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Leurs horizons sont totalement différents mais leur objectif commun les rapproche énormément.

Robert Waseige et Sergio Brio s’étaient déjà affrontés trois fois avant de se retrouver face à face pour cette interview : quand Liège avait joué contre la Juventus en quarts de finale de la Coupe des Coupes d’Europe en mars 1991 (1-3 à Liège et 3-0 à Turin), puis en décembre dernier à l’occasion du derby Mons-Charleroi (2-2). Dans ces trois occasions, ils s’étaient toutefois simplement croisés sans avoir le temps de faire connaissance. Mais l’envie était réciproque de découvrir l’autre et de débattre des choses du foot. Auront-ils encore l’occasion de se revoir ? Si c’était le cas, ce serait lors de la toute dernière journée qui prévoit le deuxième affrontement de la saison entre Zèbres et Dragons. Mais cela voudrait alors dire que ce match serait décisif pour l’avenir de Charleroi en D1… Car si le Sporting était sauvé avant cette date, Waseige serait déjà aux commandes de l’équipe nationale algérienne lorsque le rideau tombera sur notre championnat.

Les deux hommes ont un point commun : ils ont été appelés durant le premier tour pour reprendre des équipes à la dérive. Mons et Charleroi étaient empêtrés dans les profondeurs du classement avec Marc Grosjean et Dante Brogno. Mais c’est pour ainsi dire la seule caractéristique qui réunit Waseige (64 ans) et Brio (47). Pour le reste, beaucoup de choses les séparent : la relation qu’ils entretenaient avec le club qu’ils ont repris, les méthodes appliquées pour sortir leur équipe de l’ornière, la largesse financière de leur employeur au moment du mercato, le battage médiatique fait autour de leur façon de travailler, etc.

Robert Waseige, vous êtes revenu dans un club que vous connaissiez bien. Au contraire de Sergio Brio. Est-ce un gros avantage de connaître la maison ?

Robert Waseige : Je revenais en territoire connu. Pas conquis ! Mais c’est vrai que ce n’est pas une mauvaise chose d’avoir ses repères. Je n’ai retrouvé qu’un seul joueur avec lequel j’avais déjà travaillé : Mahamoudou Kéré. Mais plusieurs personnes gravitant autour de l’équipe étaient toujours là : Michel Bertinchamps, Istvan Gulyas, la famille Dal Mut û NDLA : un couple et son fils qui s’occupent de toute l’intendance û, Pierre-Yves Hendrickx, Raymond Mommens, Mario Notaro, les kinés, les médecins. En plus de la population, évidemment. C’est important. Mais attention, ce n’est jamais une garantie de connaître autant de gens dès le départ : personne ne pouvait me garantir que je serais accueilli de façon positive.

A côté de ces vieilles connaissances, vous avez découvert les nouveaux rouages du club.

Waseige : Oui, dont des personnages très intéressants. Comme Khalid Karama. Un garçon attachant, un vrai homme de foot, très compétent. Ainsi qu’Abbas Bayat, évidemment. Il m’a séduit par sa passion, son envie de faire réussir un club qui n’est pas une locomotive du football belge. Quand il m’a contacté, je pensais qu’il voulait simplement quelques conseils. J’ai été étonné qu’il ait pensé à moi pour reprendre carrément les rênes de l’équipe. Quand j’ai compris ce qu’il voulait, je lui ai posé trois questions précises. Premièrement : qu’allait-il advenir de Dante Brogno ? Le président m’a répondu que Dante avait pris conscience du handicap de son jeune âge et que la pression était devenue insupportable pour lui. J’ai été soulagé qu’il soit demandeur car je ne voulais pas creuser un trou pour lui ou pour un autre. Je ne l’ai jamais fait et ce n’est pas à mon âge que je vais m’y mettre. Deuxièmement : quelles étaient les prérogatives exactes de Mogi Bayat ? Le président m’a dit que son neveu avait un rôle purement commercial, ainsi que quelques connaissances dans le foot français, mais que ça s’arrêtait là. Troisièmement : quid des compétences de Raymond Mommens ? Abbas Bayat m’a certifié qu’il était chargé du travail avec les jeunes.

Avez-vous retrouvé le public que vous aviez quitté quatre ans plus tôt ?

