» DEPUIS NOS 20 ANS, ON PENSE À RENDRE LES JOUEURS MEILLEURS « 

Les points communs ne manquent pas : aucun passé en tant que joueur, un régendat en éducation physique, un écolage auprès de la jeune classe anderlechtoise, mais surtout une énorme passion pour leur métier. Voici un manuel de coaching pour petits et grands.

Un petit air de campagne à Bruxelles au bout de la route pavée du petit chemin vert à Neder-Over-Heembeek. C’est ici que tout a commencé pour Yannick Ferrera (34 ans), coach à succès de Saint-Trond, et Mohamed Ouahbi (39 ans le 7 septembre), l’homme qui a guidé brillamment la jeunesse anderlechtoise en Youth League la saison dernière, devenu aujourd’hui T3 de Besnik Hasi à Anderlecht. C’est aussi ici, au sein du petit club bruxellois du Maccabi (depuis installé du côté de Forest), qu’ils ont débuté leur carrière de coach et que leur amitié est née. Plus de dix ans après leurs débuts, Mo et Yannick nous racontent leur parcours pas comme les autres.

A quand remontent vos premiers pas dans ce petit club bruxellois ?

YANNICKFERRERA : Je suis arrivé au Maccabi à 22 ans et j’y suis resté deux ans entre 2002 et 2004. Je m’y suis occupé des minimes puis des cadets.

MOHAMEDOUAHBI : Moi, c’était en 2000, j’étais déjà un ancien. Tu te rappelles, tu me demandais déjà des conseils à l’époque (il rit) ?

Vous passez ensuite à Anderlecht…

FERRERA : Je suis arrivé en 2004, je m’occupais des cadets provinciaux au Heysel et toi t’étais déjà à Neerpede, je pense.

OUAHBI : Oui, j’avais pris en mains les U9.

Comment vous êtes-vous retrouvés à Anderlecht ?

FERRERA : J’avais affronté les jeunes d’Anderlecht avec le Maccabi et j’avais croisé un ancien entraîneur du temps où j’étais joueur chez les jeunes du Sporting. Il m’a dit d’envoyer mon cv, ce que j’ai fait. Quand j’ai passé l’entretien, je leur ai dit que j’étais prêt à coacher gratuitement car Anderlecht représentait quelque chose de grand. Ce discours leur a plu, apparemment.

OUAHBI : Je terminais mes cours d’entraîneur UEFA B pour coacher les jeunes quand on m’a dit qu’une place se libérait à Anderlecht et j’ai sauté sur l’occasion, tout simplement.

C’est plutôt surprenant cette envie de devenir coach si jeune.

OUAHBI : Je n’avais pas le niveau pour devenir joueur pro, j’ai donc préféré arrêter. Je pense d’ailleurs que mon dernier match c’était ici, avec le Maccabi, en P2.

FERRERA : C’est un peu la même chose pour moi. Quand vers 21 ans, j’ai compris que je serais trop court, que je n’allais pas jouer de Coupe du Monde et que je n’allais pas faire carrière, j’ai choisi d’entamer des études d’éducation physique et de prendre en charge des petits.

 » ON A SOUVENT ÉTÉ D’ACCORD EN MATIÈRE DE COACHING  »

Vous étiez déjà passionné par le jeu, la tactique ?

FERRERA : Quand j’avais 14-15 ans, j’écrivais des résumés de matches de Coupe du Monde. Très vite, j’ai essayé de comprendre le jeu. Et par après, je me suis dit que ce que j’arrivais à réaliser avec des gamins, je pourrais très bien le faire avec des adultes. Et je me suis mis à rêver.

OUAHBI : J’enregistrais tous les matches. J’ai encore des cartons remplis de France Football, des cassettes de la Coupe du Monde 90, etc. Du temps du Maccabi, on parlait déjà beaucoup de tactique entre nous. Et on a souvent été d’accord sur l’approche en matière de coaching.

FERRERA : Et pas seulement sur le plan tactique, aussi sur la manière d’aborder les joueurs. On a quasiment le même âge, on a grandi à Bruxelles, on a la même approche. Pour avoir assisté à certaines de ses théories, Mo est capable de transcender des gars avant de monter sur le terrain.

Vous avez rencontré beaucoup de jeunes à problèmes ?

FERRERA : A Anderlecht, quand à 14 ans un gamin gagne déjà du pognon ou qu’un autre vient d’un petit club où il a marqué 80 buts, il faut être capable de les affronter.

OUAHBI : La mixité sociale et culturelle est très grande à Anderlecht et ça te fait grandir.

FERRERA : On a connu pas mal de jeunes avec de la personnalité mais on n’a jamais eu du mal à gérer un vestiaire.

Le plus dur chez les jeunes, ce n’est finalement pas les parents ?

OUAHBI : Oui, c’est le plus dur. Il faut éviter les buvettes déjà.

FERRERA : Heureusement, il y avait des règles bien précises. Si le parent venait à faire des remarques, c’est le gamin qui en payait les conséquences.

OUAHBI : Il m’est déjà arrivé de demander à un de mes joueurs de faire taire son père sinon il ne rentrait plus au jeu. Je disais toujours aux parents que si vous détestez l’entraîneur devant votre enfant, c’est lui qui en payera les conséquences.

Ferrera : Mais on a toujours été ouverts aux dialogues.

Quand, comme première expérience en tant que T1 chez les pros, tu arrives, Yannick, à 31 ans, dans un vestiaire un peu chaud comme celui de Charleroi, ce n’est pas compliqué ?

FERRERA : Je pense que les gars comprennent en une séance si tu peux leur apporter quelque chose ou pas. C’était donc à moi d’être bien préparé. Quand je suis arrivé dans le vestiaire de Charleroi, je me préparais depuis 8 ans à ce moment-là. Et le premier jour des entraînements, j’étais prêt.

OUAHBI : Yannick a cette assurance, cette confiance. Et il n’a jamais eu froid aux yeux.

FERRERA : Même chose pour Mo. Quand il parle à Deschacht, je suis sûr qu’il dégage quelque chose, qu’il est sûr de son fait. Malheureusement en Belgique, l’excès d’assurance est souvent vu comme de l’arrogance.

 » ON NE SORT JAMAIS DE NOTRE RÔLE DE COACH  »

Qu’est-ce vous pouvez apporter de différent après avoir gravi tous les échelons, à l’image d’un étudiant passé des secondaires à l’unif ?

OUAHBI : Le contenu déjà. Chez les jeunes, on ne se consacre qu’au jeu, rien d’autre. Quand tu coaches des adultes, même en provinciale, c’est la gagne qui est primordiale. En jeunes à Anderlecht, je ne me consacrais qu’à la qualité du jeu, à la possession de balle, à être dominant. Je pense qu’il existe encore pas mal de coaches en D1 qui ne regardent que le résultat, qui ont comme volonté de casser le jeu adverse pour essayer de marquer un but de plus que l’adversaire. Le contenu, ça reste primordial pour moi.

FERRERA : L’avantage que tu as quand tu coaches en jeunes à Anderlecht, c’est qu’on ne te demande pas de faire des résultats en championnat. Mais on te demande de produire du jeu, d’apprendre quelque chose aux gamins. Ce n’est que lors des grands tournois de fin de saison que l’on mise davantage sur la gagne, d’une part pour le prestige du club et pour développer cet aspect aux joueurs

On imagine que vous avez davantage grandi avec le foot européen qu’avec le foot belge non ?

FERRERA : Quand tu cherches à montrer des images aux gamins, tu te tournes évidemment vers des actions de Ligue de Champions. J’ai très vite été intéressé par la vidéo, je montrais par exemple les contrôles orientés de Xavi à mes joueurs.

OUAHBI : Aujourd’hui encore, on essaie d’être au courant des dernières tendances. J’ai par exemple beaucoup regardé la dernière Copa America.

Cela vous arrive de regarder un match avec un autre regard que celui de coach ?

OUAHBI : Je suis supporter du Real mais même lors d’un Barça-Real, je garde toujours cet oeil de coach.

FERRERA : On ne sort jamais véritablement de notre rôle (il sort son gsm). Voilà ici, Anderlecht-Gand, j’ai noté  » 8′ minute, prise de risque de Neto « ,  » Charleroi-Luhansk, 80′ minute, prise de risque de Marcq. Et puis je télécharge les matches sur wyscout et je les compile. Un soir, ma copine, qui aime aussi le foot, m’a demandé de décrire ce qui se passait par ma tête quand je regardais une rencontre. Et pendant une minute, je lui ai dit à voix haute tout ce qui me passait par la tête. Et sur une minute tu débites des trucs tout le temps. Tu regardes la manière dont la défense est alignée, la distance entre les lignes, etc.

Quelle est la différence principale entre coacher des enfants et des adultes ?

FERRERA : Un gosse, quand il va tenter une passe risquée et qu’il la loupe, tu vas lui dire bien essayé. Un grand qui fait la même chose, tu le démontes. Tu es orienté résultats, donc les choses changent.

Et le fait de ne pas avoir connu de carrière en tant que joueur, qu’est-ce que ça implique ?

FERRERA : On a posé cette même question à Mourinho lors de ses débuts à Porto. Il a répondu : On a plus de temps pour étudier. Et de fait, depuis qu’on a 20 ans, on pense à comment rendre les joueurs meilleurs.

 » ON A GRANDI AVEC LES BLACKS ET LES ARABES  »

Mais il vous manque aussi quelque chose ?

FERRERA : Sûrement. Le ressenti des joueurs par exemple.

OUAHBI : Mourinho avait connu des soucis avec Sergio Ramos du temps où il coachait le Real. Il avait reproché à Ramos de changer d’homme sur un corner et Ramos lui avait répliqué qu’il ne pouvait pas comprendre car il n’avait jamais été joueur. Je pense que sur l’action, il y avait eu un bloc et Pepe et Ramos avaient été obligés de changer de marquage.

FERRERA : On ne peut pas non plus se rendre compte de ce que c’est de jouer un match international et puis trois jours après de se reconcentrer pour affronter Westerlo.

Le fait d’être de jeunes coaches, ça vous aide dans le contact avec les joueurs ?

FERRERA : Je sais en tout cas que si un jeune Africain de 18 ans arrive en test, un autre entraîneur va peut-être se dire qu’ il ne fait que rigoler, qu’il ne comprend rien, etc. Nous, ça ne va jamais nous effleurer l’esprit. On a grandi avec les Blacks et les Arabes de Bruxelles. Le jeune qui descend du bus avec son casque, il dérange qui par exemple ? Moi aussi, j’ai mon casque quand je descends du bus. Ça n’a rien d’irrespectueux envers ses coéquipiers.

OUAHBI : C’est comme quand les jeunes se  » checkent  » pour se dire bonjour, ce sont simplement des codes, il faut l’accepter.

FERRERA : Tant que les joueurs ne sont pas davantage préoccupés par leur look ou leur coiffure que par leur jeu, ils peuvent se dire bonjour comme ils veulent. Il y a 5 ans, j’étais plus du style à vouloir qu’un joueur joue avec des chaussures noires, sobres, et qu’il arrête avec les coiffures folkloriques. Aujourd’hui, il peut venir avec une plume dans le cul et un chapeau, ça ne me pose pas de problème, du moment qu’il bosse et qu’il est respectueux.

On a aussi une évolution dans le comportement des joueurs ces dernières années. Ils ont très vite l’impression d’être une star, même les très jeunes.

FERRERA : C’est vrai qu’entre la voiture et le vestiaire, t’as le sentiment qu’il y a huit caméras qui sont braqués sur eux (il rit). Des fois tu crois que c’est Ronaldo qui descend de la voiture. Mais du moment qu’il a compris qu’il est encore très loin de Ronaldo, je m’en fous.

OUAHBI : Je note quand même que plus un joueur grandit, moins il a de plaisir à bosser, à s’entraîner, à jouer.

FERRERA : En même temps, plus tu évolues, plus on te demande de te dépasser physiquement dans le but de faire un résultat, ça devient davantage un travail et la notion de plaisir disparaît…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Chez les jeunes, le plus dur c’est les parents. Il vaut mieux éviter les buvettes.  » MOHAMED OUAHBI

 » Le jeune qui descend du bus avec son casque sur les oreilles, il dérange qui ?  » YANNICK FERRERA

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