DÉLIT DE GRANDE GUEULE

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le feu follet du Tivoli a retrouvé du temps de jeu et le moral.

Yannick Vervalle (24 ans) dans le 11 de base de La Louvière pour le match à Charleroi, c’était une des surprises du chef, un cadeau de Noël avant l’heure du père Bodart. Ce n’était que la troisième titularisation, cette saison, du format de poche des Loups (1m72, 74 kg). Et la première avec le nouveau coach. Vervalle lui-même est tombé des nues en apprenant la nouvelle.

Yannick Vervalle : Le jeudi après l’entraînement, Gilbert Bodart m’a mis sur la liste des gars qui devaient jouer le lendemain en Réserve. Mais dans la soirée, j’ai reçu un coup de fil du club : pas de match de Réserve mais l’entraînement du vendredi avec le groupe qui devait aller à Charleroi. Première surprise. La deuxième, c’était au rendez-vous de l’équipe, le jour du match. Le coach m’a dit : -Tu t’entraînes bien, tu as une grande gueule à l’entraînement, je voudrais maintenant voir si tu es aussi capable de l’ouvrir en match. Tu commences. Je lui ai répondu : -Vous allez voir ce que vous allez voir. Et je pense que je ne l’ai pas déçu.

Vous avez vraiment une grande gueule ?

J’ai du caractère, je ne suis pas un mouton. Oui, on peut dire que j’ai une grande gueule. Tellement grande que je ne l’ouvre pas toujours à bon escient. (Il rigole).

C’est-à-dire ?

Je fais parfois des trucs qui ne sont pas adaptés à la situation. Il m’arrive de m’exprimer à ma façon dans des moments où ce n’est pas opportun.

Qui paye ?

Tout le monde : les coéquipiers, les adversaires, les arbitres. Quand on gagne, j’adore crier que j’ai gagné. Et quand on perd, je deviens un peu fou, je m’en prends à tout le monde.

Ça plaît à certains entraîneurs mais ça déplaît fortement à d’autres !

Je sais. Il y en a qui disent : -Avec des moutons, on n’arrive nulle part. D’autres nous lâchent : -Fonds-toi dans la masse, fais-toi oublier. Je suis un gueulard, un râleur, un mauvais perdant. Et je suis hyper susceptible. Quand on me lance une pique, je réponds du tac au tac. Ça ne plaît pas à tout le monde. Mais on n’a qu’un seul caractère, il nous suit de la naissance à la mort. Gilbert Bodart aime les joueurs qui s’expriment et balancent tout ce qu’ils ont sur le c£ur. Sans doute parce qu’il a lui-même une grande gueule… si je peux me permettre. Je pense qu’il apprécie les gars qui ont du caractère comme lui. Il vient seulement de me découvrir puisque j’étais blessé au genou quand il est arrivé. Je n’ai repris les entraînements à plein rendement que deux semaines avant le match à Charleroi. Il a sans doute vu que j’étais un travailleur, un perfectionniste… malgré tout ce qu’on a déjà pu raconter.

J’allais y venir : on vous a plus d’une fois reproché de ne pas assez bosser !

Je sais, il y a des entraîneurs qui ont dit ça de moi. C’est leur point de vue. Mais j’ai aussi mon point de vue sur certains coaches. (Il rigole).

 » Aucun point commun entre Cartier, Ferrera et Bodart  »

Vous n’aviez commencé que deux matches avec Emilio Ferrera alors que vous étiez en pleine possession de vos moyens : pourquoi ?

Il ne m’estimait pas capable d’apporter quelque chose à l’équipe comme titulaire. Il me disait que mon rendement était insuffisant.

Vous étiez d’accord avec son analyse ?

Un footballeur doit toujours être d’accord avec son coach même quand il pense tout à fait le contraire. Moi, je me sentais bien, en tout cas. Il a décidé de me titulariser dans le match contre Genk. Tout s’est très bien passé pour moi ce soir-là, j’en profite d’ailleurs pour rappeler qu’au moment où j’ai quitté le terrain, nous tenions toujours le nul… Je pense avoir répondu aux attentes de Ferrera dans ce match, mais je me suis malheureusement blessé et je me suis retrouvé à l’infirmerie pour plusieurs semaines.

Comment avez-vous vécu votre période sur le banc ?

C’était difficile à avaler. L’été dernier, j’avais eu des contacts avec plusieurs clubs mais on m’avait dit que Ferrera comptait sur moi et tenait absolument à me conserver. J’ai raté les deux premières semaines de préparation parce que j’étais malade, mais après une ou deux journées de championnat, j’étais à 100 %. Je bossais bien, j’attendais mon tour mais il ne venait pas. Je l’ai mal vécu.

Quelle est votre analyse de la métamorphose de l’équipe depuis le changement d’entraîneur ?