Waseige : Il reste ce qu’il a été. Il est généreux, positif, fondamentalement gentil et jouette, et explosif dans les deux sens du terme. Ce sont des gens qui savent encore s’amuser au spectacle… même quand il n’y en a pas.

Madame Brio voit beaucoup son mari… en photo

Sergio Brio, vous ne connaissiez rien de Mons, vous !

Sergio Brio : Rien du tout. Mais je n’ai pas eu peur parce que le président Dominique Leone m’a directement donné carte blanche. Tout est plus facile dans ce cas. Je suis conscient que, de tous les métiers du foot, celui d’entraîneur est le plus compliqué. Mais, quand vous avez la confiance totale de votre employeur, vos chances de succès sont plus grandes. Bien sûr, je me suis interrogé, je me suis demandé si je pouvais réussir en arrivant en pleine saison dans un club très mal embarqué. J’ai alors pensé à Hector Cuper, qui avait réussi des choses fantastiques à l’Inter alors qu’il ignorait tout de ce club en signant son contrat. Et lui non plus ne parlait pas la langue à son arrivée. J’ai aussi pensé à Vujadin Boskov, qui a travaillé pendant près de 20 ans en Italie sans bien maîtriser l’italien. Maintenant, je suis conscient que je dois continuer à progresser en français parce que c’est au coach à s’adapter à son club et non l’inverse. Ce serait aussi une façon d’améliorer mon image.

Waseige : Moi aussi, je pensais que la langue ne constituerait pas un obstacle quand j’ai signé au Sporting Lisbonne. Je pensais que je pourrais compter sur Luis de Matos, qui avait appris le français au Standard et était directeur sportif du Sporting. Mais il était toujours dans son bureau et ne pouvait donc guère m’aider. Mon adjoint avait été désigné pour faire l’interprète, mais il ne connaissait que quelques mots de français. Et, circonstance aggravante, il avait dépanné comme coach principal au cours de la saison précédente. Avoir dû reculer d’une case lui avait donc peut-être laissé un certain sentiment de frustration.

Autre handicap pour vous, Sergio Brio : vous vous retrouviez seul en Belgique.

Brio : Oui, nous avons décidé que ma famille resterait en Italie. Mais bon, ma femme a dû s’habituer à me voir très peu. Quand j’étais adjoint de Giovanni Trapattoni à la Juve, il était seul à Turin et je lui tenais souvent compagnie durant des soirées entières. J’ai dit un jour à ma femme : -Si tu veux me voir, regarde la photo de moi que j’ai posée sur ta table de nuit…

Les nombreuses critiques négatives ne vous ont-elles jamais découragé ?

Brio : Je me suis fait des épaules solides et une peau de rhinocéros. Je sais ce qu’on a dit et écrit sur moi. Je lis tout. Chaque matin, je reçois une petite revue de presse au club et je me fais traduire ce que je ne comprends pas. Je n’ai pas été épargné. Ce qui m’a le plus choqué, c’est le côté systématiquement destructeur de beaucoup de commentaires. Bien sûr, il faut critiquer. Mais cela doit être constructif. Et un journaliste doit pouvoir se défaire de ses préjugés de départ. Je connais les gens qui ont orchestré cette campagne de presse négative à mon égard. J’ai choisi de ne pas répondre. Je ferai payer l’addition en temps voulu. Il y a des entraîneurs qui parlent avant d’avoir fini leur travail. Moi, je bosse de 7 heures du matin à 7 heures du soir pour sauver mon équipe et je ne m’exprimerai que quand l’objectif aura été atteint. Mais je ne tomberai pas dans le piège de la critique facile et gratuite : je n’ai pas été éduqué comme cela. Je respecte tout le monde. On me l’a appris à la Juventus. Là-bas, on nous a toujours dit que nous ne devions penser qu’à nous, ne pas nous préoccuper des autres. Donc, ne vous attendez pas à ce que je démolisse un confrère.

Waseige : Je ne parviens pas toujours à ignorer ce qu’on écrit dans les journaux. Je suis un peu susceptible : c’est la vérité. Mais c’est parfois difficile de se contenir quand on lit des choses stupides, débiles. Quand une défaite est assimilée à un mini-drame, par exemple. Ou quand une victoire est expliquée par la formation des jeunes, les transferts ou l’anniversaire de la belle-mère d’un dirigeant… Enfin bon, je n’ai jamais frappé un journaliste (il rit).

