Dernière saison de folie !

Pour la dernière fois, les clubs européens transfèrent sans devoir tenir compte des règles de fair-play européen édictées par l’UEFA.

Le mercato estival a débuté et les semaines à venir seront dominées par de grosses transactions financières au sommet du foot européen. Mais aussi, par le suivi intensif des jeunes talents. Cette année, cependant, le nouveau règlement de fair-play financier (FPF) de l’UEFA pointe le bout du nez et promet de changer la donne sur le long terme.

Le projet que Michel Platini défend depuis qu’il est à la tête de l’UEFA a abouti fin mai : l’instance européenne du football a adopté le principe de freiner l’inflation des dépenses engagées par les clubs ces dix dernières années, sous l’impulsion de leurs richissimes propriétaires, de prêts ou de découverts bancaires. Alors, assistera-t-on bientôt à la dernière vague de dépenses inconsidérées ? Une chose est sûre : la folie dépensière de certains clubs européens devrait adopter une courbe rentrante dans les prochaines années et la gestion devenir plus saine.

Les bilans des clubs sous monitoring

La saison prochaine sera la première période durant laquelle l’UEFA exercera un monitoring des dépenses et des rentrées des clubs. L’idée est que tous les cercles du Vieux Continent aient un bilan à l’équilibre à l’horizon 2015, un sésame qui leur permettrait de prendre part aux compétitions européennes. Le nouveau règlement a été établi pour assurer la santé financière du football européen, en contraignant les clubs à ne plus vivre au-dessus de leurs moyens.

Pour acheter de nouveaux joueurs, il faudra donc utiliser l’argent issu des droits TV, de la billetterie, des produits dérivés, du sponsoring et des primes reversées par les organisateurs de compétition. Les injections de capitaux par de riches bienfaiteurs seront, quant à elles, plafonnées. L’institution basée à Nyon espère ainsi donner lieu à un paysage du foot européen plus équilibré et plus juste qu’il ne l’est pour l’instant. L’UEFA va permettre aux clubs d’enregistrer des pertes à hauteur de 45 millions d’euros sur 3 ans à compter de la saison 2011-2012, en préparation du FPF. Des pertes de maximum 30 millions seront encore autorisées dans les 3 ans qui suivent 2015 tandis que les clubs seront encouragés à réguler leurs dépenses.

Mais comme dans toute bonne idée, il y a certaines failles. L’argent dépensé dans les infrastructures de stades et la formation des jeunes n’entre pas en compte dans les dépenses liées au FPF. Par contre, les clubs doivent désormais prouver que leurs deals commerciaux ont été ficelés aux conditions du marché et qu’on ne les a pas gonflés via de l’ingénierie financière pour contourner le règlement UEFA.

Ainsi, chaque saison, les clubs devront fournir à l’UEFA via leurs associations nationales une copie de leur bilan préalablement audité par une société indépendante. Un panel de contrôle financier, présidé par notre ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene, épluchera ces bilans pour établir une liste des bons et des mauvais élèves. Les instances européennes insistent sur le fait que l’exclusion des compétitions européennes (Europa League et Ligue des Champions) est une sanction de dernier ressort.

Les clubs anglais freineront-ils leurs dépenses ?

Inévitablement, Manchester City, qui a défrayé la chronique des transferts grâce aux milliards de pétrodollars du cheikh Mansour, sera dans le collimateur. Les Citizens affichaient la saison dernière un déficit d’exploitation de 135 millions d’euros. Le directeur général Garry Cook tempère :  » Nous avons bien conscience du fair-play financier. Nous en parlons à chaque conseil d’administration et nous intégrons cette notion dans notre plan à long terme.  »

Les clubs anglais ont été surveillés de plus près en partie parce que leur politique budgétaire est beaucoup plus ouverte que celle des clubs italiens par exemple, où la transparence financière est moindre. En janvier dernier, les clubs anglais ont, ensemble, dépensé plus de 250 millions d’euros en transferts. Mais la part du lion a été engloutie par la transaction qui a vu le passage de Fernando Torres de Liverpool à Chelsea. Déjà, les premiers signes indiquent que les nouvelles réglementations de l’UEFA pourraient impacter le montant des transferts réalisés cet été outre-Manche. A pareille époque l’an dernier, Manchester City avait déjà ciblé David Silva, James Milner et Jerome Boateng. Dans quelques semaines, on devrait plutôt voir une flopée de départs de la cité : Carlos Tevez, Emmanuel Adebayor, Shay Given, Wayne Bridge, Shaun Wright-Phillips, Roque Santa Cruz et Jo pourraient ainsi être vendus avant d’engager de nouveaux joueurs. La vente de Tevez serait particulièrement amère pour les fans mais permettrait de libérer des fonds pour acquérir par exemple Wesley Sneijder ou Alexi Sanchez.

