clubs rament, c’est un peu le gouffre et la misère « , résume Lenoble.  » Le public est de moins en moins nombreux. L’affaire Despi (du nom de l’ancien échevin des sports, Claude Despiegeleer, mis en cause dans les affaires dès 2006, ndlr) a fait du tort au sport. Les communes sont beaucoup plus frileuses devant les projets qu’on leur propose. Aujourd’hui, tout le monde se réjouit de la présence de l’Olympic en P1 mais on ne fait pas une saison sur un match. Ce n’est pas tenable !  »

Le Carolo est ainsi fait qu’il utilise tous les prétextes pour faire la fête. Les supporters de l’Olympic ont déjà oublié leur rétrogradation et fêtent leur première place ; ceux de Gosselies, Ransart et Châtelet célèbrent leur bonne saison en occultant l’étroitesse de leur club. Ainsi va la vie à Charleroi dans l’ombre d’un Sporting florissant.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: BELGAIMAGE / DIEFFEMBACQ

 » Tout le monde se réjouit de la présence de l’Olympic mais on ne fait pas une saison sur un match.  » Pascal Lenoble, ex-président d’Heppignies-Lambusart

 » On a des business-seats alors qu’on évolue en P1.  » Adem Sahin, président de l’Olympic

 » L’année passée, on recevait Ingelmunster ou Harelbeke, qui ne se déplaçaient qu’avec 30 personnes, soit la famille des joueurs.  » Tibor Balog, coach de l’Olympic

 » Châtelet, c’est bien, mais ils vont jouer où s’ils montent en D3 ?  » Roberto Leone, ex-président de Couillet

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