Brio : Moi, je l’ai fait ! Enfin, j’ai lancé une sandale de bain à un gars de La Gazzetta dello Sport qui était allé trop loin. Trapattoni a fait la même chose…

Notre presse est-elle plus dure qu’en Italie ?

Brio : Les journalistes italiens ont besoin d’une pleine page pour démolir quelqu’un alors que les Belges peuvent faire autant de dégâts en quelques lignes.

Waseige : C’est très intéressant, comme remarque. Pendant mes trois années à la tête de l’équipe nationale, j’ai été critiqué par des entraîneurs consultants. Leur chaîne de télévision leur demandait sûrement d’avoir du rendement, du punch, de marquer des points. Et j’en ai pris pour mon grade. C’est déplorable. Lors de mon année d’inactivité, je suis à mon tour devenu consultant pour Canal+ : je pense y avoir prouvé qu’il était possible de commenter sans démolir. Je n’ai jamais cassé une équipe ou un coach. Le métier d’entraîneur est terriblement difficile et nous devrions donc tous être solidaires. Le lendemain d’Allemagne-Belgique, un journaliste flamand m’a demandé si Aimé Anthuenis n’exagérait pas en rajeunissant autant les cadres. Ce type était à 200 % derrière Anthuenis quand il a débuté comme coach fédéral, mais il était prêt à le tuer après deux défaites. Et, plus grave encore, il essayait de le tuer en mettant dans ma bouche ce que lui-même pensait.

Ils ont fait abstraction de Grosjean et Brogno

Vos parcours sont très différents. Robert Waseige, vous avez attendu longtemps avant de tenter une première expérience à l’étranger. Sergio Brio, vous vous retrouvez directement dans un pays inconnu pour votre première expérience de coach principal.

Brio : C’est très difficile d’entraîner en Italie. La pression y est infernale. En plus, j’ai fini par considérer la Juve comme ma vraie famille après y avoir passé 16 ans. Je n’avais pas envie de travailler dans un autre club italien. Sachez aussi qu’on ne me proposait rien dans mon pays et que je n’ai jamais sollicité. J’étais très heureux avec mes deux métiers de consultant et de patron d’une société immobilière. Devenir entraîneur principal n’était vraiment pas une priorité pour moi. Il a fallu la confiance d’un président prêt à me donner carte blanche pour me faire changer d’avis.

Waseige : Le facteur chance est aussi important dans la carrière d’un entraîneur que dans celle d’un footballeur. Vous ne recevez pas nécessairement, quand vous le souhaitez, une proposition qui vous plaît. L’offre de l’Algérie, par exemple, est tombée à point nommé. Je suis heureux de retrouver une équipe nationale. Des proches m’ont demandé récemment pourquoi j’avais abandonné les Diables Rouges si c’était pour reprendre du service dans une autre fédération deux ans plus tard. Je leur ai répondu que j’avais agi, à l’époque, comme un jeune qui avait simplement envie de relever un nouveau défi. J’avais été rappelé par des amis, au Standard. Je ne pouvais pas savoir que ces amis allaient me tuer quelques mois plus tard.

Georges Leekens a vite laissé tomber l’Algérie, pour raisons familiales. Mais vous êtes encore plus famille que lui !

Waseige : Je suis conscient que je n’ai pas accepté le boulot le plus peinard… Mais c’est ça, le foot. Pouvoir encore affronter un nouveau challenge, c’est formidable. J’ai souvent dit que j’étais un chançard d’avoir une vie pareille.

Vous avez appliqué deux approches totalement différentes pour redresser votre club : on n’a pas changé grand-chose à Charleroi alors qu’on a pour ainsi dire tout jeté à Mons !

Waseige : J’ai observé en sachant, dès le départ, que le temps n’était pas à la transférite. Abbas Bayat me l’avait clairement fait comprendre. Dès le premier jour, j’ai bien aimé mon groupe. Je le trouvais cool. Et, comme j’ai horreur du gaspillage, je n’ai pas mis la pression pour acquérir de nouveaux joueurs. Je me suis aussi convaincu qu’il y avait assez de qualités dans ce noyau pour s’en sortir. Je me suis plutôt appliqué à retoucher le mental et l’aspect tactique. Il a fallu deux mois pour sentir une vraie progression. Et, quand l’opportunité d’engager Victor Ikpeba s’est dessinée, je me suis dit que c’était une occasion unique de rééquilibrer l’ensemble.

