Défense d’Ivoire

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

L’artiste de poche explique pourquoi il se crashe au Stade Machtens.

Il y a des personnages qui inspirent naturellement la sympathie. Dans Le Père Noël est une ordure, monument du cinéma et du théâtre français, c’est Zézette (Marie-Anne Chazel), enceinte jusqu’aux orteils et rendue encore plus truculente par ses dents de lapin et son langage de stupide idiote. Au Brussels, c’est Zezeto (Venance Zézé Zezeto), 23 ans, petit bout d’homme (1m69, 62 kg) souriant, artiste ivoirien des pelouses. Artiste… lors de ses débuts en Belgique du moins. C’était en 2001-2002 et il creva alors l’écran avec Beveren : 60 matches, 18 buts et une kyrielle d’assists en deux saisons, un avenir prometteur. Ensuite, le (double) crash. Un championnat compliqué avec La Gantoise, puis une campagne tout aussi douloureuse au Brussels, qui ne l’a loué que pour un an aux Buffalos.

Ce week-end, le Brussels s’en va défier Beveren au Freethiel. Retour aux sources pour Zezeto : un retour qu’il avait imaginé plus joyeux.

Venance Zezeto : Je n’avais pas joué le match aller contre mes potes. Emilio Ferrera ne comptait pas sur moi à l’époque. Si je loupe à nouveau le retour, ce sera pénible, mais je ne peux rien y faire. Lors de ses trois premiers matches à la tête de l’équipe, Robert Waseige ne m’a fait jouer qu’un quart d’heure : à Anderlecht, alors que le match était plié.

Vous ne pouvez vraiment rien y faire ?

Attention, je ne veux surtout pas dire que Ferrera et Waseige sont les seuls responsables de ma mauvaise saison. J’ai aussi ma part de responsabilités.

C’est-à-dire ?

Ferrera a décidé que je devrais dépanner dans l’entrejeu, à gauche puis à droite. Alors que je n’avais jamais joué que devant. Il m’a demandé de courir, de travailler, de défendre : toutes des notions carrément nouvelles pour moi. J’aurais dû m’adapter mais je n’en ai pas été capable.

Le Brussels a des difficultés à la concrétisation depuis le début de la saison mais on ne vous fait pas jouer devant alors que vous avez bien prouvé votre sens du but avec Beveren : c’est étonnant.

Ferrera m’a expliqué en début de saison qu’il n’avait pas le choix. Son noyau était tellement étriqué qu’il se sentait obligé de m’aligner dans l’entrejeu. J’ai accepté mais je lui ai directement dit qu’il ne devait pas attendre de miracles de ma part. J’aurais encore pu me débrouiller dans l’axe, mais sûrement pas sur un flanc.

 » J’étais sous le charme de Leekens mais ce n’était pas réciproque  »

Ferrera vous connaissait pourtant, puisqu’il vous avait déjà entraîné à Beveren.

Que voulez-vous que je vous réponde ?

Avez-vous retrouvé le même entraîneur qu’à Beveren ?

Il avait un peu changé, dans le sens où il était encore plus professionnel. Et ce fut finalement son problème au Brussels. Il était trop pro pour ce groupe. C’est à coup sûr le meilleur entraîneur que j’aie connu jusqu’à présent. Il sait changer de visage en quelques minutes, être cool puis devenir subitement très strict quand il estime que le moment est venu de bien bosser. Même s’il m’aimait bien, il m’a parfois enguirlandé comme si j’étais pire qu’un moins que rien. Mais, quelque part, je pouvais le comprendre car j’étais loin d’apporter ce qu’on attendait de moi. Je ne pouvais pas lui donner tort.

Comment interprétez-vous son limogeage ?

Il a payé pour s’être retrouvé à la tête d’un groupe trop peu doué pour ses compétences d’entraîneur.

Comment vivez-vous votre deuxième saison d’affilée dans l’ombre ?

Ce n’est pas agréable mais je positive. Je voulais quitter Beveren pour savoir de quoi j’étais capable sans mes copains ivoiriens. Je voulais prouver que je pouvais m’adapter à d’autres mentalités. Cela a bien marché à Gand en début de saison dernière : Jan Olde Riekerink me faisait confiance et je marquais de temps en temps. Mais son licenciement et son remplacement par Herman Vermeulen ont tout gâché pour moi. Vermeulen ne jurait que par des footballeurs physiques et je n’avais plus aucune chance.

Vous êtes le style de joueur que Georges Leekens adore relancer : pourquoi n’êtes-vous pas resté à Gand ?

Je n’ai pas eu le choix, malgré mon contrat jusqu’en 2007. Quand on a annoncé l’arrivée de Leekens pour cette saison, je me suis dit que tout allait de nouveau sourire pour moi. J’étais sous le charme de ce qu’il avait réussi à Mouscron, je pensais bien qu’il allait refaire le même coup à Gand : remettre sur les rails une équipe à la dérive. Il est en train de réussir son pari, mais c’est sans moi. Quand je suis rentré de vacances, l’été dernier, la direction de Gand m’a dit que le Brussels voulait me louer. Personne ne me retenait : ni les patrons du club, ni Leekens. J’avais compris.

Votre contrat au Brussels s’arrête en juin prochain : pouvez-vous prolonger dans ces conditions ?

Le club le souhaite-t-il ? Vu mon rendement, c’est peu probable. La Gantoise veut-elle me récupérer ? Pas sûr non plus. Mais j’ai un autre souci en tête pour le moment : participer au sauvetage du Brussels. Une chute en D2, c’est toujours une grosse et vilaine tache sur une carte de visite, et je supporterais mal d’avoir un affront pareil sur mon CV. Si nous restons en D1, je considérerai que mon passage ici aura été une semi-réussite. Si c’est la D2, j’assimilerai ma saison à un crash total.

 » Pas de bloc au Brussels : cela se voit sur le terrain  »

Les Ivoiriens qui ont quitté Beveren éprouvent tous de grosses difficultés ailleurs : vous avez peut-être absolument besoin de jouer ensemble pour être bons ?

Tout est plus facile quand on est ensemble, évidemment. J’ai joué ou je me suis entraîné avec tous les Ivoiriens déjà passés par ce club. Les automatismes sont fantastiques. Vous savez qu’à Beveren, je ne courais pour ainsi dire jamais ? Quand j’avais le ballon, mes coéquipiers savaient ce que j’allais en faire. Et quand un de mes potes remontait le terrain balle au pied, je pouvais aussi tout prévoir. Parfois, c’était même trop facile pour nous.

Il fallait aussi trouver l’entraîneur idéal pour ce noyau : choisir Herman Helleputte, c’était faire bingo, non ?

Tout à fait. Ce coach est carrément fantastique. Génial. Il a tout compris, a directement vu comment il devait traiter ses joueurs ivoiriens. Plus cool que lui, ça n’existe pas. Par moments, il est même trop cool. Je ne l’ai jamais entendu enguirlander un joueur. Quand il y en a un qui se pointe à l’entraînement avec une demi-heure de retard, il lui fait simplement remarquer que ce n’est pas sérieux. Mais il n’y a pas de sanction, pas d’amende, rien. Et certains en profitent.

De la musique dans le vestiaire du Brussels comme dans celui de Beveren, n’est-ce pas ce qui vous manque ? L’ambiance semble parfois si lourde !

Entre Beveren et le Brussels, c’est le jour et la nuit. C’est un truc que je vis mal. Ici, chaque joueur grimpe dans sa voiture et démarre dès que l’entraînement est terminé. A Beveren, on passait nos journées et nos soirées ensemble. Et cela se voyait sur le terrain. Au Brussels, il n’y a pas de bloc et cela se voit aussi sur la pelouse. Si le groupe avait été plus soudé, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Quand on n’a pas les qualités techniques des Ivoiriens de Beveren, capables de débloquer un match sur une action géniale, il faut compenser autrement. Par une plus grande solidarité et par de la confiance en ses moyens. Mais nous n’avons pas ces deux qualités. Et le manque de confiance, j’en suis peut-être la plus belle illustration.

Ne seriez-vous pas plus inspiré en retournant à Beveren ?

Je sais que les portes sont toujours ouvertes pour moi là-bas mais ce serait la dernière solution. J’ai voulu quitter ce club pour me tester plus haut. Si j’y retourne, je devrai considérer que je fais un pas en arrière. Je ne veux pas y penser.

Des gens qui vous connaissent bien disent que vous avez toujours eu l’esprit à Beveren.

