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DER BOMBER

Gerd Müller est le meilleur avant de tous les temps en Allemagne. Il est resté modeste malgré ses succès mais ça ne l’a pas empêché de déraper un moment, après sa carrière.

Pendant sa carrière, on a souvent demandé à Gerd Müller pourquoi il marquait si facilement. Il parlait invariablement de son sens inné du but et de sa vitesse de réaction, supérieure à celle des autres. Il ne s’est jamais entraîné spécifiquement et, ajoutait-il, il était constamment en mouvement. Pourtant, Müller ne donnait pas toujours cette impression. Il semblait plutôt attendre que le ballon l’atteigne. Les défenseurs, eux, ne s’y trompaient pas. Plus ils le tenaient de près, plus vite il réagissait. La beauté des buts ne l’intéressait pas, non : l’essentiel, c’était que le ballon rentre. Avec n’importe quelle partie du corps.

Gerd Müller était un attaquant spécial. Il marquait à l’issue d’une sorte d’explosion interne, il fêtait un instant son but puis faisait abstraction de l’euphorie. Quelle que soit la manière dont il prenait le ballon et pivotait, il savait toujours où le gardien se trouvait, comme s’il avait des yeux dans le dos. En dehors du rectangle, c’était un agneau mais dans les seize mètres, il devenait un prédateur.

On a surnommé Müller Der Bomber der Nation. Le Bayern calquait son football sur lui. Sa production a été inouïe : 535 buts en 585 matches officiels. Il possédait le même opportunisme en équipe nationale : 62 buts en 68 rencontres, dont le plus important est le goal de la victoire au Mondial 1974, en finale contre les Pays-Bas. Bizarrement, il a mis un terme à sa carrière internationale à l’issue de ce match. Müller était en fait furieux sur les dirigeants de la fédération, qui avaient interdit aux femmes des joueurs l’accès au banquet. Ce fut sans doute la seule fois qu’il se fit entendre bruyamment et clairement.

PAS DE CHARISME

Les buts de Müller avaient quelque chose de sympathique, voire de mélancolique, sans doute à cause de son manque d’exubérance, comme s’il avait honte des dégâts causés. En dehors du terrain, Gerd Müller préférait l’anonymat. Il manquait de charisme. Au début, il s’exprimait avec un fort accent du sud de l’Allemagne et il n’a jamais su exploiter commercialement sa popularité, au contraire de Franz Beckenbauer, par exemple, qui faisait de son mieux pour mettre en évidence les mérites de Müller. Ça n’a rien changé. Au début de sa carrière, on s’est fait une certaine image de lui et il ne s’est jamais donné la peine de la modifier. Les interviewes étaient une torture pour lui. Gerd Müller préférait parler avec des buts.

L’entraîneur yougoslave Zlatko Cajkovski l’appelait kleines, dickes Müller (le petit gros, ndlr). L’expression s’est ancrée dans les esprits. Au début, ce même Cajkovski surnommait Müller l’haltérophile. Ou le lanceur de poids, pour changer. Müller ne mesurait que 1m76 mais ses cuisses avaient un diamètre de 60 centimètres. Cajkovski ne croyait pas en lui. Il ne lui a offert sa chance que sur l’insistance du président Hermann Neudecker. Müller n’a pas réagi aux propos négatifs de l’entraîneur. Il n’est d’ailleurs jamais sorti du rang. Même pas quand ses coéquipiers ont ri de lui, à son arrivée au Bayern, en 1964. En fait, Gerd Müller voulait rejoindre le FC Nuremberg, son club préféré, mais celui-ci n’avait pas de place pour lui. Il a discuté avec Munich 1860, qui était alors le grand club de Bavière mais il craignait de ne pas jouer, à cause de la concurrence. Il ne restait donc que le Bayern, qui évoluait en Regionalliga. Le club le payait l’équivalent de 80 euros par mois et lui a trouvé un emploi à mi-temps comme livreur de meubles.

Gerd Müller ne va jamais renier ses origines : celles d’un garçon qui a perdu son père très tôt, qui a suivi une formation de tisserand après ses primaires, qui a péniblement décroché un brevet et travaille depuis l’âge de 14 ans. Un jour, il a repoussé une offre sensationnelle du FC Barcelone, en disant qu’il ne pouvait de toute façon manger qu’une Schnitzel par jour. Gerd Müller aimait la simplicité. Il vivait modestement. Quand on lui demandait quel était son plat préféré, il répondait : une salade de pommes de terre.

SAUVÉ PAR LE BAYERN

Gerd Müller a joué pour le Bayern pendant quinze saisons. Il a ensuite mis le cap sur Fort Lauderdale, en Amérique, où il s’est notamment produit aux côtés de George Best. A l’issue de sa carrière, il a tenu un restaurant aux États-Unis, sans succès, puis il est revenu en Europe. Et là, il a dérapé. Gerd Müller est devenu alcoolique, il a failli se retrouver en marge de la société mais le Bayern l’a sauvé. Il a suivi une thérapie avant d’endosser un poste dans l’école des jeunes du club bavarois. Une loyauté typique du grand club allemand.

Depuis deux ans, Gerd Müller, maintenant âgé de 71 ans, souffre de la maladie d’Alzheimer. Il ne vit plus chez lui mais dans une institution. Il présentait depuis longtemps des signes de démence, qu’il dissimulait soigneusement au monde extérieur. Müller vit désormais dans l’anonymat le plus absolu. La fête prévue pour ses 70 ans en novembre 2015 a été annulée. Il n’a célébré cet anniversaire qu’en petit comité mais un livre retraçant sa vie a été publié à cette occasion.

Désormais, Gerd Müller a des bons jours et des moins bons. Parfois, il ne reconnaît que sa femme. Müller a entamé son ultime combat. Celui contre l’oubli. Une lutte impossible.

PAR JACQUES SYS – PHOTOS BELGAIMAGE

Au début, on le surnommait l’haltérophile.

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