Alors qu’à Man City, la qualification lucrative à la Ligue des Champions pourrait inciter le cheikh Mansour à délier les cordons de la bourse, il y a fort à parier que les autres cercles de Premier League afficheront des ambitions plus modestes s’ils n’arrivent pas à se qualifier pour la C1. Ainsi, Tottenham, qui a dépassé toutes les attentes en atteignant les quarts de finale cette saison, devra faire face à des spéculations autour de Gareth Bale et Luka Modric. Les Spurs, qui ont réaffirmé que Bale n’est pas à vendre, pourront-ils conserver leur étoile ? Un juteux transfert fournirait les moyens nécessaires aux Londoniens pour tenter de réintégrer le top 4 du championnat dès la saison prochaine.

Il n’en va pas autrement du Bayern Munich, qui pourrait monnayer au prix fort ses vedettes Arjen Robben, Franck Ribéry et Bastian Schweinsteiger si d’aventure le club bavarois ne se qualifiait pas pour les poules de la Ligue des Champions en août. A l’autre bout du spectre européen, un club comme Lille, sacré champion de France, pourrait conserver ses meilleurs joueurs comme le très convoité Eden Hazard avec la perspective de rentrées substantielles issues des poules de la LC.

Le cas Fabregas ressurgit

Ailleurs, les allées et venues se feront en fonction des changements d’entraîneurs. Le renvoi de Carlo Ancelotti à Chelsea sème le brouillard sur les plans estivaux à Stamford Bridge. Les Blues ont dépensé tellement d’argent pour attirer Torres et David Luiz en janvier qu’ils devraient se montrer plus sélectifs. Notre teenager Romelu Lukaku a souvent été cité comme renfort possible des Londoniens. Un nom ronflant comme Kaká ou Neymar qui flatterait l’égo du propriétaire Roman Abramovich n’est pas à exclure non plus. Chelsea et Manchester United sont tous deux à la recherche d’inspiration créative en milieu de terrain, ce qui corrobore la piste Sneijder, le génial meneur de jeu néerlandais de l’Inter Milan. Les Nerazzurri seraient tentés de vendre leur médian pour renflouer les caisses et renouveler l’équipe après avoir vu le scudetto filer aux rivaux de l’AC Milan.

De l’autre côté de Londres, à Arsenal, le futur du capitaine Cesc Fabregas alimente à nouveau les rumeurs. En témoigne la réaction de colère d’ Arsène Wenger suite à la publication par le magazine espagnol Don Balon d’une interview du joueur (et que nous avons publiée). Alors que les Gunners s’attendaient à ce qu’il affirme son attachement au club, Fabregas a déclaré qu’en Espagne, un coach principal qui ne décroche pas un trophée en trois ans ne survivrait pas. Allusion à peine voilée à son manager français, qui n’a plus décroché de titre avec Arsenal depuis 6 ans. Wenger a accusé Don Balón d’avoir manipulé les propos de son médian offensif, mais un enregistrement de l’interview a révélé que le journaliste avait relaté à la lettre les propos de l’international espagnol.

La colère de Wenger n’est qu’une preuve de plus de sa frustration de n’avoir pas pu jouer un rôle en vue la saison écoulée. Un nouveau gardien et un excellent arrière central sont les priorités pour les Gunners, peu importe que Fabregas reste ou pas. La star des Gunners est toujours convoitée par le Real et par Barcelone, qui axeront toutefois davantage leur campagne sur des renforts défensifs, en atteste le passage probable de l’arrière-gauche portugais Fabio Coentrao à Madrid.

Quant au FC Barcelone, les succès des dernières années sous Pep Guardiola ont donné lieu à des transferts record et à un déficit criant. Le directeur du marketing Laurent Colette a admis récemment que sans l’accord de sponsoring de la Qatar Foundation pour un montant de 140 millions d’euros, le Barça aurait sans doute dû se résoudre à vendre Lionel Messi pour apurer les dettes. Le foot espagnol est de loin le plus endetté d’Europe, avec un passif global estimé à 3,36 milliards. On attend donc de voir si le FPF peut contribuer à une plus grande discipline financière, notamment dans des clubs dépensiers comme l’Atletico Madrid, Valence ou Villarreal.

