Dégrisés

En 90 douloureuses minutes, les Diables Rouges ont été piétinés.

Avant même que les Diables Rouges montent dans l’avion à destination de Zagreb, Eddy Snelders, l’entraîneur-adjoint, émet quelques remarques: « Nous allons énormément regretter un joueur comme Yves Vanderhaeghe. Car où se situe la force des Croates? Ils exercent un pressing impressionnant dans l’entrejeu. Dans ces conditions, il est bon d’avoir un joueur qui nettoie le secteur et mette le pied ». Et il n’est pas le seul à s’engouffrer dans l’avion la tête pleine de questions, en route vers un match de qualification crucial pour l’EURO 2004…

Zagreb se prépare à vivre un été étouffant. Les photos des skieurs nationaux, Janica et Ivica Kostelic, ont disparu du paysage de la ville. A leur place, des affiches géantes de 11 guerriers qui regardent la caméra d’un air menaçant. C’était l’équipe nationale croate de football, le symbole d’une nation qui, sept ans après la fin de la guerre civile, cherche à s’affirmer.

Zagreb tente avec acharnement de se défaire de sa grisaille. La dévote ville des Balkans respire le caractère. Les typiques bâtiments gris en béton de l’ancien bloc de l’Est ne subsistent qu’en banlieue. Au centre-ville, ils ont fait place à de la verdure, à de fières allées ombragées et à de belles bâtisses. La cathédrale subit un lifting et de nombreuses constructions sentent encore le ciment frais.

C’est dans ce décor dominé par la Néo-Renaissance que les Diables Rouges vont tenter de raviver leurs couleurs. L’équipe en cours de construction recèle davantage de potentiel footballistique que celle qui s’est produite au Mondial, elle a plus de finesse et de subtilité, elle est moins calculatrice. A la veille du match, Aimé Anthuenis se garde toutefois de tout excès de compliments. « Si nous gagnons, je ne vais pas planer sur un nuage de bonheur, pas plus que, si nous perdons, je ne rentrerai sous terre », affirme-t-il, dans le décor somptueux de l’hôtel Opera, comme s’il voulait se couvrir.

Il est convaincu d’aligner la meilleure équipe dont il dispose: »Ici et là, je pourrais peut-être aligner un autre joueur, mais il ne s’agit que de détails. Quoi qu’il arrive, nous devons continuer avec ces joueurs-là. Il n’y a pas d’autre issue ».

Il est curieux de connaître les conclusions que cette joute va certainement livrer: « Comment fonctionnent Daniel Van Buyten et Joos Valgaeren au centre d’une défense? L’équipe n’est-elle pas trop légère? Comment allons-nous réagir face à l’avantage que les Croates auront, chez eux? Ce match doit nous dire où nous en sommes ».

Anthuenis rayonne d’un calme et d’une sérénité incroyables. Après la conférence de presse, le sélectionneur répond aux questions d’une demoiselle sortie tout droit d’une agence de mannequins. Il s’agit d’une journaliste de la télévision croate. Là aussi, les femmes font leur apparition en journalisme sportif, comme nous le constaterons encore le lendemain, pendant le match: au moins 15 femmes sont présentes dans la tribune de presse et toutes, elles arborent un badge de journaliste.

Forfait

Avant même le départ, c’était une affaire d’Etat. Au stade Maksimir de Zagreb, un stade toujours délabré, ça tourne au drame: le visage contracté de douleur, Geert De Vlieger quitte l’entraînement après une demi-heure. La blessure qu’il s’est occasionnée au tendon d’Achille auparavant le contraint au forfait. Francky Vandendriessche va devoir le remplacer. On ne pourrait mieux illustrer la disette belge en gardiens. Cette saison, Vandendriessche a encaissé 50 buts et dans les derniers matches de Mouscron, il n’a pas vraiment respiré la sécurité. Ces dernières semaines, on n’a pas visionné les alternatives espagnoles, Edwin Lemmens et Ronny Gaspercic. On a traité la problématique du deuxième gardien avec trop de nonchalance, pensant qu’il n’arriverait rien au titulaire. En outre, celui-ci ne gagne plus guère de points en équipe nationale depuis le début du Mondial. Geert De Vlieger réalise une saison médiocre avec Willem II et il ne prendra jamais place dans la galerie des grands gardiens belges.

De jeunes talents pointent déjà: Jonathan Bourdon, repris en Espoirs, est doublure dans son club, Westerlo, comme Cliff Mardulier au Lierse. Le meilleur reste Dany Verlinden, qui fêtera ses 40 ans en août, mais le retour éventuel de ce vétéran n’a jamais été à l’ordre du jour. C’est que tout le monde s’affirme satisfait de la mentalité exemplaire de Vandendriessche pendant le Mondial. Sans jamais faire la tête, il s’est glissé dans son rôle de troisième gardien. Mais est-ce un critère pour défendre, d’un coup, le but lors d’un match décisif?

En outre, la défense n’est pas grande communicatrice. Vandendriessche n’est pas bavard, Valgaeren non plus, même si Aimé Anthuenis a fait de son mieux pour faire croire le contraire. En fait, que peut dire d’autre un sélectionneur, dans ces conditions? Quant à Van Buyten, le défenseur géant empreint d’une aura mystique, s’il brille à l’Olympique Marseille, c’est parce que Frank Leboeuf l’y dirige. Sans patron à côté de lui, il se fait trop téméraire. Etrange que, pour un match si important, Aimé Anthuenis doive aligner au coeur de la défense deux éléments qui n’ont jamais évolué de concert. Tout aussi bizarre qu’on proclame que le triangle BuffelSonckMpenza est le digne représentant d’une nouvelle génération alors que les joueurs en question, aussi doués soient-ils, n’ont jamais évolué ensemble contre une formation de haut niveau.

A juste titre, Anthuenis a tempéré les attentes les concernant. On ne peut pas reprocher grand-chose au sélectionneur sur ce plan: faute de matches de préparation contre des adversaires valables, il n’a pu effectuer les tests nécessaires. La surcharge du calendrier rend difficile une préparation optimale de l’équipe nationale mais on pourrait choisir ses adversaires avec plus de soin. Avant le déplacement en Bulgarie du 7 juin, les Diables Rouges n’ont qu’un match amical contre la Pologne, le 30 avril.

Un but fatal

Le football reste imprévisible. Il y a un an et demi, à Zagreb, les Diables Rouges, tremblants de peur, s’étaient retranchés dans une stricte défense et s’étaient inclinés 1-0, sur un but marqué à 12 minutes de la fin. Rapidement menés cette fois, ils ont tenté de se ressaisir et dans le dernier quart d’heure de la première période, ils ont même mieux combinéque la Croatie. Il y avait même de l’égalisation dans l’air.

Jusqu’au deuxième but, fatal. Les Diables Rouges se sont fait conduire à l’abattoir, d’une manière incroyable. D’un coup, tous leurs manquements sont apparus, criants. Dans les filets, Francky Vandendriessche, déjà peu brillant, a perdu toute confiance après le premier but. Dès ce moment, il y avait toujours quelqu’un dans le but mais en réalité, c’était comme s’il n’y avait plus personne. Par moments, la défense a été une passoire. Olivier De Cock n’a eu aucune prise sur Milan Rapaic, qui surgissait constamment et dont les passes du gauche créaient chaque fois la panique. Pourtant, Rapaic manquait de rythme: Fenerbahçe l’a renvoyé suite à une visite intempestive de bars et il n’a disputé que quelques matches pour Hajduk Split. Otto Baric, hué par les supporters avant la rencontre, ne l’a aligné que sous l’influence de la presse. A gauche, Peter Van Der Heyden a complètement sombré. Défensivement faible, il a prodigué un festival de passes ratées. Les défenseurs latéraux ne sont pas seuls coupables. Dans les moments difficiles, ils n’ont reçu aucun soutien, ni de Joos Valgaeren, ni de Daniel Van Buyten. Alors que ceux-ci donnaient l’impression de garder pied, leur jeu de position a laissé à désirer. Sur le quatrième but, Van Buyten s’est fait berner de triste façon. La présence de Timmy Simons est indispensable à l’avenir, pour organiser la dernière ligne.

En seconde période, l’entrejeu n’a plus fonctionné. Bart Goor n’en a pas touché une, Gaëtan Englebert a beaucoup couru sans guère d’efficacité, Timmy Simons n’est pas passé à côté de son match mais n’a pas été dominant et, même s’il a sombré avec ses coéquipiers après le repos Il est difficile de juger les attaquants dans de telles conditions, même si Thomas Buffel, seul derrière les avants, mérite une petite mention. Wesley Sonck n’a pas vraiment fait preuve d’excès de zèle et qu’Emile Mpenza est manifestement plus mobile en voiture que sur le terrain.

Plus inquiétant le constat suivant: après ce deuxième but, l’équipe n’a plus réussi à lier son jeu. Elle a aveuglément usé de longs ballons que les longilignes défenseurs croates ont tous repris de la tête, sourire aux lèvres. Les Diables Rouges n’ont gagné qu’un seul duel aérien.

Examen raté

Après-coup, Aimé Antheunis a essayé d’analyser sereinement la rencontre mais en son for intérieur, il bouillait de frustration. Il a reconnu que l’équipe avait raté son examen: « Nous avons été remis à notre place. Nous revoilà les pieds sur terre ». Interrogé, il a insisté sur l’importance de l’absence d’Yves Vanderhaeghe mais il ne change pas son fusil d’épaule: « Nous devons poursuivre avec cette équipe. Finalement, nous sommes toujours en train de la construire », répète-il à l’envi, lorsque l’avion atterrit à Zaventem, à une heure moins le quart de la nuit.

Après ce revers 4-0, la réalité est impitoyable: face à un adversaire qui allie technique et puissance, la Belgique peine, comme les Croates l’ont cruellement révélé au grand jour. Il faudra à tout prix gagner en Bulgarie pour conserver quelque espoir de participer à l’EURO portugais. Seulement, voilà, la Bulgarie est également la parfaite symbiose de la technique et de la force, à une différence près: elle est rapide aussi. éa passe ou ça casse. Quoi qu’il en soit, cette équipe recèle des qualités footballistiques. C’est une étrange dualité après pareille descente aux enfers.

Jacques Sys, envoyé spécial à Zagreb.

Baric n’a aligné Rapaic que sous l’influence de la presse

Thomas Buffel, seul derrière les attaquants, mérite une petite mention.

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