Déraciné et des ailes

L’attaquant bosniaque qui a fui la guerre de l’ex-Yougoslavie s’est finalement posé à Mouscron en 2005. Il va y fêter son 100e match.

Le centre de Mouscron, un jour de semaine. Vivant. Sans plus. Le Passé Simple ? Suffit d’aller tout droit et c’est sur la Grand-Place. Un rez-de-chaussée où vous pouvez acheter des pâtisseries, un étage qui fait brasserie. Avec de la Guinness au fût, rien que cela. Pile à l’heure, Adnan Custovic débarque. Décontracté, tout sourire. Les obligations médiatiques ne le dérangent pas. On dirait même qu’il apprécie. Rien d’étonnant pour un joueur à la fois humble et honnête.

C’est lui qui a choisi l’endroit. Lorsqu’on a évoqué le fait qu’il inaugurait la nouvelle série Discussion de comptoir, il a juste avoué qu’il ne sortait pas beaucoup… avant de nous aiguiller vers cet établissement qui a pignon sur rue. Il fallait juste un café, un restaurant, un snack, etc. Bref un lieu où se poser qui trahisse la personnalité de la personne interviewée. Pour Custovic, le choix s’est avéré parlant. Le Passé Simple trône au centre de ce qui est devenu depuis quatre ans sa ville-référence. Lui, le nomade, l’exilé permanent, s’est fixé dans ce coin du Hainaut occidental. Il a fait construire une maison à Mouscron, signe qu’il ne se sent plus en transit. Il goûte au folklore local, en enfilant le costume des Gilles lors de la fête des Hurlus. Il s’érige, année après année, en leader de l’Excelsior et c’est dans la région que ses deux enfants sont nés, Allem à Lille (il a la nationalité française) et Noam à Mouscron (il possède les trois nationalités : belge, française comme sa mère et bosniaque comme son père). Bref, en route pour une interview terroir.

 » Faire le Gille ? J’ai été gâté : il a plu de 6 h 30 à 21 h 30 ! « 

 » Cela fait maintenant quatre ans que je suis à Mouscron. Je me sens bien ici. J’essaye de m’impliquer dans la vie du club et dans celle de la ville. Le kiné et le secrétaire m’ont dit que c’était sympa de faire le Gille et comme j’aime bien tout ce qui a trait aux traditions, je me suis lancé. J’ai été gâté : il a plu de 6 h 30 à 21 h 30 ! Et il fallait continuer à chanter et danser. Je suis passé dans beaucoup de pays et j’essaye de prendre le meilleur dans chacun et de laisser le moins bon. Si j’avais joué à Pampelune, j’aurais participé à la feria et à la course aux taureaux. Un jour, je suis passé par Biarritz. J’ai senti que les gens y vivaient pour les traditions (la pelote basque, le rugby, la corrida). On percevait la dignité et la fierté d’être basque. Ici, à Mouscron, les gens sont simples et chaleureux. Il n’y a pas de pression et on se fait plaisir. Je me suis habitué à la ville. On est près de tout (Lille, Bruxelles, Bruges). Est-ce que je resterai ici à l’issue de ma carrière ? Qui sait ? Je ne suis pas contre. Je me trouverai un petit boulot… « 

 » Je ne suis pas un vrai attaquant « 

Depuis le départ de Steve Dugardein, c’est Custo qui a repris le relais en termes de longévité (quatre ans dans le noyau). Seul Daan Van Gyseghem était déjà là quand le Bosniaque est arrivé :  » Avant Mouscron, j’avais connu quelques années de galère. J’étais passé deux fois par le chômage. J’ai vécu d’autres difficultés comme la guerre, l’état de réfugiés en Slovénie. Tout cela m’a renforcé. Je me suis posé. Pendant quelques saisons, on a parlé de mon transfert mais aucun club ne m’a fait d’offre concrète.  »

Cette envie de découvrir d’autres contrées et la peur du lendemain l’ont poussé à solliciter un passeport français sans succès :  » Je suis Bosniaque dans mon c£ur et mon âme. Cela ne changera pas mais ce passeport m’aurait épargné quelques problèmes, notamment lors des voyages. Aussi dans le cadre d’un transfert. L’Angleterre me tentait car les supporters auraient apprécié mon style de jeu. Maintenant, je suis un peu vieux pour partir. « 

