© belgaimage

Der Himmel im Revier

Benito Raman a rejoint Schalke 04, le club le plus houleux d’Allemagne. Un cimetière d’entraîneurs visité par des fans dont le coeur balance entre admiration et mépris.

C’était il y a une dizaine d’années. Schalke 04 recevait le Bayern Munich. Comme à chaque match à domicile ou presque, le stade était comble. Mais l’équipe jouait si mal, à ce moment, que les supporters avaient décidé de protester, avec beaucoup d’originalité. Schalke a été fondé en 1904. Les supporters ont voulu rester immobiles et silencieux pendant 19 minutes et quatre secondes.

Ça a failli marcher mais l’équipe a marqué après dix minutes. Ils ont un peu jubilé avant de retomber dans leur silence accablant. On pouvait entendre les joueurs s’interpeller sur le terrain. C’était surréaliste. A l’approche des 19 minutes et quatre secondes, ils ont entamé un compte à rebours et juste à ce moment, Schalke 04 a doublé la marque. Le soulagement qui a secoué le stade avait de quoi donner des frissons.

L’anecdote illustre parfaitement le caractère de Schalke 04. Les résultats pèsent sur l’humeur des gens. Ils sont joyeux en cas de victoire, sombres dans la défaite. C’est propre à la Ruhr, qu’on appelle aussi le Revier et qui abrite 118 clubs. Schalke est une véritable religion pour des partisans. La présence d’une chapelle dans les entrailles du stade est donc appropriée.

Une table design en verre sert d’autel. Bien plus que son voisin Dortmund, Schalke 04 est la seule raison de vivre de ses partisans, der Himmel im Revier, comme le speaker du stade aime à le répéter à quelques reprises.

UNE NOSTALGIE TENACE

Schalke 04 n’a plus été champion depuis 1958. Il attend donc un nouveau titre depuis 61 ans. Il a remporté son dernier trophée, la coupe d’Allemagne, en 2011 mais globalement, on considère sa victoire en Coupe UEFA, en 1997, comme le plus grand succès de son histoire. Marc Wilmots était alors un des piliers de l’équipe, sous la direction du Néerlandais Huub Stevens. Celui-ci a tenu bon près de six ans et on a souvent romantisé cette période.

L’embauche en 2008 d’un autre entraîneur néerlandais, Fred Rutten, n’était pas anodine. Le club pensait avec nostalgie à la période vécue sous la houlette de Stevens, rappelé un temps la saison précédente après le limogeage de l’Italien Domenico Tedesco. Rutten n’allait toutefois pas achever la saison, à l’instar de tant d’entraîneurs à Gelsenkirchen.

Schalke 04 est un cimetière d’entraîneurs. Le club de Gelsenkirchen a toujours évolué en Bundesliga depuis sa fondation en 1963, à cinq saisons près. Il en est donc à sa 52e saison parmi l’élite allemande. Durant ce laps de temps, il a usé 46 entraîneurs. Il en a limogé trente prématurément.

L’entraîneur actuel, le Germano-Américain David Wagner, peut également s’attendre à subir le même sort. En janvier, Huddersfield Town l’a limogé, après un peu plus de trois saisons. Il avait amené ce club en première division et l’avait préservé de la relégation l’exercice suivant.

Schalke 04 entame chaque championnat avec de grandes ambitions mais elles aboutissent souvent à de profondes déceptions. Comme la saison passée : alors que Schalke 04 avait terminé deuxième l’année précédente, il a été menacé de relégation. Un moment donné, l’équipe paraissait impossible à sauver et en mars, après une douloureuse défaite contre le Fortuna Düsseldorf, la haine des tribunes a atteint un point choquant.

Quand Schalke a été, en sus, étrillé 7-0 à Manchester City, en Ligue des Champions, la direction a décidé de rappeler Stevens. Il a sauvé le club et y a acquis le statut d’un saint.

DE GRAVES ERREURS DE GESTION

Schalke 04 ne veut plus vivre pareille scénario. Il n’a pourtant pas été très actif sur le marché des transferts, ne serait-ce que parce qu’il est privé de recettes européennes. D’autre part, le stade est complètement remboursé. Schalke 04 a décidé d’investir son énergie dans quelques remaniements de la direction.

