Délivré des doutes

Après Torino, la Lazio et Bologne, le milieu vient de rejoindre l’Inter : une histoire incroyable qui a commencé à Etterbeek…

Etterbeek. Ce n’est pas le coin le plus touristique de Bruxelles, a priori. A l’ombre des nouveaux bâtiments du quartier européen, on découvre un endroit populaire où se mêlent les nationalités. La Place Jourdan, le c£ur de la commune, est réputé pour ses terrasses, ses authentiques cafés bruxellois et pour la Maison Antoine, qui est, selon les connaisseurs et beaucoup de guides, la meilleure friterie de Belgique. Même le dimanche matin, des gens font la file pour acheter un sachet de frites.

Matongé n’est pas très éloigné et ça se remarque car si une culture domine le quartier, c’est bien l’africaine. Il y a 22 ans, c’est ici que la famille Mudingayi a débarqué. Kadilu (58 ans), un militaire de Kinshasa, a été stationné à Bruxelles et sa famille l’a rejoint par la suite : sa femme Marie-Jeanne et ses trois fils, Gaby,Joséet Yannick. Le couple a agrandi la famille une fois installé non loin de la Place Jourdan. Il y a d’abord eu une fille, Murphy, et un quatrième fils, Christophe.

La famille a déménagé trois fois en peu de temps avant d’emménager, en 1996, dans la maison qu’elle occupe toujours maintenant.  » Je me souviens de toutes ces têtes noires qui me guettaient à la porte quand je venais chercher Gaby pour l’entraînement « , raconte Miguel Capilla, qui a joué avec Gaby à l’Union-Saint-Gilloise et à Gand.  » Je n’avais pas la moindre idée de leur nombre mais en tout cas, c’était une famille nombreuse, au sein de laquelle chacun cherchait sa voie. Je ne pense pas que Gaby ait eu une jeunesse facile. Il n’a pas reçu de cadeaux dans la vie, il a dû se faire tout seul. C’est pour ça qu’il est un modèle pour beaucoup de jeunes à Bruxelles. Malgré des moyens limités, il n’a jamais dévié du droit chemin. Ensuite, il ne s’est pas laissé influencer par les doutes que nourrissait Gand à son propos et le voilà à l’Inter. Je suis flatté d’avoir joué avec Gaby, écrivez-le.  »

 » Les Mudingayi veulent tous faire leurs preuves « 

Yannick le souligne : Gaby est respecté par les jeunes comme par les moins jeunes. Il a assisté à notre entretien avec Kadilu. Yannick :  » Ici, tout le monde connaît Gaby et est fier de lui, surtout parce qu’il a conservé sa simplicité. Pendant ses vacances, il passe toujours et il ne se comporte absolument pas en vedette. Il bavarde avec tout le monde. Je rencontre régulièrement des garçons comme Anthony Vanden Borre, Vadis Odjidja ou Patrick Dimbala, qui est un de ses amis d’enfance, et ils insistent toujours sur le respect qu’il éprouvent pour ses prestations. La presse belge et le grand public ont sous-estimé mon frère mais au sein du monde footballistique, il jouit d’une grande estime. Maintenant qu’il est à l’Inter, les gens comprennent qu’il est un battant et qu’il a de la personnalité « .

De ce point de vue, les frères se ressemblent, selon Yannick. Indépendamment de leur préférence pour les blondes, ajoute-il en souriant.  » Nous connaissons nos talents. Gaby est doué en football alors que moi, j’aime la musique. J’ai mon propre groupe de rap, sous le nom de Mike Moore, et moi aussi, j’ai tâtonné. Les Mudingayi veulent toujours faire leurs preuves. Le fait que tant de gens aient jugé que Gaby n’avait pas sa place à Gand ou en équipe nationale l’a justement incité à prouver le contraire. « 

Un jour, Gaby a d’ailleurs déclaré dans Sport/Foot Magazine :  » Je serais éternellement reconnaissant à Michel Louwagie pour le coup de pied au derrière qu’il m’a donné en disant que je n’étais pas assez bon pour Gand. Il a une grande part dans ma progression « . La remarque est un brin rancunière mais elle illustre bien le caractère du jeune Belge d’origine congolaise, qui n’évite pas les duels, pas plus qu’il ne renonce, sur les terrains et en dehors.

 » S’il avait opté pour l’athlétisme, il aurait sans doute atteint l’élite aussi « 

Jeune footballeur, Gaby n’était pas réputé pour sa technique ni son tir : il en imposait par son physique.  » Une force de la nature « , raconte, enthousiaste, Jean-Luc Lunquich, une connaissance de la famille. Il vit depuis toujours dans ce quartier d’Etterbeek. C’est un vrai Brusseleir, accent y compris. Il affirme se souvenir de l’affiliation de Gaby, à douze ans, au Racing Club Etterbeek, le club dont il était délégué d’équipe. Il lui a trouvé des chaussures. Gaby n’avait pas encore joué dans un club, pas plus qu’il n’avait eu d’entraîneur.  » Il jouait seulement dans les rues de Kinshasa, comme tout le monde « , sourit papa Kadilu en haussant les épaules. Il affirme ne pas avoir la moindre idée d’où son fils tient ce talent car Kalidu lui-même n’a jamais été sportif.

 » Gaby était réellement impressionnant, rapide et fort comme un lion « , poursuit Jean-Luc, intarissable.  » S’il avait opté pour l’athlétisme, il aurait sans doute atteint l’élite aussi. Mais Gaby jouait très bien. Malgré son manque de formation, il était de loin le meilleur de l’équipe. Je me rappelle un match de Cadets contre Saint-Michel. Nous étions menés 2-1 au repos. A peine remonté sur le terrain, Gaby s’est précipité vers le gardien et lui a demandé le ballon. Il a traversé tout le terrain pour marquer. Jamais il n’a joué pour lui-même. Il a toujours pensé à l’équipe. Nous avons rapidement compris qu’il devait viser plus haut qu’Etterbeek. « 

Gaby a été transféré à l’Union St-Gilles, pensionnaire de D2, via Marc Lesenfants, président d’Etterbeek mais également membre de l’Entente bruxelloise des clubs de foot. Il avait alors quinze ans. Il n’est resté que deux saisons à l’Union, où Gand l’a repéré. Malines était également une option, nous confie Kadilu.  » Il y a effectué un test au même moment et il aurait pu signer mais à son retour, Gaby m’a confié : -Papa, ce n’est rien pour moi.  »

Miguel Capilla l’a accompagné de l’Union à Gand. Il se souvient d’une anecdote, qui met en exergue la puissance de Gaby Mudingayi.  » A seize ans déjà, il possédait un physique impressionnant. Il n’avait pas une condition particulièrement développée car il n’était jamais en tête lors des courses dans les bois mais il était invincible dans les duels. Il n’était pas non plus un prodige de technique mais il avait un potentiel indéniable. Un exemple : durant la seconde saison à l’Union, nous nous sommes tous deux blessés au genou et nous avons effectué notre revalidation ensemble. L’entraîneur nous dispensait des séances individuelles après le passage chez le kiné. Il a obligé Gaby à travailler son tir au but et ce n’était vraiment pas du luxe mais je vous garantis qu’après un entraînement d’une heure, il en était capable. Il a toujours appris très vite, il a toujours été capable de progresser en un rien de temps. Je ne suis donc pas vraiment surpris qu’il réussisse une telle carrière. « 

 » Il était trop intelligent pour franchir certaines limites « 

Les Mudingayi n’étaient pas riches. Comme beaucoup d’enfants de la capitale, ils passaient la plupart du temps en rue, à jouer au football. Il n’y avait pas de terrain à proximité directe. Les enfants allaient donc un peu plus loin, au Parc du Cinquantenaire, qui est toujours le lieu de rassemblement des Etterbeekois.

Tous les jours, après l’école, on y jouait au football.  » Nabil Dirar en était aussi « , se souvient Yannick.  » Il y a beaucoup de talents ici à Bruxelles, vous savez.  » On le remarque un peu plus tard, en prenant congé. Un jeune voisin passe. Yannick le pointe du doigt :  » Il joue à Tubize.  » En D2, ce n’est pas mal. On comprend rapidement que Gaby Mudingayi a eu un impact énorme sur ses jeunes voisins. Il est la preuve vivante que l’absence de perspectives d’avenir ne conduit pas nécessairement à la criminalité, qu’il est possible de réussir dans la vie sans recevoir de cadeaux, à condition d’avoir une bonne dose de volonté. From zero to hero. C’est digne de Hollywood mais c’est la réalité.

Pourtant, Gaby a souvent été arrêté par la police, à cause de son amour pour les belles voitures. Comme il a rapidement gagné de l’argent grâce au football, il a été un des rares jeunes du quartier à pouvoir s’offrir une voiture. Une BMW M3, pas vraiment bling-bling mais assez pour parader à Etterbeek et effectuer quelques tours avec des copains. Tout le monde connaissait Gaby. Il était le roi du quartier et le bras armé de la justice ne l’ignorait pas. Plus d’une fois, Gaby et ses copains ont été arrêtés pour un contrôle, sans plus. Miguel Capilla :  » En fait, Gaby a toujours été un grand enfant. Il aime rire, plaisanter. Il a bon c£ur. Il lui est arrivé de se comporter en gamin des rues mais sans jamais commettre de faux-pas. Il était toujours prêt à aider les autres. Ses amis pouvaient tout lui demander mais il était trop intelligent pour franchir certaines limites. Il n’a jamais rien fait qui puisse nuire à sa carrière « .

Gaby a rapidement fait la connaissance d’ Eleonora, son épouse, une Belge d’origine italienne.  » Son père tenait un restaurant dans le quartier « , raconte Kadilu.  » Gaby allait souvent y manger un bout avec ses copains et il l’a rencontrée.  »

Yannick intervient :  » Le destin a des virages étonnants, non ? Gaby s’est ensuite épanoui dans le championnat italien et il vit depuis des années dans la Botte. Le style de jeu de la Serie A lui convient bien et il se sent chez lui là-bas, même s’il reste un vrai Belge. Par exemple, pendant les Jeux olympiques, nous ne supportons que les Belges. L’équipe nationale reste un objectif majeur pour lui. Il aime bien le groupe « .

 » Cet homme a été décisif pour la carrière de Gaby ! »

Gaby a passé les huit premières années de sa vie à Kinshasa. En garde-il quelque chose ? Kadilu soupire :  » Je ne pense pas qu’il en conserve beaucoup de souvenirs. Il n’y est jamais retourné. Il en a quand même gardé une énorme cicatrice sur le bras gauche, reste d’une chute qu’il a faite quand il était tout petit. Il s’en souvient toujours « .

L’écran TV montre une image du match Standard-Zulte Waregem, de la première journée de la saison. La caméra zoome sur la tribune et sur Jean-François de Sart. Kadilu Mudingayi montre l’écran :  » Cet homme a été décisif pour la carrière de Gaby. De Sart l’alignait en Espoirs, même s’il était réserviste à Gand. C’est comme ça que le Torino l’a remarqué. Pendant cette période, j’ai eu un peu peur pour mon fils : il a rarement reçu sa chance et n’a pu monter que quelques minutes au jeu. Gaby est la preuve vivante qu’il ne faut jamais se décourager « .

Kadilu réfléchit un instant aux détours du destin. Très croyant, catholique pratiquant, il pense que tout est prédestiné. C’est grâce au destin qu’aucun de ses enfants n’a sombré dans la criminalité, il estime n’avoir aucun mérite. Il en est quand même fier, murmure-t-il, comme s’il craignait d’être entendu. Yannick sait d’où cela vient :  » Papa était sévère quand il le fallait et maman est très sévère mais chaleureuse. C’est un exemple pour nous tous. En tant que frère aîné, Gaby nous a indiqué le chemin qu’il fallait suivre « .

Kadilu écoute, le regard un peu gêné. Il est tout simplement fier et ose à peine le murmurer comme s’il avait peur qu’on l’entende. La famille Mudingayi n’aime pas les grandes déclarations, ou alors ce seraient les paroles de Yannick, alias Mike Moore :  » En politique beaucoup de discours, aucune parole. Le peuple en ma personne trouve son porte-parole « , rape-t-il dans son single Révolution.

PAR MATTHIAS STOCKMANS

 » Maintenant qu’il est à l’Inter, les gens comprennent qu’il est un battant.  » Yannick, son frère

 » Gaby a toujours été un grand enfant. Il aime rire, plaisanter. Il a bon c£ur.  » Miguel, un ami

 » Maintenant qu’il est à l’Inter, les gens comprennent qu’il est un battant.  » Yannick, son frère

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