Italie : des comptes annuels pas très transparents

En Italie, on a accueilli avec cynisme la perspective de voir l’UEFA bannir un jour l’Inter ou Milan de toute compétition européenne. Durant la dernière décennie, l’Inter a dépensé sans compter, autant que Chelsea et Manchester City. Seulement, le manque de détails au sujet des comptes annuels de l’Inter rend le succès de l’an dernier en Ligue des Champions très difficile à chiffrer. En attendant, le coach de l’AC, Massimiliano Allegri tout juste auréolé du titre, aurait déjà demandé à Silvio Berlusconi de dégager des moyens importants sur le marché des transferts cet été. La réalité, c’est que les deals des Milanais risquent de rester modestes, avec les arrivées possibles de joueurs gratuits en fin de contrat : Taye Taiwo (Marseille) et Philippe Mexès (AS Rome). Le meneur de jeu brésilien de Santos Paulo Henrique Ganso risque bien être la signature la plus médiatisée chez les Rossoneri.

Le buteur argentin Javier Pastore de Palerme et l’ailier chilien Alexi Sanchez de l’Udinese sont en tête de la wish list de l’Inter qui pourrait se voir doubler par soit l’un des deux clubs de Manchester ou contraint de d’abord vendre pour ensuite acheter.

La Juventus paraît de moins en moins déterminée à payer les 14,5 millions réclamés part Liverpool pour les services d’ Alberto Aquilani surtout depuis qu’elle s’est offert Andrea Pirlo. Même si son gardien fétiche a annoncé qu’il n’avait absolument pas l’intention de partir, la Vieille Dame ne retiendrait pas Gianluigi Buffon. Cela l’aiderait à équilibrer le bilan alors que le club étrennera pour la première saison son nouveau stade, érigé sur le site de l’ancien Stadio delle Alpi.

L’AS Rome, dont on évoque le passage aux mains de nouveaux propriétaires américains début juillet, aurait déjà approché Buffon, l’un des nombreux gardiens qui changeront d’employeur cet été. La retraite d’ Erwin van der Sar et le départ du portier n° 1 allemand Manuel Neuer de Schalke 04 vers le Bayern devrait enclencher une valse des gardiens dans les clubs du top européen. Le gardien de la sélection espagnole des moins de 21 ans David De Gea (Atletico Madrid) est très courtisé, Manchester United ayant même annoncé qu’il l’avait signé.

Des nouveaux talents sud-américains

Les jeunes footballeurs d’Amérique latine prêts à rejoindre l’Europe se nomment entre autres Erik Lamela et Rogelio Funes Mori (le duo de River Plate, en Argentine). Et la péninsule Ibérique reste toujours le premier port d’attache favori des joueurs sud-américains les plus talentueux, et ce même si Chelsea a réussi un beau coup en signant le jeune talent brésilien des -17 ans Lucas Piazon (Sao Paulo). Juan Manuel Iturbe, le Paraguayen né en Argentine qui a fait sensation lors du récent championnat sud-américain des -20 ans, a confirmé qu’il rejoindrait le FC Porto lorsqu’il aurait 18 ans, soit en ce mois de juin. L’arrivée d’Iturbe devrait accélérer la vente du buteur brésilien Hulk ou de l’avant colombien Falcao.

Porto, récent vainqueur de l’Europa League, a été l’un des clubs européens les plus performants sur le marché des transferts ces dernières années. Le club portugais a ainsi découvert une flopée de joueurs talentueux à prix raisonnable, les a fait évoluer pour ensuite monnayer leur départ à prix fort. Cela ne contente peut-être pas ses supporters, qui voient chaque saison partir les joueurs vedettes, mais en attendant, c’est une marque de stabilité financière et cette politique a été très efficace. A l’aube de cette nouvelle ère marquée par plus de prudence financière instaurée par l’UEFA, l’avenir nous dira si cette stratégie intelligente sera copiée par un nombre croissant de clubs, pour arriver à un meilleur équilibre du foot européen.

PAR NICK BIDWELL & GAVIN HAMILTON (ESM)- PHOTOS: REPORTERS

 » Sans l’accord de sponsoring avec le Qatar, le Barça aurait sans doute dû se résoudre à vendre Messi pour apurer les dettes. « 

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