Mes potes sont à Beveren mais mon esprit est à Bruxelles depuis juillet 2004 !

 » Le Brussels a raté ses transferts ? Je me sens visé, évidemment  »

A Gand puis au Brussels, la presse vous avait pronostiqué en début de saison comme le meilleur transfert de l’été…

Cela fait toujours plaisir, mais en même temps, ces compliments m’ont imposé une pression supplémentaire dont je n’avais sans doute pas besoin. Ce n’est pas évident de porter des étiquettes pareilles. Et qu’est-ce que ça veut dire, finalement, ces pronostics ? Anderlecht avait recruté Aruna Dindane au Tournoi de Toulon, mais c’est moi qui avais été élu meilleur joueur de cette compétition. Aruna est parti à Anderlecht et je me suis retrouvé à Beveren. C’est la vie : Anderlecht cherchait un costaud alors que j’avais impressionné par ma technique et ma vitesse à Toulon. Il faut aussi de la chance pour réussir une carrière. Aujourd’hui, Aruna peut se contenter d’un tout bon match avec Anderlecht pour faire oublier un creux de plusieurs semaines : il redevient immédiatement le héros de tout le stade et de toute la Belgique. Avec Beveren ou le Brussels, il faut dix gros matches pour être une star. Et si j’avais fait avec Anderlecht les deux saisons que j’ai signées avec Beveren, je ne serais plus en Belgique à l’heure où je vous parle. Aruna peut profiter de quelques matches fantastiques avec Anderlecht pour être courtisé par de grands clubs européens. Moi, j’ai été courtisé par La Gantoise après avoir brillé avec Beveren : vous comprenez ? Enfin bon, je n’ai justifié mon statut ni à Gand, ni au Brussels : j’assume car je suis en partie responsable.

Vous avez marqué un seul but en 1.200 minutes de jeu avec le Brussels : c’est désolant !

Vous avez raison. Mais je rappelle que j’ai presque toujours joué dans l’entrejeu, hein ! Quand l’équipe ratait plein d’occasions, j’ai fait remarquer à Ferrera que je pouvais peut-être devenir l’homme de la situation devant. Mais il n’a rien voulu entendre. Idem avec Waseige. Je reste persuadé que je pourrais faire des dégâts en attaque, surtout avec un joueur comme Igor De Camargo pour me dévier les ballons.

Vous sentez-vous visé quand on dit que le Brussels a raté ses transferts ?

Evidemment. Quel joueur transféré durant l’été réussit vraiment une bonne saison ? Mais attention : dans ceux qui étaient déjà ici la saison dernière, il y en a aussi quelques-uns qui sont très mauvais (il rigole).

On vous a même fait l’affront de vous expédier dans le noyau B.

Ce n’était pas une décision de Ferrera, ça venait de là-haut. Je ne me suis pas laissé faire, j’ai rappelé que j’avais signé un contrat professionnel. J’ai dit à Ferrera que j’allais me défendre, faire valoir mes droits, il en parlé à la direction et ce fut vite arrangé.

Quelle a été l’influence sur le noyau de cette vague de renvois dans le noyau B ?

Vous ne pouvez pas imaginer à quel point ce fut bénéfique pour la confiance de tout le groupe (il rigole). Chaque joueur savait subitement qu’il lui suffirait de faire un mauvais match pour voler en Réserve. Mais bon, la direction voulait quelques victimes pour servir d’exemples. Le plus bête, c’est qu’on n’a pas expédié les plus mauvais dans le noyau B. Christophe Kinet, Fritz Emeran, Christ Bruno, moi : étions-nous tellement plus médiocres que les autres ?

Qu’est-ce qui fera la différence dans la lutte pour le maintien ?

Il faudra un bloc fort pour s’en sortir et des victoires dans tous les matches à domicile.

Qui vous paraît le plus mal embarqué ?

J’imagine que ça va mal se passer pour St-Trond et Mons.

Pourquoi ceux-là ?

Parce que St-Trond est vraiment dans le creux et Mons a un calendrier infernal.

Qui faudra-t-il accuser si le Brussels redescend en D2 ?

Beaucoup de monde : la direction, les entraîneurs et les joueurs.

Pierre Danvoye

 » Emilio Ferrera était TROP PRO POUR CE GROUPE. C’est le meilleur « 

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