Déplacements

L’arrière nigérian de Sclessin cherche encore sa meilleure place.

Sa voiture a été accidentée et, au moment de quitter son appartement pour nous rejoindre au complexe d’entraînement du Bois Saint-Jean, où il nous a fixé rendez-vous, Joseph Yobo s’aperçoit qu’il tombe des cordes. C’est donc en taxi qu’il se présente, en s’excusant poliment pour le retard. Car l’auto-discipline et la ponctualité figurent parmi les qualités principales de ce jeune Nigérian né le 6 septembre 1980. Contrairement à bon nombre d’Africains, il ne rentre jamais en retard après les vacances ou un match avec l’équipe nationale de son pays.

Une attitude qu’il comprend cependant et qu’il se garde bien de juger. « Vous savez: il n’est pas facile de prendre l’avion d’Afrique vers l’Europe. Il arrive souvent que des problèmes administratifs n’aient pas été réglés avant votre départ et, lorsque vous vous en apercevez, vous perdez un temps fou à tout régler sur place. De plus, il peut arriver que quelqu’un de votre famille soit malade. Je n’ai jamais connu cela mais, si ça devait arriver, j’hésiterais également à repartir avant que mes proches se portent mieux ».

Car au moment où les problèmes des faux passeports ou des jeunes joueurs amenés en Belgique par des managers peu scrupuleux refont surface, on ne répétera jamais assez la difficulté pour un gamin de 17 ans, de quitter pays, amis et famille pour tenter sa chance à l’Eldorado du football. Les plus sensibles d’entre eux deviendront peut-être, demain, les premiers philosophes que ce sport aura engendrés. Et qui sait si Joseph Yobo ne fera pas partie de ce cercle, lui qui ne cesse de répéter que, pour réussir, il essaye d’oublier son jeune âge et dont le maître-mot est confiance. Confiance en soi mais aussi en d’autres, confiance déjà quelque fois ébranlée mais toujours retrouvée. Garçon calme et secret, il s’affirme de plus en plus sur le terrain comme en dehors. Cette saison, sa deuxième seulement dans le noyau A, il n’a encore manqué que les matches face à Lokeren et à Charleroi. Et à l’interview, il accepte désormais de se livrer davantage.

Joseph Yobo est né à Port Harcourt, une ville de 500.000 habitants, située sur le détroit du fleuve Niger, à six heures de route de Lagos, pas très loin des rives de l’océan Atlantique. Le Nigéria (cent millions d’habitants pour 924.000 km2) est le pays le plus peuplé d’Afrique et le plus grand producteur africain de pétrole. La plus grande compagnie d’or noir est établie à Port Harcourt, dont la région est également connue pour ses plantations de cacao, caoutchouc et arachide.

C’est là, au FC Eagle Cement, que Yobo fait ses premières armes. En 1995, à l’âge d’entrer en équipe Première, il est alors prêté à Michelin, un club de D3 où il se fait les dents pendant un an. « Un peu comme les jeunes du Standard à Visé l’an dernier », sourit-il.

Par un matin glacial de décembre 1997, Joseph Yobo débarque en Belgique, flanqué de son manager, le Franco-Sénégalais Papasamba. Il découvre la neige, ennemi numéro un du footballeur africain amené à passer des tests. Pour l’apprivoiser, il s’amuse à s’y rouler et à faire des batailles de boules. Après quinze jours d’essais, le Standard l’autorise à rentrer au pays, non sans lui faire signer un contrat.

« Dès que j’ai signé, la première chose que j’ai faite est de me séparer de mon manager », explique-t-il. Une décision audacieuse lorsqu’on se retrouve seul, à 17 ans, dans un pays inconnu. « Dans ces moments-là, on ne pense pas à l’âge que l’on a. Un peu avant, j’avais eu le sentiment d’être roulé: j’avais passé des tests à Lens et tout s’était très bien déroulé. Je ne comprenais pas ce qui se disait mais j’avais le très net sentiment qu’on voulait me faire signer un contrat mais sans doute mon manager n’y trouvait-il pas son compte et l’affaire a échoué. Alors, je ne pouvais pas continuer à faire confiance. Et le fait que j’aie 17 ans ou 30 ans n’y changeait rien ».

Aujourd’hui, quand on lui demande qui défend ses intérêts, Yobo répond: « Je m’en occupe moi-même… Bien sûr, quelqu’un m’aide et me conseille mais je préfère taire son nom ».

Son premier contrat en poche, Yobo rentre au Nigéria jusqu’au terme de l’hiver. Il revient en mars 98 et, outre Rabiu Afolabi et George Blay, arrivés avant lui, découvre ses premiers amis européens: Onder Turaci, Dimitri Wavreille et Roberto Mones. A peine chez nous, il encaisse toutefois un nouveau coup dur: le décès de son père.