Il a engagé un nouveau directeur technique, Michael Reschke, et un joueur, Sascha Riether, qui a mis un terme à sa carrière en mai, au poste de coordinateur entre le noyau et la direction. Celle-ci compte neuf nouvelles têtes. Tout n’est pas encore très clair mais c’est inhérent à l’histoire turbulente du club.

Ces remaniements doivent théoriquement générer une meilleure gestion que la saison passée, durant laquelle le directeur technique Christian Heidel s’était accordé toute latitude de diriger le club selon ses vues. Il a démissionné en mars, ce qui lui a valu moult critiques puisqu’il quittait un navire en train de couler. Désormais, trois personnes doivent s’accorder sur chaque transfert. L’entraîneur a une voix importante.

Les graves erreurs de gestion constituent le fil rouge de l’histoire de Schalke 04. Il a raté énormément de transferts. Beaucoup de joueurs n’ont pas réussi à s’intégrer, à cause de la tactique mais aussi parce que le club a commis des erreurs qui n’ont pas favorisé leur intégration.

A moins que Schalke 04 n’ait embauché des joueurs qui ne lui convenaient pas. On pense ainsi au transfert de Breel Embolo, un Suisse d’origine camerounaise, venu du FC Bâle en 2016. Il a coûté 22,5 millions et est le joueur le plus cher de tous les temps à Gelsenkirchen.

En trois saisons, l’avant n’a inscrit que dix buts et il vient d’être vendu pour dix millions au Borussia Mönchengladbach. C’est donc une perte gigantesque. En outre, le système de scouting est bancal. Le club s’est enfin décidé à le revoir. Les nouveaux joueurs vont être l’objet d’un screening plus approfondi. En verra-t-on les effets dès cette saison ? Schalke 04 a en tout cas fait appel à un accompagnateur auquel les joueurs peuvent s’adresser à tout moment. Ainsi qu’à un psychologue du sport, pour la première fois.

RAMAN, LE SIXIEME BELGE

La saison passée, Schalke 04 a surtout eu des problèmes offensifs. Le médian défensif Daniel Caligiuri a été son meilleur réalisateur avec sept buts, c’est tout dire. Le club a enrôlé Benito Raman pour combler cette lacune. Il convient bien au football rapide, agressif et passionné que prône David Wagner, même si on ne sait pas encore exactement quel poste l’entraîneur va attribuer au Gantois, qui a coûté treize millions.

En tout cas, tout le monde attend de lui qu’il améliore l’équipe par son rythme, sa dynamique et son sens des espaces. Raman est le sixième Belge qui va se produire pour Schalke 04, après Marc Wilmots, Michaël Goossens, Nico Van Kerckhoven, Emile Mpenza et Sven Vermant.

Le défenseur turc Ozan Kabak, transféré pour quinze millions du VfB Stuttgart, relégué, est encore plus cher. Kabak, âgé de 19 ans, a signé un contrat jusqu’en 2024. Il aurait également intéressé le Bayern et l’AC Milan. C’est un transfert soigneusement réfléchi. Gelsenkirchen abrite une importante communauté turque, folle de football.

Schalke 04 espère qu’elle trouve le chemin de la Veltins Arena, bien qu’elle soit quasi comble à chaque match, malgré ses 62.271 places. Le club a épuisé son budget transferts en dépensant 28 millions pour les deux footballeurs et il n’a toujours pas de buteur, alors que ça devait être la priorité absolue. La saison dernière, Schalke 04 n’a inscrit que 37 buts, dont sept sur penalty.

On a beau louer les nouveaux joueurs, tous les regards sont tournés vers David Wagner, qui travaille avec un tout nouveau staff. Le cinquième entraîneur en trois ans et demi est un homme dépourvu de complexes. Il aime être sous les feux de la rampe et on a pu le remarquer lors de sa présentation. Wagner a déclaré être fier et happy de travailler pour ce club.

Alors que le président Jochen Schneider fuyait les caméras, Wagner a assuré le spectacle avec bravoure. Il a raconté qu’il vivait un moment très émouvant et qu’il avait été saisi de découvrir les fantastiques installations du club. C’est un beau discours de promotion. Il a ensuite parlé d’un club qui, à l’issue d’une horrible saison, ressemblait à un chantier dévasté par une tempête.

PAS D’ATTENTES DÉPLACÉES

Wagner a encore dit qu’il préférait disposer de 18 vis qu’il pouvait faire tourner que de devoir chercher des possibilités d’amélioration. Le problème, c’est que beaucoup de vis sont rouillées. Wagner a parlé de cohésion, après une saison marquée par de nombreux problèmes internes. Ce sera compliqué. La majorité des joueurs de Schalke n’a pu s’identifier au club et au projet de Domenico Tedesco la saison passée. Beaucoup d’entre eux sont toujours sous contrat. Schalke 04 doit réduire son noyau de plus de trente têtes mais il n’est pas facile de se débarrasser de certains footballeurs.

David Wagner, un ami de Jürgen Klopp, ne manque pas d’assurance. Né d’un père américain et d’une mère allemande, il a grandi à Francfort. D’un naturel ouvert et positif, il est toujours parvenu à former et à souder un groupe. Il aime à parler de football cool. En même temps, Wagner est réaliste. Il trouve que le gouffre avec le gros du peloton est énorme et qu’il faut le combler avant de viser plus haut. Il insiste : il ne faut pas nourrir d’attentes déplacées. Une neuvième place constituerait déjà un bon résultat, après la 14e de la saison passée, selon lui.

Schalke 04 et la modestie font deux. Pourtant, cette qualité est requise, dans les conditions actuelles. Le club est conscient de devoir regagner les coeurs de ses supporters et de redevenir plus attractif. La saison passée, l’équipe a été trop souvent monotone, ennuyeuse. Le produit proposé n’était plus adapté. Le responsable du marketing Alexander Jobst vient d’opérer la comparaison avec l’industrie automobile. Il a dit que la carrosserie était belle, le confort parfait, le système de navigation au point mais que le moteur calait encore. Ce qui le tracassait. Il craignait que Schalke 04 ne quitte le premier peloton et ne vivote dans le ventre mou de la Bundesliga.

Des soucis pour l’avenir, c’est aussi nouveau à Gelsenkirchen. David Wagner aura bien du mal à faire taire tous les pessimistes. Il entame sa mission le 17 août. En déplacement au Borussia Mönchengladbach.

Une âpre rivalité

Il faudra patienter encore un peu mais le derby passionné entre Schalke 04 et le Borussia Dortmund est programmé le week-end des 26 et 27 octobre. Pour les partisans de Schalke 04, ce match est bien plus important que la confrontation avec le Bayern. Une âpre rivalité règne entre les deux clubs. Pire même : quand ils s’affrontent, ils sont empreints de haine et de jalousie.

Alors que le football devrait unir la Ruhr, il en divise même des familles. Par exemple, on dit que les supporters du Borussia Dortmund n’iront jamais faire le plein chez Aral parce que la société-mère porte les mêmes couleurs que Schalke : bleu et blanc. De leur côté, les supporters de Schalke ne veulent rien avoir à faire avec ce qui vient de Dortmund, même pas une bière très renommée : la Dortmunder…

Cette haine est étonnante car les deux clubs ont davantage de points communs que de différences. Ils sont tous deux issus de quartiers ouvriers et ils ont rapidement endossé un rôle d’intégration pour les immigrés venus de Pologne et des états baltes. Les deux formations veulent également développer un football aventureux, empreint de passion et d’émotion.

Pourtant, cette rivalité ne cesse de croître, au point d’être devenue malsaine. Ça s’exprime de toutes les façons possibles. Il y a quelques années, avant un derby, un partisan de Schalke a embouti sa voiture dans un poteau. Ce n’est qu’une anecdote, qui devrait passer inaperçue. Mais non. Car l’accident a eu lieu à Dortmund. Borussia-Strasse…

Pour le coach David Wagner, une 9e place serait déjà une réussite cette saison.
Pour le coach David Wagner, une 9e place serait déjà une réussite cette saison.© belgaimage
Benito Raman
Benito Raman© belgaimage
Le défenseur Özan Kabak devrait attirer la communauté turque à la Veltins Arena.
Le défenseur Özan Kabak devrait attirer la communauté turque à la Veltins Arena.© belgaimage

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire