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Abus sexuels dans le foot: « Depuis que j’ai été abusé, je dors toujours avec la porte verrouillée »

Dans le football belge, peu osent parler des abus sexuels dont ils ont été victimes. Daan Goossens a raconté son histoire à Sport/Foot Magazine.

Daan Goossens (27 ans): « C’était le petit club de mon enfance. J’y jouais depuis mes sept ans. Cet entraîneur est arrivé au début de la saison 2008-2009. J’avais seize ans, lui en avait 24. L’équipe première jouait en troisième Provinciale. Moi, j’étais l’un des leaders des Cadets. J’étais l’un des meilleurs buteurs de la série. Durant l’année où cet homme coachait l’équipe, on a été champions. Mais ce n’était pas vraiment son mérite. Notre équipe regorgeait de talents, il ne pouvait pas nous apprendre grand-chose sur ce plan-là. Néanmoins, on avait une bonne relation avec lui. Lorsqu’on pouvait l’accompagner aux matches dans sa voiture, on était aux anges. Et quand on avait bien joué, il nous emmenait au McDonald’s.

À un moment donné, je ne quittais plus mon lit. Je pleurais sans arrêt. Je ne savais pas qu’un homme pouvait pleurer autant. »

Daan Goossens

Il n’est resté qu’une seule saison. Après, il est parti. Ou on l’a forcé à partir, je ne sais pas. Durant l’été 2009, peu de temps après qu’il a quitté le club, il a cherché à entrer en contact avec moi via MSN ( un service de chat en ligne, ndlr). Quand un entraîneur vous considère comme l’un de ses petits protégés, ça fait toujours plaisir. Il m’a demandé si je voulais passer le voir. Son appartement était à deux kilomètres de chez moi. J’y suis allé avec un ami. Après un quart d’heure, on est ressortis. »

« Je n’étais pas en état de me défendre »

« Cette même semaine, il a repris contact. Il m’a demandé de venir seul. Je n’y voyais pas d’inconvénient. Mes parents non plus. Ma mère était la déléguée de notre équipe. Elle le connaissait. Il venait régulièrement me chercher pour aller à l’entraînement ou au match.

Lorsque je suis entré chez lui pour la deuxième fois, il a directement verrouillé la porte et a baissé les volets. Je me suis assis dans le fauteuil à côté de lui. Il m’a demandé si on pouvait regarder un film ensemble. C’était du porno. Il m’a demandé si je voulais boire quelque chose. Il m’a offert un coca et un joint. Je n’en avais encore jamais fumé. Je n’avais même jamais bu d’alcool. J’ai d’abord refusé. Mais il me l’a quand même donné. Je me suis senti mal. Il m’a proposé de monter pour me reposer un peu. J’ai accepté.

Il s’est alors assis à côté de moi. Il m’a caressé la jambe et m’a demandé si ça allait. Je ne dirais pas que j’ai pris peur, mais je n’étais pas à l’aise. Il a tenté de me rassurer et m’a parlé calmement. Il m’a conseillé de m’allonger. Ce que j’ai fait. Il m’a alors demandé s’il pouvait enlever mon t-shirt. J’ai refusé. Mais il a quand même pris mon t-shirt et l’a lentement soulevé. Je ne savais pas quoi faire. Il m’a demandé si je voulais l’embrasser. J’ai dit non. C’est alors lui qui m’a embrassé, et il m’a déshabillé. J’avais vraiment peur. Il m’a demandé si je voulais le soulager. Je voulais m’enfuir, mais je n’ai pas osé. Je n’étais pas en état de me défendre.

Après, il m’a rhabillé et m’a dit que je pouvais rentrer à la maison. C’est ce que j’ai fait. J’étais complètement perturbé. J’ai pris mon vélo et j’ai roulé quelques centaines de mètres, puis j’ai vomi sur le bas-côté. Une fois à la maison, je n’ai rien dit à mes parents. Je me suis enfermé dans ma chambre. Je me sentais sale. J’ai voulu me laver, mais je n’osais pas me regarder dans le miroir. J’étais dégoûté.

Après cinq ou six jours, il a repris contact via MSN. Il s’est excusé et a demandé si je voulais revenir, pour qu’il puisse s’excuser en personne. Je n’ai toujours pas compris pourquoi j’ai accepté. Je me suis à nouveau retrouvé dans le fauteuil avec lui. Et il m’a de nouveau proposé un joint. J’ai répondu que je n’en voulais pas, que le précédent était trop fort. Il m’a dit que ce serait plus léger. Il m’a vraiment mis à l’aise.

Alors que j’étais en train de fumer ce joint, il a sorti un peu de poudre. Aujourd’hui, je sais que c’était de la cocaïne. Je lui ai dit que je n’en avais encore jamais pris. Mais il n’a pas eu de mal à me rassurer. Je me suis senti très mal, avec cette combinaison coke et herbe. Il m’a alors dit: Allonge-toi en haut, sur mon lit. Ça ne me disait rien qui vaille. Je me souvenais de ce qui était arrivé la fois précédente. Mais il a insisté. Aujourd’hui, je me demande toujours: comment ai-je pu être aussi stupide pour retourner en haut? Mais j’étais complètement perturbé. J’étais incapable d’opposer la moindre résistance. Ou en tout cas, je n’osais pas. J’étais trop faible à ce moment-là.

Daan Goossens:
Daan Goossens: « J’ai essayé de rejouer au football, mais je n’osais plus y aller à fond. Je n’avais plus confiance en moi. »© KOEN BAUTERS

Cette fois-là, il y avait aussi un petit pot de vaseline sur sa table de nuit. Il m’a demandé de prendre certaines pauses. Je ne voulais pas, mais je n’ai pas osé refuser. J’avais l’impression que je n’étais pas en état de résister. Je pense que c’était à cause de ces drogues. Je craignais aussi qu’il me retienne. Je me suis souvenu de la manière dont il avait tenu ma tête, la fois précédente.

Après, je suis rentré à la maison. À nouveau, j’étais perdu. Cette fois-là, c’est une fois rentré que j’ai vomi. Quelques jours plus tard, il s’est à nouveau excusé, via MSN. Il m’a demandé de ne rien dire. Et je n’ai rien dit. Je me suis fermé devant mes parents et mes amis. Je ne savais pas quoi leur dire. Je n’osais rien avouer. Le sentiment de honte qui m’habitait était terrible. J’avais l’impression de m’être moi-même déçu. Et je suis parti du principe que mes parents le seraient également. Ils m’avaient toujours accordé beaucoup de liberté. Et j’avais l’impression de les avoir trahis. »

« Comme si je me débarrassais d’un poids de mille kilos »

« Après avoir été abusé sexuellement, je disais à mes parents que j’allais à l’entraînement, mais en réalité, je me rendais dans une maison de jeunes, à Bornem. Là, je fumais un peu avec des amis. Le football ne m’intéressait plus vraiment. Lorsque ça ne tournait pas comme je voulais sur le terrain, je baissais les bras.

Pour essayer d’oublier, je me suis mis à consommer de plus en plus de drogues, surtout de la marijuana. C’est parfois lui qui m’en procurait. La plupart du temps, il y avait des garçons plus âgés chez lui. Dans ces moments-là, il demandait: Tu veux fumer avec nous? Je m’asseyais alors avec eux, je prenais quelques bouffées, et je rentrais à la maison. Il n’a plus jamais essayé de m’attirer seul chez lui.

Sous l’influence de ces drogues, je suis devenu plus agressif, verbalement et physiquement. Lorsque je pensais que quelqu’un me voulait du mal, je réagissais impulsivement. Pourtant, avant ça, j’étais un petit garçon plutôt timide et introverti. Ma mère n’y comprenait rien. Elle me demandait ce que j’avais, mais quelque chose m’empêchait de tout lui raconter.

Un jour, mes parents m’ont surpris avec de la drogue à la maison. J’étais sous influence. J’étais devenu un danger pour les gens autour de moi et pour moi-même. Finalement, j’ai atterri à De Sleutel ( un centre qui s’occupe des gens qui ont un problème d’addiction, ndlr). Mais je n’y suis allé qu’une seule fois. Ça ne m’a pas aidé. Après, mes parents m’ont emmené au comité spécial de protection de la jeunesse. On a entamé un traitement.

Un jour, fin 2009, alors que je rentrais de l’école, des impressions de mes conversations MSN avec cet entraîneur étaient disposées sur la table de notre salle de séjour. Apparemment, elles se trouvaient dans l’ordinateur de mon père, que j’utilisais toujours pour chatter. Il était tombé dessus par hasard.

Lorsque j’ai vu ces papiers, je ne savais plus où j’étais. Je suis directement monté dans ma chambre. Cette fois, j’allais bien être obligé de tout raconter. Mais je n’osais pas. Je ne voulais pas faire de peine à mes parents. Je ne voulais pas leur donner le sentiment qu’ils m’avaient accordé trop de liberté. Ils sont montés. Je me suis mis à pleurer, et tout est sorti. D’un côté, c’était comme si je me débarrassais d’un poids de mille kilos. Enfin, je ne devais plus le porter seul. Mais j’avais aussi très peur. Mon père était furieux contre mon agresseur. Je ne l’avais encore jamais vu dans un tel état. J’avais peur qu’il ne cause un accident. Il voulait directement se rendre à la police. Mais je ne voulais pas.