 » Depuis que je suis ici, j’ai mis 40 buts. Je suis régulier et pourtant, je ne suis pas un vrai attaquant. Pas quelqu’un qui va attendre près du but. Je donne beaucoup pour l’équipe. Et à la fin de ma carrière, je voudrais qu’on se rappelle de moi comme de quelqu’un qui donne sans compter. Parfois, on me dit que je suis nonchalant sur le terrain. Ceux qui affirment cela ne me connaissent pas et restent assis bien sagement dans leur canapé. Car ceux qui me voient savent que je déteste perdre et que je suis perfectionniste. Je suis un battant, un guerrier, quelqu’un qui n’a jamais posé problème. Je peux regarder tout le monde dans les yeux. « 

 » Marcin Zewlakow est le meilleur joueur que j’ai côtoyé à Mouscron « 

En quatre ans, Custovic a toujours fait partie des plans de son entraîneur. Que ce soit Geert Broeckaert, Gil Vandenbrouck, Ariel Jacobs, Marc Brys ou Enzo Scifo, l’idole de sa jeunesse : » Je me prenais pour lui quand j’étais jeune. Quand tu vois ce qu’il fait avec le ballon, tu te dis qu’il pourrait encore jouer. Il possède ce toucher de balle qui lui permet de sortir un contrôle de nulle part.  »

A 30 ans, il est passé des crises aux bonnes passes mouscronnoises :  » J’aurai tout connu. Les problèmes financiers ou la finale de la Coupe de Belgique contre Zulte Waregem. Cette défaite me reste toujours en travers de la gorge. J’aurais préféré qu’on s’incline 3-0 que 2-1 dans les dernières minutes. Aujourd’hui, je suis un peu moins timide. J’essaye de mettre l’ambiance et de donner des conseils aux jeunes mais je ne suis pas du style à gueuler. Je préfère montrer mon autorité en répondant présent dans les duels . Le meilleur joueur que j’ai côtoyé à Mouscron est Marcin Zewlakow, un attaquant complet qui savait être à la finition et protégeait très bien le ballon.  »

Comme bilan, cela donne 99 matches et 40 réalisations. Cette année, il a déjà trouvé le chemin des filets à cinq reprises :  » Mouscron est plus fort que l’année passée. Il y a un meilleur équilibre et davantage de maturité. Mais il nous manque parfois l’envie de se dépasser. On se satisfait de trop peu. Lorsqu’on a atteint la deuxième place, on a connu un relâchement. On aurait dû se remettre en question mais on ne l’a pas fait. Si chacun évolue à son niveau, on peut battre tout le monde. Malheureusement à certains matches, sept joueurs sont parfois moins bien. Au début de la saison, on était plus frais ; on avait la chance avec nous. Après on a connu un deux sur 12 avant la victoire contre Charleroi. Les adversaires commençaient à nous connaître et on s’est peut-être vu un peu trop beau. A Anderlecht, on aurait dû se montrer plus conquérants. Les Mauves n’étaient pas bons et, à aucun moment, on a eu envie de se dépasser. On n’est pas parti là-bas pour gagner. En début de saison, il y avait des gagneurs. Après, moins. Seul Mark Volders reste à son niveau. Il fait une saison remarquable et mérite sa place en équipe nationale.  »

AdnanCustovic est né le 16 avril 1978 à Mostar (Bosnie)

Attaquant, 1,85m, 81 kg

Carrière : Après avoir débuté dans sa Bosnie natale, à Velez Mostar, il fuit son pays pour la Slovénie, chassé par la guerre, en 1996. Pendant deux ans, alors qu’il mène des études d’ingénieur civil, il porte les couleurs de Triglav.

En 1998, il part pour la France et durant deux saisons, il évolue en Ligue 1 au Havre (16m/1b) avant de descendre en Ligue 2 avec son club. En 2002, il rejoint Laval puis file à Amiens en 2004. En 2005, il rallie le championnat belge et Mouscron (99 m/40 b).

International A de Bosnie-Herzégovine : 4m/1b

par stéphane vande velde – photos: reporters

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