En début de saison, on n’arrivait jamais à reproduire en match ce qu’on réussissait à l’entraînement. Il fallait être aveugle pour ne pas voir, en semaine, qu’il y avait énormément de qualités dans ce noyau. Ça jouait super bien au foot. Mais, une fois le match commencé, il y avait un gros blocage. Aujourd’hui, tout le monde joue à son niveau et les résultats suivent forcément. Vous avez vu le nombre de joueurs qui sont totalement transfigurés ? Je ne prendrais que l’exemple d’Egutu Oliseh. Autant il était timoré, autant il avait peur de son ombre et la crainte de commettre des erreurs en début de saison, autant il joue libéré aujourd’hui.

Ferrera mettait trop de stress sur vos épaules ?

Tout à fait. Et c’est quelqu’un de très introverti, ce qui ne convient pas du tout à un club comme La Louvière. Il vit sous pression et la transmettait aux joueurs. Ça nous bloquait complètement.

Vous voulez dire qu’il était trop… sérieux pour un club comme La Louvière ?

Je dirais qu’il avait une approche tout à fait différente de celle du nouveau coach. Une approche fort académique. Il a essayé de nous inculquer sa façon de voir les choses mais la greffe n’a pas pris sur ce groupe. Bodart a joué en D1 belge, il connaît le monde et la musique, ça se sent directement dans son discours et sa façon de donner les entraînements. On sent que c’est un vrai homme du foot, il est d’ailleurs encore un peu joueur.

On dit que l’ambiance a fort changé.

C’est normal quand les victoires s’enchaînent, non ? Bodart débarque et on gagne déjà deux jours plus tard : le train de la bonne humeur collective était sur les rails… Ce noyau en avait ras-le-bol de vivre au rythme des défaites et des matches nuls.

Albert Cartier était aussi un théoricien, mais avec lui, ça a marché !

C’est encore un cas à part. Je ne vois pour ainsi dire aucun point commun entre Cartier, Ferrera et Bodart. Cartier, c’était l’approche française et il avait su trouver les mots justes pour les joueurs qu’il avait à sa disposition.

Il n’avait clairement pas trouvé les bons mots pour vous puisque vous avez très peu joué avec lui !

Même s’il ne m’alignait pas régulièrement, je l’apprécie beaucoup et je pense que c’est réciproque. Il m’a appris beaucoup de choses. A assumer tous mes faits et gestes, notamment. J’avais par exemple raté une occasion en or contre Anderlecht, et à l’interview, je me suis justifié en disant que je n’étais pas un attaquant et qu’en plus, j’avais peu joué au cours des semaines précédentes. Cartier m’a remis les yeux en face des trous : il m’a dit que si j’avais raté ce but, c’était parce que je n’avais pas pris correctement mes responsabilités.

 » Le triangle Teklak-Oliseh-Brahami fait la pluie et le beau temps  »

Il y a désormais au moins un leader fort et au meilleur de sa forme dans chaque ligne : Olivier Guilmot derrière, Alex Teklak et Fadel Brahami au milieu, Nordin Jbari devant. N’est-ce pas une autre explication du revirement ?

Certainement. En début de saison, ces joueurs ne parvenaient pas à montrer ce qu’ils avaient dans le ventre. Ils étaient bloqués, loin de leur meilleur football. Aujourd’hui, ils sont complètement libérés. Et ce ne sont que quelques cas parmi tant d’autres. Depuis quelques semaines, tous les joueurs tournent mieux. Même les réservistes. Et l’ambiance est extra. Des personnes extérieures essayent d’injecter des interférences dans notre vie de groupe mais ça ne marche pas…

Comment le groupe vit-il les rumeurs de matches truqués ?

Nous essayons de faire abstraction mais c’est dur parce qu’avant d’être des pros, nous sommes des hommes. Je n’ai pas été interrogé par les enquêteurs qui sont venus au stade parce que je n’avais pas joué le fameux match à St-Trond, mais mettez-vous à la place de ceux qu’on a suspectés. On a voulu les photographier de face, de profil gauche, de profil droit. Comme des criminels. Ils ont refusé !

Que dit l’entraîneur ?

Il dit ce que tout le monde pense : ça le fait royalement ch– !

Savez-vous combien de joueurs La Louvière a déjà utilisés en championnat ?

Tous, sans doute ? Beaucoup, en tout cas…

25 !

C’est énorme, oui. Mais c’est normal d’essayer autre chose quand les résultats ne suivent pas. Dans un groupe comme le nôtre, il n’y a pas onze incontournables. Nous avons, selon moi, six piliers : Michaël Cordier, Olivier Guilmot, Alex Teklak, Egutu Oliseh, Fadel Brahami et Nordin Jbari. Tous les autres se valent plus ou moins. J’ai par exemple joué à Charleroi, mais je suis sûr que ça se serait aussi bien passé si Bodart avait choisi un autre gars pour occuper ma place. L’important, c’est d’avoir des piliers aux postes clés. C’est le cas chez nous. Ça part du gardien et ça arrive à l’avant-centre en traversant l’axe de la défense et de l’entrejeu. Ce triangle dans l’entrejeu, c’est véritablement le baromètre de notre équipe. On ne savait pas que Teklak pouvait être aussi efficace à la récupération. Oliseh était inconnu mais c’est un joueur que beaucoup de clubs doivent maintenant nous envier. Brahami confirme sa bonne saison 2004-2005. Ces trois-là font la pluie et le beau temps pour nous et ils doivent susciter bien des envies dans les clubs concurrents. S’ils sont bien dans le match, ils rayonnent sur tout le reste de l’équipe.

Vous étiez parti à Mons pour le deuxième tour de la saison dernière : la RAAL avait-elle changé à votre retour ?

Non. C’est ma quatrième saison ici et je vois très peu d’évolution.

Ne pas évoluer, c’est parfois ce qu’on reproche à ce club…

La Louvière reste un petit club humble et c’est mieux comme ça. Le but en début de saison est toujours de se sauver et cette étiquette nous permet d’aborder tous les grands avec un statut de challenger. Avec nos moyens, on réussit de chouettes trucs : une victoire en Coupe de Belgique, une septième place au classement final, des victoires à l’extérieur. Depuis que je suis ici, nous n’avons jamais eu aucun mal à nous sauver. Nous disons nous-mêmes que La Louvière est un petit club… mais nous n’en pensons pas moins.

Vous êtes en fin de contrat…

Oui, et j’ai l’intention de passer à autre chose en fin de saison. J’ai envie de changer d’air.

On vous a déjà cité à Charleroi.

Chouette club, chouette stade, chouette public…

 » Je n’ai pas la prétention d’être influent ; plus tard peut-être  »

Que retenez-vous de votre passage à Mons ?

J’avais deux objectifs en signant là-bas : jouer beaucoup et contribuer au sauvetage de ce club. J’ai atteint le premier, pas le deuxième.

On raconte que vous aviez fait une formidable opération financière en signant dans ce club.

Mons a fait un effort, mais c’est toujours comme ça dans les clubs qui sont obligés de se renforcer au mercato d’hiver…

Puisqu’on en est aux bruits de couloirs… On dit aussi que vous êtes un des plus malins du vestiaire.

Malin ?

Rusé.

Qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde ? Si on le dit, tant mieux.

Influent ?

Je n’ai pas cette prétention. Il y a des leaders dans le groupe de La Louvière, je les ai cités, je ne crois pas en faire partie. J’aimerais bien devenir un patron, je pense même que j’ai le potentiel pour y parvenir, mais je ne me sens pas encore prêt. En attendant, je sais rester à ma place.

Etes-vous d’accord quand on affirme que vous avez un gros problème de concentration ?

J’ai un problème à ce niveau-là, je le reconnais. Je perds encore trop facilement le fil du match. Mais j’y travaille depuis plusieurs années avec Thibaut Vincent, un préparateur mental. Je le consulte systématiquement une fois par semaine. Il m’aide à limiter les durées de mes absences, à oublier toutes les petites choses qui risquent de me perturber pendant un match. Je trouve que ça marche bien. Tiens, si quelqu’un vous dit encore que je ne sais pas rester concentré, signalez-lui qu’à Charleroi, j’ai perdu un seul ballon en 79 minutes… et que je l’ai tout de suite récupéré. (Il se marre).

Et votre lecture du jeu soi-disant déficiente ?

C’était un gros problème il y a quatre ou cinq ans. Parfois, j’essayais de dribbler cinq adversaires, puis le piquet de corner… Mais j’ai aussi évolué sur ce plan-là. J’essaye de jouer simple, de ne pas perdre de ballons et de relancer proprement.

La vie nocturne, c’est fini ?

Vie nocturne ? Je n’ai jamais été un grand sorteur. J’ai toujours su que l’hygiène de vie pouvait expliquer à elle seule la différence entre un footballeur qui réussit et un qui se plante. J’aime m’amuser mais je sais me limiter.

Vous n’avez encore marqué qu’un but en une centaine de matches de D1 : n’est-ce pas un manque ?

Certainement. J’ai marqué contre Charleroi, à l’époque où Ariel Jacobs était à La Louvière. Du pied droit encore bien ! Quand on a connu ne fût-ce qu’une seule fois des sensations pareilles en D1, on a envie de les revivre chaque semaine. Mais j’ai fini par me persuader que j’étais fait pour autre chose. Je n’ai qu’un goal, j’ai très peu d’assists mais mes armes sont ailleurs : je dribble, j’élimine des adversaires, je travaille pour l’équipe.

PIERRE DANVOYE

 » FERRERA NOUS COMMUNIQUAIT SA PRESSION : ÇA BLOQUAIT COMPLÈTEMENT « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire