Défi olympique

Le coach des -21 ans pourrait aligner deux équipes dans le top 10 européen. Pourquoi le jeune talent belge se fane-t-il ensuite ?

S’il avait opté pour la politique, Jean-François de Sart (45 ans) aurait acquis une stature de ministre d’Etat. C’est en tout cas un des sages du football belge en quête de billet olympique pour les Espoirs qu’il dirige. Son palmarès est riche de 330 matches de D1 de 1982 à 1995 (331 pour le compte de Liège, 19 sous les couleurs d’Anderlecht), d’une Coupe de Belgique (1990), d’un titre national (1993) et de trois sélections parmi les Diables Rouges, d’une flopée de rencontres européennes, etc. Patron d’une agence de banque à Oreye, cet homme posé est aussi un des plus beaux joyaux de la grande école des jeunes de Rocourt. Mais il ne s’est pas lancé dans cette aventure sans biscuits. Tout en se frayant un chemin vers l’équipe Première des Sang et Marine, cet élégant libéro prit le soin de terminer sa licence en sciences économiques.

En 1995, il répond positivement à un appel d’Ariel Jacobs et rejoint les rangs des entraîneurs des équipes nationales de jeunes. Douze ans plus tard, le citoyen de Fexhe-le-Haut Clocher, près de Liège, prépare calmement un des plus grands défis de sa carrière de coach des jeunes : l’Euro 2007 des Espoirs qui se déroulera aux Pays-Bas du 10 au 23 juin prochain. En attendant plus un jour ? Diable, le gaillard ne s’inscrit pas dans la hâte et examinera la question plus tard si l’Union Belge la lui pose. Plongé dans un affreux doute sur son avenir, le football belge couve enfin ses jeunes. Il y a eu des éclosions intéressantes aux quatre coins de la D1 mais l’attente est beaucoup plus importante : ces promesses doivent se qualifier pour les prochains Jeux Olympiques en terminant parmi les deux premiers de leur groupe en Hollande. C’est vital pour le football belge.

 » On ne peut demander à nos jeunes d’être les sauveurs de notre football  »

En 2006, la Belgique avait raté sur le fil, face à l’Ukraine, sa qualification pour l’Euro des Espoirs : comment aviez-vous digéré cette déception ?

Jean-François de Sart : Très difficilement, comme tout le monde, et il m’avait fallu un petit temps avant de retrouver mes esprits. Nous avions parcouru le plus dur du chemin et l’Ukraine, qui présentait une excellente équipe comme elle le prouva ensuite, nous remonta durant les dernières minutes du match retour décisif. Ce ne fut pas facile à accepter mais je ne place pas cela en parallèle avec l’absence des Diables Rouges à la Coupe du Monde. Ce sont des aventures différentes, les Espoirs n’étant pas là pour raviver ou calmer les désillusions d’un autre groupe. On ne peut pas demander à nos jeunes d’être les sauveurs de tout le football du pays. Ils préparent l’avenir, c’est quand même différent. Je ne vois pas pourquoi on ajoute une pression supplémentaire sur les épaules de ces jeunes gens. Ma déception s’expliquait plus par le fait que cette génération allait être privée de nouvelles expériences, de grands matches, d’un tournoi qui enrichit toujours le parcours d’un joueur. C’est là, et pas ailleurs, que se situait le déficit d’une douloureuse élimination. Si les Espoirs étaient passés, comme ils le méritaient, ils n’auraient pas requinqué à eux seuls le football belge : ce serait un raccourci trop simple.

Après cette brûlure, j’ai retrouvé un groupe dont la motivation avait été décuplée par cette épreuve. Ils n’étaient pas abattus du tout et se sont tout de suite nourris d’un objectif : l’Euro 2007. Comme si la mauvaise aventure vécue face à l’Ukraine avait servi de révélateur positif. Les Espoirs avaient envie d’être aux Pays-Bas en juin, ils y seront, c’est leur récompense. S’ils avaient pris part au précédent Euro, je ne suis pas persuadé que la Belgique se serait qualifiée pour la Hollande car nous n’aurions bénéficié que peu de temps pour nous préparer attentivement. Cela dit, ce ne fut pas toujours facile car en Belgique, l’intérêt médiatique et populaire pour les jeunes est maigre…

C’est-à-dire ?

En Hollande, c’est tout un pays qui se mobilise pour la phase finale de l’Euro. Les stades seront remplis à craquer. Le manque d’enthousiasme des Belges étonne nos voisins du nord. Notre campagne de qualification s’est déroulée dans une certaine indifférence. La Belgique a beaucoup de jeunes talents mais n’a pas de tradition au niveau de l’intérêt pour les Espoirs. Je ne dis pas que c’est dramatique mais cela m’interpelle quand je vois des différences trop criardes. Nous avons reçu la Bulgarie dans l’indifférence générale. Il y avait 300 personnes dans le stade avec une majorité d’agents de joueurs venus voir si le blé belge mûrissait bien. En Bulgarie, par contre, le stade était bien garni. Nous avons été accueillis et suivis par de nombreux journalistes, de presse écrite ou télévisée. C’était un événement et le match a été retransmis en direct sur une chaîne bulgare. Quand on bat la Serbie en match amical, personne n’en parle. Or, c’est un succès à Belgrade face à un pays phare en Espoirs. Il y aura une médiatisation ponctuelle en été puis plus rien, je le crains : c’est une question de culture.

Be. tv avait déjà tenté l’expérience et la RTBF couvrira les matches de l’Euro -21 ans. De plus, Eurosport a acquis les droits pour l’Euro -17 ans qui se déroule en Belgique. Il y a progrès, n’est ce pas ?

Oui et il est grand temps. Je m’en réjouis car le grand public ne peut pas découvrir ses jeunes qu’en D1. Ils parcourent du chemin avant cela et c’est intéressant. La formation et la post-formation seront des thèmes de réflexion de plus en plus importants pour le football belge. Je le dis sans hésiter un seul instant : des jeunes de qualité, il y en a en Belgique. Cela saute aux yeux. Nous pourrions même aligner deux équipes dans le top 10 européen des Espoirs. Cela peut paraître étonnant mais c’est la réalité. Mais alors, que se passe-t-il ensuite ? Pourquoi tant de promesses ne se réalisent-elles pas ? Même si nos yeux sont braqués sur l’Euro, il faudra se pencher sur toute la problématique de la post-formation.

 » Nos Espoirs ont battu la France et ses vedettes  »

C’est le gros problème des jeunes…

J’y vois, en tout cas, une des explications à leur surplace quand ils arrivent dans le vestiaire d’une équipe fanion. Ce n’est pas un aboutissement mais un début. Un Espoir a acquis un certain rythme d’entraînement au fil des années. Si on n’y prend pas garde, il bossera moins dans le cadre d’un noyau vivant parfois au rythme de deux matches par semaine avec moins de travail et des plages de repos. Or, le jeune ne peut surtout pas arrêter sa courbe de progrès. Il faut cerner ce qui va ou pas, accentuer les acquis, gommer les points forts. Cela passe par l’individualisation des entraînements. Il faut adapter la charge de boulot à chaque jeune. Si l’entraîneur est seul pour gérer tous les paramètres d’un effectif, avec ses diverses obligations, ses éléments ayant un gros vécu et ses jeunes, ce sera difficile. Il faut savoir à chaque instant ce qu’on va faire avec un jeune. Cela passe parfois par un prêt à un club de D2 ou de D3 où il obtiendra du temps de jeu. L’organisation d’un nouveau championnat des Réserves constitue une bonne chose car il y aura plus de moments d’expression pour les jeunes. En Angleterre, par exemple, les staffs techniques sont plus larges et le travail avec les jeunes est forcément très pointu dans les clubs de D1. Et il en va de même en France comme nous l’avons constaté avec les élèves de la Pro Licence de l’Olympique Lyonnais où Gérard Houiller nous a expliqué sa philosophie. Tout le monde souligne, à juste titre, les acquis de la formation française. Le monde entier s’en inspire et leurs stars sont recrutées par les grands clubs étrangers. En guise de préparation pour la campagne de qualification de l’Euro 2007, nos Espoirs ont battu la France et ses vedettes. Si on estimait aujourd’hui que Marouane Fellaini est arrivé, ce serait une erreur. Le Standardman exprime magnifiquement sa présence et ses potentialités mais il n’est pas encore mature dans un football qui change vite. Il lui reste du pain sur la planche : Marouane le sait. Il n’y a si longtemps, on ne jurait que par la technique et la vitesse. Il faut désormais y ajouter la force. Ne négligeons pas non plus ceux qui viennent de plus loin, de la Promotion à la D3 comme François Sterchele pour ne citer que lui. Les itinéraires menant au sport de haut niveau ne sont pas faciles.

Pierre-Olivier Beckers, le président du COIB, rêve de pouvoir aligner un sport collectif à Pékin en 2008, 32 ans après le hockey sur gazon masculin à Montréal en 1976 mais a précisé :  » Notre volonté est de soutenir le sport collectif, mais il faut que les fédérations concernées le veulent vraiment… « . Ne met-il pas la pression sur l’Union Belge et donc sur les Espoirs avant l’Euro 2007 ?

Je comprends parfaitement l’espoir du COIB. Il y a trop longtemps que la Belgique n’a pas qualifié un sport collectif pour les Jeux Olympiques. Le COIB nous soutient et c’est un honneur. Cette qualification sera un de nos objectifs. J’espère décrocher cette satisfaction (les deux premiers des deux groupes seront qualifiés pour Pékin) mais j’ambitionne aussi d’aller le plus loin possible à l’Euro 2007. Mais, comme je l’ai dit, je ne pense pas que les Espoirs sauveront le football belge en se rendant en Chine. Ce serait d’abord une bonne nouvelle pour eux avec la possibilité de vivre des moments uniques et intenses.

Que vous le vouliez ou pas, c’est une possible relance, ou une source de motivation, dans la roue des pauvres Diables Rouges pratiquement éliminés pour la phase finale de l’Euro 2008. Ne devriez-vous pas récupérer dès maintenant les éléments qui peuvent jouer avec les Espoirs ? Existe-t-il une volonté allant dans ce sens à l’Union Belge ? En avez-vous parlé avec René Vandereycken ?

Oui, bien sûr. Je partage le même avis que René Vandereycken : on ne peut pas trancher pour le moment, c’est trop tôt. Nous en avons aussi parlé avec Michel Sablon, le directeur technique de l’Union Belge. La décision ne peut pas tomber avant la dernière minute. En juin, les Diables Rouges ont deux rendez-vous importants contre le Portugal à Bruxelles, le 2 juin puis en Finlande quatre jours plus tard. Il faut quand même que la Belgique présente chaque fois une équipe compétitive.

 » Les Diables Rouges ne peuvent pas se passer des… Espoirs  »

Et les Diables Rouges sont-ils incapables d’y arriver sans plusieurs de vos Espoirs ? Ces derniers doivent donc tout faire… Bonjour la fatigue à quelques jours de l’Euro hollandais.

La Belgique est un des seuls pays ayant encore un match le 6 juin. Ailleurs, les Espoirs déjà retenus en équipe A seront à la disposition de leur sélectionneur national de jeunes à partir du 3 juin au plus tard. Tous les pays aligneront leurs meilleurs éléments : ce sera un tournoi d’un très haut niveau.

En 2005, pour Belgique-Ukraine, vous aviez sélectionné des Diables Rouges dont Silvio Proto : on a entendu par la suite que l’ambiance n’avait plus été la même entre Espoirs ayant participé à toute la campagne et les autres…

Il faut en finir une fois pour toutes avec ce canard boiteux. Ainsi, j’ai fait appel à Silvio Proto parce que Glenn Verbauwhede était blessé. Si le Brugeois avait été apte, il aurait joué. Ce ne sont pas des greffes sauvages. Tous ces joueurs se connaissent. Avant de devenir Diable Rouge, Marouane Fellaini était avec nous.

Donc, plusieurs Diables Rouges de moins de 23 ans (Bailly, Kompany, Pocognoli, De Mul, Maaroufi, Fellaini, Martens, Defour, Dembele, etc.) sont susceptibles d’intégrer le groupe des 23 Espoirs (nés après janvier 1984 au moment du début de la campagne de qualification) avant le départ vers la Hollande.

Oui, on verra. Nous affronterons le Portugal, Israël et les Pays-Bas. Je ne citerai qu’un exemple : le Portugais Nani sera là. Personne ne se pose de question au Portugal, tout le monde estime que c’est tout à fait normal. Et il y aura d’autres grands noms parmi nos adversaires.

par pierre bilic – photos : reporters/mossiat

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire