DÉFIS aussies

Les Kangourous sont une nouvelle fois à la porte de la Coupe du Monde mais ont encore du chemin à faire.

Nous sommes assis à la terrasse du London, un bar-restaurant du port de Melbourne Harbour, avec vue sur l’Océan, en compagnie d’ Eddie Krncevic. C’est ici que ses parents ont débarqué en Australie en 1958. Originaires de Zadar, en Croatie, ils ont fui le communisme. Son père a trouvé du travail comme bûcheron. Eddie est devenu le premier footballeur australien sur le continent européen. En 15 ans, il s’est produit pour le Dinamo Zagreb, le MSV Duisburg, le Cercle Bruges, Anderlecht, le FC Mulhouse, le Club Liégeois, l’Eendracht Alost et le Sporting Charleroi. Après sa carrière active, il a entraîné Carlton, Marconi Sydney et South Melbourne. Il est maintenant agent FIFA mais la Hyundai A-League se porte très bien et il repense à coacher.

Près de 25.000 spectateurs ont assisté à la première journée du nouveau championnat de football, à l’AussieStadium de Sydney, alors qu’on n’en attendait que 10.000. Au Suncorp Stadium de Brisbane, ils étaient 20.000, et le stade olympique de Melbourne, dont la capacité est de 18.500, est trop petit.  » Il y a beaucoup de signaux positifs « , commente Krncevic .  » L’essentiel est d’attirer les gens aux matches car le football est confronté à la concurrence du rugby et de l’AustralianRules Football. La télévision joue un rôle crucial mais pour l’instant, seule la chaîne payante Fox Sports propose les matches de l’ A-League « .

Le championnat australien a été à l’arrêt pendant deux ans, une période pendant laquelle, sous la direction de Frank Lowy, une révolution de velours a eu lieu. Multimilliardaire, il fait partie des dix Australiens les plus riches. Magnat de la construction et des centres commerciaux, et passionné de football depuis son enfance, il est parvenu à mettre sur pied le premier véritable championnat pro. Un lobbying politique a fait le reste et la chaîne TV commerciale du championnat a été conçue par la maison de production de Ridley Scott, réalisateur de cinéma bien connu, pour 1,5 million d’euros. Les jeunes et les familles sont la cible de la campagne car désormais, le football est promu comme un sport australien, afin de briser son étiquette d’activité de minorités ethniques, des communautés grecque, italienne, croate, macédonienne, serbe ou turque restées en contact avec leur pays natal.

Le nouveau championnat pro

Les huit nouveaux clubs sont bien répartis géographiquement sur l’Australie et la Nouvelle-Zélande, selon le principe une ville, un club. Il s’agit de Newcastle Jets FC, Adélaïde United FC, Perth Glory FC, Central Coast Mariners DC, Queensland Roar FC, New Zeeland Knights FC, Sydney FC et Melbourne Victory FC.

La Huyndai A-League a commencé le 26 août dernier. Chaque équipe affrontera les autres à trois reprises jusqu’au début du mois de février. Au terme de ces 21 journées, les quatre premiers disputeront un barrage. La grande finale aura lieu le 4 mars. Durant les deux dernières décennies, l’Australie avait déjà tenté de lancer un championnat professionnel, sans succès. Jamais encore on n’avait imaginé et mis en place un concept, une structure et un management comme on l’a fait sous l’impulsion de Frank Lowy. Cela semble fonctionner. Le niveau est en progrès et le public s’amuse.

Krncevic :  » Auparavant, la répartition des clubs, la controverse soulevée par les clubs ethniques et les dirigeants surtout soucieux de leurs intérêts personnels ont posé problème. Il y avait trop de clubs, aussi. A Sydney comme à Melbourne, les plus grandes villes, il y en avait quatre ou cinq. Croates, Italiens, Grecs, tous avaient leur propre club. Ils existent toujours mais ils ne peuvent pas se produire en championnat professionnel. Participer à l’ A-League coûte 2,5 millions d’euros. On obtient la garantie d’être le seul club professionnel de sa région pendant cinq ans, le temps de se forger une identité, d’assurer son budget et de se gagner un public. C’est intéressant pour tout le monde, y compris les pouvoirs publics et les investisseurs privés, qui s’intéressent beaucoup aux licences exclusives octroyées aux grands segments du marché. Ainsi, Melbourne Victory représente l’Etat de Victoria, soit près de 5 millions d’âmes.

Les clubs doivent avoir un noyau de 20 joueurs maximum, dont trois doivent avoir 20 ans ou moins. La masse salariale ne peut pas dépasser 750.000 euros. Elle va augmenter d’année en année. Chaque club est également obligé d’enrôler ce qu’on appelle un marquee player, une vedette dont le salaire n’est pas repris dans la masse salariale. A Sydney, c’est Dwight Yorke. Il gagne 400.000 euros.

Le retour de footballeurs du cru comme Archie Thompson et l’arrivée d’étrangers chevronnés comme Geoffrey Claeys, Dwight Yorke et Richard Kitzbichler sont positifs pour le niveau et l’attrait du championnat. Pour le moment, je le comparerais à l’élite de la D2 ou la queue de la D1 belges. Il n’y a pas encore assez d’argent pour conserver les meilleurs jeunes. Les clubs sont nouveaux et je m’attends à ce qu’ils travaillent avec des clubs satellites pour la formation des jeunes, qui constitue encore un réel problème « .

La formation des jeunes

Le principal outil de la formation des jeunes est actuellement l’AustralianInstitute of Sport (AIS) et ses centres dans les différents Etats, comme le Victorian Institute of Sport (VIS) à Melbourne. Les talents de 14 à 18 ans s’y entraînent intensément et les Juniors remportent des succès. Ils ont battu de nombreuses équipes européennes et ont été finalistes malheureux d’un Mondial des -19 ans contre le Brésil.

 » L’Instituteof Sport, c’est bien. Il offre des facilités fantastiques et de bons programmes tout en permettant aux jeunes de continuer à étudier. Mais à 18 ans, c’est souvent terminé. Il faut émigrer en Europe ou abandonner le football et travailler. Il y a finalement assez peu de places dans le nouveau championnat pro « , explique Eddie Krncevic.  » En plus, nous n’avons pas la base indispensable. Il faut commencer à dix ans, apprendre les bons gestes pendant la puberté. La coordination, par exemple, est très importante aux environs de dix ans mais on ne la travaille pas ici. En Croatie, les gamins de cet âge s’entraînent cinq fois par semaine, contre deux ici. On ne développe pas les talents. Il faut travailler plus et de manière mieux structurée. Je suis depuis des années un jeune d’origine croate qui a maintenant 15 ans. Il s’entraîne tous les jours avec un de mes amis. Je pense qu’il peut devenir une vedette. Il joue des deux pieds, il a une brillante technique, de la vista, de la vitesse. Personne ne le remarque ! On l’aligne sur le flanc droit. C’est frustrant. Et qu’on le fasse jouer avec les garçons de son âge, pas en -21 ans ! Il ne faut pas le tuer. C’est un exemple parfait de la mauvaise formation… Mais n’importe qui peut encore être entraîneur, ici « .

L’équipe nationale

Aujourd’hui, l’Australie affronte l’Uruguay dans le match retour des barrages pour le Mondial 2006. Les Socceroos ne se sont plus qualifiés pour un tour final depuis 1974. Les obstacles sont connus : le manque de concurrence dans le groupe de qualification de l’Océanie et les trajets que doivent effectuer les internationaux évoluant en Europe à chaque convocation.

 » C’est aussi un problème de structures « , selon Krncevic.  » Je ne pense d’ailleurs pas que l’Australie va réussir à se qualifier pour le Mondial. Les joueurs sont trop âgés parce qu’il y a quatre ans, on n’a pas introduit de jeunes talents. Nous possédons quelques excellents footballeurs, comme Mark Viduka et Harry Kewell, mais aucun n’a la classe mondiale. Le coach hollandais Guus Hiddink est bon mais il ne fallait pas le choisir car il travaille à temps partiel : il est surtout au PSV. C’est un manque de professionnalisme. On a déjà essayé avec l’Anglais Terry Venables et ça n’a pas marché. La Fédération aurait dû embaucher un sélectionneur à temps plein et pas pour quatre mois mais pour quatre ans. Avec Frank Farina, plus rien n’allait. Il fallait le remplacer il y a quatre ans, quand l’Australie n’avait pas su se qualifier avec lui pour le Mondial asiatique. C’était déjà une erreur. J’étais alors candidat au poste de sélectionneur. Juste avant la décision officielle, Farina m’a téléphoné : -Eddie, si tu obtiens le poste, j’aimerais être ton adjoint. Mais je savais déjà qu’il allait être réélu. L’entraînement est ma passion mais j’ai arrêté. J’étais fatigué de ces dirigeants qui n’y connaissaient rien en football, de ces gens étrangers à sa culture et à ses rouages, incapables de comprendre ce qui était nécessaire au développement d’un club, de ces égocentriques qui apparaissaient plus souvent dans le journal que les joueurs et les entraîneurs. D’ailleurs, les journalistes aussi doivent être formés. J’ai un éditorial dans Goal, le seul petit magazine de football de Victoria. J’en profite pour y livrer des critiques positives, afin d’inciter les gens à réfléchir « .

Le football australien est aussi victime de son isolement. Ses clubs n’ont pas de contacts internationaux. Le problème va être résolu puisqu’en 2006, l’OceaniaFootball Confederation rejoindra le giron de l’AsianFootball Confederation. Les deux premières équipes de l’ A-League pourront disputer la Ligue des Champions asiatique.  » C’est essentiel « , se réjouit Eddie Krncevic,  » car l’Asie a un niveau supérieur et c’est un marché où beaucoup d’argent circule. Pour vous donner une idée : en 1997, j’ai livré deux matches amicaux en Chine avec l’équipe que j’entraînais alors. Il y avait 70.000 personnes dans le stade et 500 millions de gens suivaient les rencontres à la télévision. Cela va rehausser le niveau de notre cham-pionnat, sportivement et financièrement. L’équipe nationale tirera aussi profit de son déménagement dans le groupe asiatique car celui de l’Océanie est très faible. Hormis la Nouvelle-Zélande, aucun adversaire ne représente quoi que ce soit. Je ne pense pas que l’Australie ne s’est plus qualifiée pour une phase finale depuis 32 ans juste parce que les internationaux sont soumis à de longues navettes. Que fait le Brésil, alors ? C’est aussi une question de coaching, de stratégie, d’organisation, de discipline. La formation des entraîneurs en Australie n’est que théorie. Il faut que des gens comme Gérard Houiller viennent diriger des séminaires ici, il faut envoyer nos jeunes entraîneurs en stage dans des clubs européens comme Anderlecht et l’Ajax. Il y a quelques bons jeunes coaches mais leur formation est insuffisante. J’ai un ami qui passe sa Pro License en Grèce. Il ne veut pas travailler ici. Qui le fait ? Steve McMahon à Perth. Il a été un excellent joueur mais qu’en est-il de son coaching ? Richard Money est à Newcastle. Il s’est produit pour Liverpool. Pour le reste, on n’a jamais entendu parler de lui. Ernie Merrick entraîne Melbourne. Il n’a pratiquement dirigé que des jeunes. Pierre Littbarski s’occupe de Sydney. Un nom comme joueur mais qu’a-t-il prouvé comme coach ? Il faut embaucher des entraîneurs qui ont connu le succès en Europe, de vrais entraîneurs de qualité, des hommes expérimentés, qui ont un programme. Pour cela, évidemment, il faut un bon championnat, doté de plus de moyens financiers. Ce qui est étonnant, c’est le nombre de gens qui sont disposés à venir travailler ici, d’un coup. Guus Hiddink est là, Georges Leekens et Aad de Mos sont prêts à suivre. Peut-être est-ce déjà pour l’année prochaine. Après tout, Littbarski coûte quand même 400.000 euros. C’est peut-être prématuré pour un entraîneur vraiment ambitieux mais il ne faut pas perdre de vue la qualité de la vie ici. C’est un pays magnifique, fou de sport, où on n’a pas besoin de grand-chose pour vivre. Un bon climat, de grands espaces, une nourriture saine qui ne coûte pas cher…  »

Il désigne les alentours.  » Quand je suis revenu, en 1997, tout était vide ici. Pas de buildings, rien. Ce bistrot était le seul. Les investisseurs réalisent le potentiel de l’Australie. Il est gigantesque « .

CHRISTIAN VANDENABEELE, envoyÉ spÉcial en australie

 » L’ENGAGEMENT DE HIDDINK COMME SÉLECTIONNEUR N’Était pas professionnel « 

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