DERNIÈRE MISSION : UN SELFIE AVEC FEDERICA PELLEGRINI

 » Les choses vous semblent toujours impossibles jusqu’à ce qu’on les ait réalisées « , disait Nelson Mandela. Greg Van Avermaet l’a prouvé en s’imposant sur le parcours le plus dur de l’histoire des JO, lui qui n’a encore jamais remporté la moindre classique cycliste.

Que fait un journaliste belge présent aux Jeux lorsque, le même jour, Charline Van Snick peut décrocher une médaille au parc olympique (à l’ouest de Rio) alors que l’épreuve de cyclisme sur route arrive 30 km plus loin, sur la plage de Copacabana ? Comme on affirmait que cette course était trop dure pour nos compatriotes, nous avions opté pour la plus grande chance de médaille, donc pour Van Snick, bien que celle-ci ait hérité d’un tirage difficile.

Nous avons donc quitté notre studio de Copacabana dès 7 heures du matin afin d’éviter les embouteillages, d’autant que certaines routes étaient barrées en raison de la course. Quatre heures plus tard, la Liégeoise était éliminée par la Brésilienne Sarah Menezes (voir Au coeur des Jeux).

Nous avons donc chamboulé les plans, pris le bus puis la nouvelle ligne de métro et, une heure plus tard, nous étions de nouveau à Copacabana alors que des collègues ayant opté pour la voiture étaient coincés dans les bouchons. Les coureurs étaient alors en route depuis plus de cinq heures, il leur restait un peu plus de 40 km à parcourir. Près de la plage – déserte car rendue inaccessible par des barrières – quelques dizaines de spectateurs regardaient la course sur un écran géant. Des Vénézuéliens, des Colombiens, des Hollandais et, curieusement, seulement quelques Belges.

Un peu plus loin, affalé sur une chaise, Zdenek Stybar. Il a travaillé pour son leader, le Tchèque Leopold König, et il est revenu vers la ligne d’arrivée, où il attend un soigneur. L’ex-champion du monde constate que Van Avermaet a accompagné le groupe de tête.  » J’ai vu Greg dans le peloton. Il a l’air bien. S’il peut s’accrocher dans la dernière côte ou s’il ne perd pas trop de temps, il ira loin.  » Le Tchèque doit avoir une boule de cristal…

Nous marchons vers la ligne d’arrivée mais il n’y a pas beaucoup d’ambiance. D’un côté, une rangée de spectateurs. De l’autre… personne. Sauf dans une tente VIP où le roi de Hollande, Willem Alexander, boit du champagne. Plus près de l’arrivée encore, alors qu’il n’y a pas un chat dans les tribunes, nous sommes surpris que personne ne nous empêche de prendre place dans la zone des soigneurs. Dans un championnat du monde organisé en Europe, ce serait impossible – nous savons de quoi nous parlons – mais à Rio, on est moins strict.  » C’est la course la plus mal organisée de tous les temps « , grimace un soigneur hollandais.

Renaat Schotte, de la VRT, est le seul autre journaliste à avoir franchi la ligne d’arrivée.  » C’est interdit mais même si on m’arrache le micro des mains, si Greg est champion olympique, nous devons être les premiers à l’avoir « , dit-il.  » Et tant pis si on m’exclut des Jeux : ce moment-là, on ne me le reprendra pas.  »

DE PLUS EN PLEURS

Entre-temps, le speaker local a haussé le ton car Rafal Majka s’est détaché. Greg Van Avermaet et Jakob Fuglsang sont partis à sa poursuite.  » Copacabana are you ready ? « , hurle-t-il dans son micro. Laurens De Plus (20), qui en est à ses premiers Jeux et s’est donné à fond pour les autres Belges, est revenu vers l’arrivée où il se ronge les ongles.  » Greg va les battre tous « , dit-il.

Ce que beaucoup pensaient impossible se réalise alors : le Belge s’impose au terme d’un sprint phénoménal et est champion olympique. Nous courons derrière lui, passons devant De Plus en pleurs et voyons Van Avermaet hurler de joie dans les bras du soigneur Hans Van Hout. Rafal Majka est le premier à le féliciter.  » Thanks, man « , répond le Flandrien alors que les premières questions tombent.  » Greg, how do you feel ? «  La réponse fuse :  » The best day in my life « . Il est dans l’émotion mais, quelques secondes plus tard, il analyse déjà très sobrement sa course, comme s’il venait de remporter la kermesse de Roulers.

De Plus, toujours en pleurs, le serre fort dans ses bras mais il reste aussi serein au moment de répondre aux questions de Renaat Schotte. Viennent alors les félicitations du mécano, Steven Van Olmen, et du sélectionneur, Kevin De Weert, qui tremble littéralement sur ses jambes. Il fait étrangement calme et, alors qu’on le conduit vers la zone mixte, nous pouvons entendre Greg Van Avermaet lancer au médecin de la fédération, Ruud Van Thienen :  » J’ai une médaille d’or !  »

Ce titre exceptionnel suscite également la joie des autres Belges. Notamment Paul Herijgers, qui a suivi la course en tant que dépanneur pour Shimano.  » J’ai encouragé une dernière fois Greg dans la dernière ascension. Il avait le masque, ne voulait pas lâcher. Je ne l’avais jamais vu aussi déterminé.  »

Mais pour Herijgers, le plus beau moment restait à venir.  » En route vers l’arrivée, je suis passé près de Serge Pauwels et c’est à ce moment-là que j’ai entendu à la radio que Greg avait gagné. J’ai fait un geste à Serge, c’est dans la poche. Mais il ne me croyait pas. Il m’a demandé trois fois : C’est vrai ? Et même comme ça, il est encore allé vérifier auprès d’une autre voiture suiveuse. Il était tellement heureux…  »

Philippe Gilbert, qui arrive treize minutes après Van Avermaet, est très surpris. Bien qu’il ne s’entende pas trop bien avec son équipier de chez BMC, il semble sincèrement content pour lui.  » J’ai vécu les Jeux olympiques d’Athènes en 2004, lorsqu’Axel Merckx a décroché la médaille de bronze. Mais ici, c’est encore plus spécial, c’est le couronnement d’une génération exceptionnelle. Quand on voit le nombre de titres mondiaux remportés par Tom Boonen, par moi et maintenant par Greg…  »

JUS DE NOIX DE COCO

Cette victoire, Van Avermaet la doit en partie à… la météo.  » Le plan était d’anticiper les attaques dès le premier tour mais dans le bus, Greg et moi avons vu sur notre GSM qu’après 12 heures, le vent allait tourner et souffler en direction de la ligne. Nous avons alors décidé d’attendre le dernier tour. Un choix qui s’est avéré crucial.  »

Kevin De Weert, qui conduisait pour la première fois une voiture suiveuse en course, retiendra surtout la joie de ses coureurs et les larmes du jeune De Plus, qui ont fait le tour du monde.  » J’ai moi-même été équipier pendant des années et j’étais très heureux lorsque mon leader l’emportait. L’ambiance au sein du groupe a été fantastique tout au long de la semaine. Les coureurs avaient fait un groupe WhatsApp sur lequel ils n’arrêtaient pas de se faire des blagues, nous avons bu du jus de noix de coco ensemble…  »

Entre-temps, Greg Van Avermaet, flanqué de Rafal Majka et Jakob Fuglsang, attend la cérémonie protocolaire sous un chapiteau, les bras croisés, affalé sur une chaise, comme s’il savourait une sangria en terrasse. Petit problème : il n’a pas de chaussures de sport avec lui, seulement les tongs qu’il porte toujours en raison de ses problèmes au talon.

Heureusement, Hans Van Hout, le soigneur, a la même pointure que lui. C’est ainsi que Van Avermaet prend la direction de la chambre d’appel en téléphonant chez lui. Brian Cookson, le président de l’UCI, lui serre la main.

Alors que les trois médaillés se rendent vers le podium en marchant au pas, comme des militaires, le président fédéral Paul Van Damme, visiblement ému, De Weert, Gilbert, Pauwels, De Plus et Tim Wellens sifflent et applaudissent depuis la tribune. C’est alors que le moment le plus magique de la journée se produit sur l’Avenida Atlântica : la Brabançonne retentit avec, en bruit de fond, les vagues de l’océan Atlantique qui viennent mourir sur la plage de Copacabana tandis que le soleil descend lentement derrière les immenses buildings de Rio et que la lumière devient orange. On tremblerait pour moins que ça.

Après la cérémonie protocolaire, Van Avermaet doit se présenter à la conférence de presse pour la presse écrite au Forte de Copacabana, construit en 1914 sur un bout de terre qui offre une superbe vue sur la mer. Dans l’auditorium du Museu Histórico do Exercito, Van Avermaet est (brièvement) applaudi par les journalistes étrangers, ce qui est rare.

FAN DE PELLEGRINI

Outre les questions traditionnelles sur la course, un journaliste brésilien veut savoir quel impact le public brésilien a eu sur sa victoire. Van Avermaet soigne ses relations publiques, dit qu’il a été impressionné et que  » malgré toutes les informations négatives qui circulent, les Brésiliens ont fait de leur mieux pour bien organiser les Jeux « . Une phrase avec laquelle tout le monde ne sera pas d’accord. Le gars qui n’y connaît rien (il y en a toujours un) veut savoir d’où il vient. Van Avermaet ressort son passé de gardien des espoirs de Beveren mais raconte aussi qu’il a toujours été passionné par les Jeux olympiques.

On s’en aperçoit lorsque, après la conférence de presse, il se rend avec Renaat Schotte vers la plage de Copacabana où ont lieu les interviews live.  » Je vais essayer de suivre certaines épreuves dans les prochains jours, surtout la natation « , dit-il. Ce qu’il fait le dimanche lors des séries du 4 X 100 mètres nage libre.

Le coureur est même fan de Federica Pellegrini, la superbe crawleuse italienne. Son but : faire un selfie avec elle (s’il n’y est pas encore arrivé). Il en a déjà un avec la (tout aussi jolie) athlète américaine Allyson Felix.  » Je me suis dit que je devais faire un bon résultat pour qu’elle like ma photo sur Facebook.  » Vu le statut qu’il a acquis au village olympique, cela ne devrait pas poser de problème.

Van Avermaet raconte pour la énième fois son aventure pour les dernières éditions des journaux télévisés tandis que le docteur Ruud Van Thienen, qui a suivi la course dans la voiture aux côtés de Kevin De Weert, le regarde avec des yeux qui brillent.  » Greg était parfaitement détendu tout au long de la semaine mais il était concentré et accordait de l’importance aux détails, comme la quantité d’eau qu’il devrait emmener pour éviter la déshydratation et le manque de sels minéraux. Cela a payé car plusieurs coureurs sont venus nous demander des bidons. Nous avons évidemment refusé, nous ne sommes pas les Bons Samaritains.  »

Van Thienen savait que Van Avermaet avait de bonnes jambes.  » Lorsqu’il s’est retrouvé dans le groupe de cinq, juste avant la dernière ascension de Vista Chinesa, à 30 km de l’arrivée, il nous a dit : Je vais tous les battre. Quand on dit ça alors que les trois quarts du peloton sont déjà lâchés… (il souffle). C’est le signe d’un vrai champion.  »

Dernière formalité : le contrôle anti-dopage. Van Thienen, Ben Roeges (l’attaché de presse du COIB) et De Weert ramènent Van Avermaet en voiture vers la ligne d’arrivée où la famille De Saedelaere l’attend. Ce ne sont pas des inconnus car ils viennent de Zele, le village où Van Avermaet est né.

 » Je connais très bien Ronald, le père de Greg « , dit Peter De Saedelaere.  » Cela fait des mois qu’il répète que Greg avait un grand objectif en tête : les Jeux. Sa grand-mère nous a demandé de lui dire avant le départ de ne pas faire confiance à Philippe Gilbert (il rit). Je n’ai pas pu le faire mais je ne pense pas que Gilbert lui ait mis des bâtons dans les roues, au contraire.  »

PAR JONAS CRETEUR À RIO – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Le plan était d’anticiper les attaques dès le premier tour mais dans le bus, Greg et moi avons vu sur notre GSM qu’après 12 heures, le vent allait tourner.  » PHILIPPE GILBERT

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