Brio : Oui, j’ai décidé de changer pas mal de choses. J’ai d’abord recomposé un staff technique. Puis, j’ai estimé que je devais renforcer l’équipe et le président m’a encore accordé la liberté de faire ce que je voulais. J’ai eu une chance énorme : les nouveaux joueurs se sont directement intégrés. Ce n’était pas gagné dès le départ.

Que pensiez-vous des méthodes de travail de vos prédécesseurs ? Aviez-vous l’intention de les conserver ?

Waseige : Je ne sais pas comment travaillait Dante Brogno. Mais je suppose qu’il s’inspirait un peu de moi, après avoir travaillé autant d’années sous mes ordres (il rit). En tout cas, je n’ai pas cherché à savoir comment il s’y prenait. J’ai directement importé mes méthodes. Essayer d’appliquer le style d’un confrère n’aurait aucun sens.

Brio : Chaque coach a ses idées. Si je me trompe, je veux que ce soit avec mes conceptions du métier, pas avec celles d’un autre entraîneur.

Ne pas tuer les Dragons

Une chose est sûre : vous avez doublé la charge de travail des joueurs de Mons !

Brio : Qui dit cela ? Des journalistes qui nous voient très peu. Et quelques joueurs, sans doute. Vous croyez que je suis assez fou pour tuer mes joueurs en semaine et les voir tirer la langue le week-end ? Quant à savoir si, à Mons, on travaille plus ou moins qu’avant mon arrivée, ça ne m’intéresse pas. Sachez seulement qu’il y a, dans le championnat de Belgique, des entraîneurs bien plus exigeants que moi.

Waseige : Nos joueurs ont l’habitude de vivre un peu trop dans l’ouate. Si on les laisse composer leur horaire de travail, ils ne feront plus grand-chose…

Brio : Le patron, c’est moi. Si je dois commencer à écouter les joueurs et les dirigeants, je deviens fou. Chacun son métier. Les joueurs sont payés pour jouer, les dirigeants pour diriger, l’entraîneur pour entraîner. Alors, je fais le programme. Si ça ne marche pas, c’est quand même le coach qui saute.

Vous passez en tout cas pour un entraîneur très dur !

Brio : Je vais vous raconter une anecdote. Le dernier soir du stage de janvier à Montecatini, j’avais invité ma femme et un couple d’amis. Ils ont été étonnés que je puisse entretenir une relation aussi chaleureuse avec mes joueurs. Une douzaine d’entre eux est restée toute la soirée avec nous au restaurant alors qu’ils avaient quartier libre.

Waseige : Ils étaient kaput, c’est normal (il rit).

Brio : C’est vrai aussi qu’ainsi ils ne payaient pas l’addition.

Alors que Charleroi a toujours essayé de soigner le spectacle, Mons a souvent montré un réalisme poussé à l’extrême !

Brio : Il y avait du spectacle à Mons avant moi ? Ce qui compte, c’est le résultat final. Tout le reste, ce n’est que du vent. Si vous saviez le nombre de fois que j’ai vu gagner la Juve ou l’Inter sans bien jouer !

Waseige : Un entraîneur s’adapte d’abord aux joueurs qu’il a à sa disposition. A-t-il des défenseurs qui font régulièrement de grosses erreurs individuelles ? Des médians qui perdent beaucoup de ballons et obligent les arrières à trinquer ? Des attaquants qui ont besoin de sept ou huit occasions pour marquer un but ? Tout cela influence la manière de jouer.

Brio : Vous voyez, ceci explique pourquoi nos quatre défenseurs ne peuvent pas trop s’aventurer vers l’avant On met la manière quand c’est possible. Si c’est impossible, on cherche à prendre les trois points sans se poser trop de questions. Et on recommence la semaine suivante.

Waseige : C’est peut-être cruel, mais tous les entraîneurs pensent la même chose. Luis Cesar Menotti disait qu’il voulait toujours allier spectacle et résultats : mon £il ! Il était comme tous les autres. Aucun entraîneur ne demande à ses joueurs de jouer le plus mal possible mais tous s’adaptent à leurs conditions de travail. La presse exige souvent que l’on gagne en jouant bien : je trouve cela un peu suffisant…

Pierre Danvoye et Nicolas Ribaudo

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