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Demain sans foot ?

C’est ici une petite photo, mais vu les circonstances, elle nous ferait un effet terrible agrandie en poster géant ! C’est une photo du stade de Klagenfurt, en Autriche, 32.000 places. En 2019, un certain Klaus Littmann, inspiré par un dessin du dénommé Max Peintner, y a transplanté 300 arbres d’essences diverses sur la pelouse. Ainsi était-ce une expo dite d’art contemporain, visible deux mois, qui invitait à baguenauder sur les gradins déserts : le visiteur pénétré d’écologie était censé s’y demander, nostalgiquement, si la forêt ne serait plus à l’avenir qu’un mémorial, un petit objet d’exhibition bordé de protections en béton, verre et métal…

Dès le confinement de mars 2020, j’avais découvert émerveillé le laps de temps énorme que me refilait l’absence de foot !

Comme convenu, au bout de deux mois, Littmann a démonté son oeuvre, avec pour projet de la replanter Dieu sait où… Le ballon rond devait bien reprendre ses droits, non ? Je suis retombé sur cette photo en cherchant quoi vous pondre en ces temps sans football, et ma mélancolie n’a pas été celle espérée par l’artiste. Ce mec n’avait pas planté sa mini-forêt n’importe où. Elle n’envahissait pas un cloître d’abbaye, la Grand’Place de Bruxelles ou un parade/ground de caserne : elle bouffait un terrain de foot ! Et je n’ai pas frissonné sur ce que serait, dans les temps futurs, la forêt ainsi réduite et emprisonnée : je me suis demandé ce qu’allait devenir le foot, si l’on se mettait à squatter de la sorte les pelouses de ses grands stades, si l’on réaffectait en espaces verts boisés tous les hauts lieux d’un sport qu’aurait fait disparaître le Coronavirus…

Et voilà que je me suis vu dans vingt ans, en 2040, seul en haut des gradins de Klagenfurt, y surplombant les arbres plantés et me souvenant d’avant 2020. D’avant une saloperie de petit chou-fleur qui avait amené à rayer de la carte, pour toujours, ce football qui, sur le terrain comme alentour, était bien trop un sport de contacts : tel avait été le motif invoqué… Mais moi, assis là, j’étais bien, y’avait des p’tits oiseaux qui chantaient sans gueuler, j’étais serein, sans manque aucun : vingt ans d’abstinence obligée ne m’avaient pas rendu morose, je me devais de le constater et j’y voyais deux raisons.

D’une part, cinquante ans de souvenirs d’avant 2020 demeuraient extraordinairement prégnants. Il suffisait que j’installe mon vieux popotin tout en haut d’une tribune vide, face à cette forêt succincte plantée dans le stade, et tout ressurgissait : ma mémoire footeuse restait remplie à ras bords de gestes, de buts, d’exploits, d’injustices, de passions… et vingt ans de matches supplémentaires entre 2020 et 2040, ça n’aurait fait qu’embrouiller le bazar ! D’ailleurs, au besoin, y’avait toujours Google ou YouTube pour chatouiller des souvenirs…

D’autre part, dès le confinement de mars 2020, j’avais découvert émerveillé le laps de temps énorme que me refilait l’absence de foot ! Ainsi avais-je pu, durant deux décennies, me rassasier de livres, de musiques, de films, de balades, de musées, de spectacles : tout un univers fantastique que la continuation des compétitions footballistiques m’aurait fait louper, obsédé que j’avais été ! En 2040 donc, juché à Klagenfurt, mais proche des six pieds sous terre, je me disais que le foot avait été pour moi, trop longtemps, l’arbre qui cache la forêt. Ou le poisson qui cache la mer, vu que nous sommes le 1er avril.

Demain sans foot ?

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