J’aurais préféré que cette souffrance mentale devienne de la souffrance physique. »

Daan Goossens

En concertation avec la responsable de l’aide à domicile, j’ai été emmené à l’hôpital psychiatrique des enfants à Saint-Nicolas. Normalement, j’aurais dû y rester quatre semaines. Mais après deux semaines, j’étais dehors. Je n’étais pas à ma place là-bas. Le courant ne passait pas avec le psychiatre.

Après un bon moment, j’ai raconté toute mon histoire à une psychologue, Joke. Dans un premier temps, je ne voulais pas déposer plainte. J’étais toujours persuadé que l’erreur venait de moi. Je craignais aussi que la police et le juge ne me prennent pas au sérieux. Je pensais qu’ils diraient que j’avais tout inventé. Mais après un certain temps, Joke a réussi à me convaincre. J’ai commencé à me dire que ce crime ne pouvait pas rester impuni. Début 2011, aux alentours de mon 18e anniversaire, j’ai finalement déposé plainte. Une perquisition a été menée chez lui. La police a trouvé du matériel pédopornographique. Il a été arrêté. Lors de son audition, il a déclaré que les actes sexuels avaient été effectués avec mon consentement. Mes parents en ont eu la nausée. »

« Je me sentais seul au monde »

« Il a fallu trois à quatre ans avant que l’affaire soit jugée. Dans l’attente du procès, il a d’abord été incarcéré, mais en mars 2013, il a été libéré sous conditions. Il en a profité pour redevenir entraîneur de jeunes en octobre 2013. Il a alors entraîné les U10 de Rupel Boom. Quelques mois plus tard, en 2014, le procès a commencé. Je n’y ai pas assisté. J’avais besoin de calme et j’ai été admis à l’hôpital Sainte-Lucie, à Saint-Nicolas. Alors que j’y séjournais depuis trois mois, j’ai pris connaissance du verdict: quarante mois de prison avec sursis et des dommages et intérêts.

J’étais soulagé que tout soit terminé. C’est seulement à ce moment-là que j’ai pu commencer à me reconstruire. Mais je n’ai pas admis le verdict. Je trouvais qu’il s’en tirait à très bon compte. J’aurais voulu qu’il soit emprisonné pendant plusieurs années. Qu’il ressente la solitude et la douleur que j’ai moi-même ressenties. Il m’a pris beaucoup de choses, et j’aurais aimé qu’on lui en prenne beaucoup également, et même tout, si possible. Le football était ma passion. On parlait en bien de moi. Ce n’est plus le cas. J’ai essayé de rejouer au football, mais je n’osais plus y aller à fond. Je n’avais plus confiance en moi.

J’aurais aimé qu’il sache aussi ce que c’est, de ne plus savoir quoi faire pour garder la tête hors de l’eau. Il y a eu des périodes où je ne mangeais plus et où je ne quittais plus mon lit. Je me réfugiais sous les draps. Je me sentais seul au monde. Le pire, c’était la solitude. C’était très difficile aussi de ne plus pouvoir fonctionner normalement, comme tout un chacun. Je ne parvenais pas à oublier le traumatisme.

À un moment donné, je me suis dit: personne ne pourra m’aider, je ne sortirai jamais de ce cercle vicieux. Je pleurais toujours plus. Je ne savais pas qu’un homme pouvait pleurer autant. J’en avais mal à la tête. Je souffrais de toutes ces tentatives pour effacer le traumatisme. Je voulais quitter cet enfer. J’aurais préféré que cette souffrance mentale devienne de la souffrance physique. Là, j’ai touché le fond.

Mes parents étaient impuissants. Ils me demandaient si je voulais voir tel ou tel psy, s’il me fallait plus d’espace ou s’ils devaient être plus présents. Comme parent, on ne peut pas faire grand-chose, dans ces moments-là. Ça ne sert à rien d’envoyer son enfant chez un psy s’il n’y est pas ouvert. Un enfant parle lorsqu’il en a envie. Le plus important, c’est de le laisser dicter lui-même le rythme. Parfois, j’ai eu l’impression que mes parents pensaient que je serais plus rapidement prêt pour certaines choses. Ce n’était pas facile pour eux, car je faisais semblant que tout allait bien. Mais c’était pénible pour moi aussi de porter ce masque en permanence.

Je me sentais aussi coupable d’avoir obligé les parents de cet entraîneur à payer les dommages et intérêts parce qu’il n’avait pas assez d’argent. Je les connais. Ils venaient parfois aux matches et il n’y avait pas plus gentil qu’eux. »

« Je suis fier de la personne que je suis devenue »

« Dix ans ont passé depuis les faits, mais l’image de cette chambre n’a pas disparu de mon esprit. Je peux même encore sentir les odeurs qui y régnaient. Il m’arrive encore souvent de vouloir être seul lorsque je rentre à la maison. Avoir une relation intime me semble aussi difficile. Normalement, lorsqu’on se retrouve au lit avec sa copine, on s’étreint. Mais ça ne me dit rien. Depuis que j’ai été abusé sexuellement, je dors toujours avec la porte verrouillée.

Aujourd’hui, je travaille chez mon oncle. Ça se passe bien. Mais je suis très déçu de la manière dont ce traumatisme a influencé mes études. J’ai dû interrompre ma formation d’infirmier parce que j’étais en plein travail de reconstruction. J’ai aussi interrompu mon deuxième choix, l’éducation physique. Les leçons de sport étaient un calvaire. Surtout la natation. J’avais du mal à enlever mon t-shirt.

Chaque matin, dans la salle de bains, j’ai encore du mal à me regarder dans le miroir. Je fais du sport plusieurs fois par semaine. J’essaie de me construire un corps acceptable. Mais mes exigences sont très élevées. Trop, sans doute.

Pourtant, il y a une chose dont je suis satisfait: j’ai continué à me battre. Quelque part, je suis fier de la personne que je suis devenu. Fier de ne pas avoir abandonné. Et je suis heureux d’être toujours le bienvenu à la maison. Après le comportement que j’ai eu, je ne suis pas sûr que cela aurait été pareil dans tous les foyers. Mes parents ont toujours cru que je m’en sortirais. S’ils m’avaient mis à la porte, j’aurais sombré.

Ma confiance en l’être humain en a pris un coup. Lorsque je fais la connaissance de nouvelles personnes, je suis toujours méfiant, même si elles affirment avoir les meilleures intentions. Après tout, mon entraîneur disait pareil. Il était censé montrer l’exemple. Il devait veiller sur moi. Mais il a profité du fait qu’il était en position de force. Je continue à croire qu’il s’en est trop bien tiré. »

Daan Goossens:
Daan Goossens: « Lorsque je fais la connaissance de nouvelles personnes, je suis toujours méfiant, même si elles affirment être animées des meilleures intentions. Après tout, mon entraîneur disait pareil. »© KOEN BAUTERS

« Mieux s’informer lorsqu’on engage un entraîneur »

« Ce témoignage de Daan est très précieux, car peu de personnes sont disposées à partager une telle expérience », affirme la criminologue Tine Vertommen (Haute École Thomas More), qui a déjà réalisé de nombreuses enquêtes sur les abus sexuels dans le sport.

Dans le cas de Daan, les abus se sont produits en dehors du club et par un ancien entraîneur. Peut-on, dans ce cas-là, tenir le monde sportif pour responsable?

TINE VERTOMMEN: Affirmer le contraire serait travestir la réalité. Une relation de pouvoir ne s’arrête pas dès l’instant où le lien entre un entraîneur et un sportif est rompu.

Dans le cas de Daan, le club aurait-il pu intervenir?

VERTOMMEN: Le club n’aurait sans doute pas pu éviter les faits. Mais il est conseillé aux clubs de prévoir un point de contact auquel on peut s’adresser en toute confiance.

Dans l’attente de son procès, le coupable a pu officier comme entraîneur de jeunes dans un autre club.

VERTOMMEN: J’invite les clubs à approfondir les dossiers de leurs collaborateurs. Et d’aller au-delà du certificat de bonnes vie et moeurs, car il n’a servi à rien dans ce cas-ci. Lorsque vous engagez de nouveaux entraîneurs, informez-vous auprès de leurs clubs précédents et essayez de savoir pourquoi ils sont partis. De toute manière, cette histoire montre qu’ils faut rester attentif aux abus sexuels. Et apprendre aux jeunes comment y réagir.

Daan avait seize ans lorsqu’il a été abusé, c’est déjà relativement âgé.

VERTOMMEN: À cet âge-là, on ne sait pas encore toujours comment se comporter vis-à-vis d’adultes qui ont une position dominante. Les victimes sont souvent tentées d’afficher une certaine loyauté. Cela explique aussi pourquoi, souvent, ils ne parviennent pas à se défaire de cette relation.

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Si vous-même avez été victime d’abus sexuels, contactez le numéro 0800.98.100 ou rendez vous sur le site http://www.sosviol.be pour entrer en contact avec des professionnels à même de vous venir en aide.

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