« C’étaient les vacances et on m’a laissé quelques jours pour que je puisse rentrer. Je suis l’avant-dernier d’une famille de sept enfants. J’ai quatre frères dont l’un, Albert, est venu en Europe avant moi. Il a d’abord fréquenté le centre de formation d’Auxerre puis a signé à Osnabrück. C’est un stopper, un peu plus grand et beaucoup plus costaud que moi. Il est également international A. J’ai un frère plus jeune, qui devrait bientôt venir. On a cru que c’était lui qui faisait un test au FC Liège mais il s’agit en fait d’un ami à moi. Seulement, comme nous sommes toujours ensemble, on nous prend pour des frères ».

Arrivé au Standard comme médian droit offensif, Yobo est rapidement reconverti en demi défensif. Tant Christian Labarbe que Daniel Boccar sont bien d’accord sur le sujet: c’est le meilleur moyen de lui apprendre à se repositionner. Pour sa première saison en Réserves, il est sacré champion.

Le Standard possède une belle génération de jeunes dont quelques uns sont repris dans le noyau A en vue de la saison suivante. A l’occasion de son premier match, contre Lens, son talent est unanimement souligné. C’est son meilleur souvenir jusqu’ici. En décembre, beaucoup sont cependant prêtés à Visé, mais pas Joseph Yobo qui, au total, disputera 19 matches: comme back gauche, comme médian défensif ou comme back droit. « A ce moment, j’ai connu des doutes. Ces changements continuels me préoccupaient. D’un côté, j’étais content de jouer mais de l’autre, je ne savais jamais très bien sur quel pied danser, d’autant que je n’étais pas un défenseur naturel. Défendre, être plus dur dans les duels, ce sont des choses que j’ai apprises ici ».

A un certain moment, il demanda même à Ivic de lui rendre une chance devant mais l’essai ne s’avéra pas concluant. Yobo ne perdit cependant jamais la confiance des quatre entraîneurs qui se succédèrent à Sclessin. Un fait remarquable pour un joueur aussi jeune. « J’essaye de ne jamais penser à mon âge », sourit-il. « Je crois en moi et je travaille, c’est tout. C’est à l’entraînement que je progresse le plus ».

A ce sujet, on a l’impression que c’est au niveau du placement qu’il doit encore s’améliorer. Fort sur l’homme, excellent à la relance, il a parfois tendance à se laisser emporter vers l’avant, oubliant les espaces dans son dos. Un problème récurrent au Standard depuis le début de la saison.

« C’est exact mais il n’y a pas de football sans mouvement. « Le fait que l’on joue en 4-4-2 ou en 3-5-2 ne change pas grand-chose pour moi mais je n’aime pas rester derrière. Seulement, Didier Ernst aime aussi presser haut et nous devons être plus prudents, nous parler davantage. Or, on ne communique pas suffisamment au Standard. Encore une fois, ce n’est pas une question d’expérience mais plutôt de charisme ».

Voici peu, Joseph Yobo a fêté sa première titularisation officielle en équipe nationale du Nigéria. C’était à l’occasion d’un match de qualification pour la Coupe d’Afrique des Nations, en Zambie (1-1). Il avait déjà été appelé une première fois en décembre 99, à l’occasion d’un match amical face à Compostelle. « J’avais joué mais l’entraîneur m’avait dit que, pour être sélectionné régulièrement, je devais avant tout me fixer à une place dans mon club ». Il s’interroge cependant sur la suite à donner aux événements : « C’est un grand honneur de représenter un pays comme le Nigéria, qui est une nation de football exactement comme le Brésil, avec des joueurs partout en Europe. Mais cette première sélection m’a déjà coûté ma place au Standard puisque je suis rentré malade et je n’ai pas pu m’entraîner avant le match contre Charleroi ».

Une décision à laquelle il s’attendait mais il précise qu’il ne se sent pas fatigué par une longue saison. Il estime être aussi fort qu’avant la trêve et espère reconquérir sa place pour le déplacement à Anderlecht qui, pour lui, possède la meilleure équipe de Belgique. « Même si je ne peux pas dire avec certitude qu’elle sera championne car Bruges garde son mot à dire. La difficulté, face au Sporting, c’est qu’on ne sait jamais qui va déborder, qui va rentrer dans le jeu ou qui va partir en profondeur. C’est une mécanique bien huilée. Si je joue, je devrai vraisemblablement affronter Goor, un excellent joueur, très complet, mais qui ne me fait pas peur ».

Patrice Sintzen

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire